samedi 21 mai 2022

L' écriture du désastre. Par Maurice Blanchot

 "Il n 'est d'explosion qu'un livre. » Un livre : un livre parmi d'autres, ou un livre renvoyant au Liber unique, dernier et essentiel, ou plus justement le Livre majuscule qui est toujours n'importe quel livre, déjà sans importance ou au-delà de l'important. "Explosion », un livre ; ce qui veut dire que le livre n'est pas le rassemblement laborieux d'une totalité enfin obtenue, mais a pour être l'éclatement bruyant, silencieux, qui sans lui ne se produirait (ne s'affirmerait pas), tandis qu'appartenant lui-même à l'être éclaté, violemment débordé, mis hors être, il s'indique comme sa propre violence d'exclusion, le refus fulgurant du plausible, le dehors en son devenir d'éclat. C'est le mourir d'un livre en tous livres qui est l'appel auquel il faut répondre : non pas en prenant seulement réflexion sur les circonstances d'une époque, sur la crise qui s'y annonce, sur le bouleversement qui s'y prépare, grandes choses, peu de choses, même si elles exigent tout de nous (comme le disait déjà Hölderlin, prêt à jeter sa plume sous la table, afin d'être tout à la Révolution). Réponse qui pourtant concerne le temps, un autre temps, un autre mode de temporalité qui ne nous laisse plus être tranquillement nos contemporains. Mais réponse nécessairement silencieuse, sans présomption, toujours déjà interceptée, privée de toute propriété et suffisance : tacite en ce qu'elle ne saurait être que l'écho d'une parole d'explosion. Peut-être faudrait-il citer, avertissement toujours inédit, les mots vivifiants d'un poète très proche : ( Écoutez, prêtez l'oreille : même très à l'écart, des -livres aimés, des livres essentiels ont commencé de râler. » ( René Char. )


 

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