Elle a été ma première expérience avec la mort.
Quand je l’ai rencontré, j’aurais
pu savoir qu’elle était vénéneuse. D’ailleurs, je le savais. Je l’ai cherchée, côtoyée.
Je n’ai jamais rêvé que j’allais
pouvoir rêver ça. Je l’ai peut-être toujours cherché, mais pas rêvé. J’ai pris
ce que j’ai pu trouver. Elle m’avait prévenu que je n’avais rien. Et c’est sans
doute ce qui a fait que je m’y suis jeté à corps perdu. A âme perdue. J’ai
surjoué l’amour, la passion. ET je suis tombé de trois étages. Sans combattre, Comme
une fatalité. Comme une envie de ne plus jamais atteindre la terre. Je n’ai pas
lutté contre la mort. J’ai accepté de revivre. J’ai accepté de revoir le jour
et la vie. Je n’avais pas envie de voir quelqu’un d’autre qu’elle. Celle qui
avait failli me tuer par sa fuite dans la nuit parisienne. Dans cette nuit
éthylique. Comme fatidique. Cette journée qui avait à peine commencée qu’elle n’allait
plus finir. Cette course folle à l’alcool. Tout l’alcool possible. Tout. Jusqu’à
cette chute. Cette chute.
« Les larmes de la lune », elle qui se faire enculer et ces gens, ces
inconnus, qui volent et qui dorment dans des armoires électriques. Et moi qui
lui demande de m’apprendre à voler avec elle. Pour elle. Au-devant d’elle.
Et ça a été ma première
expérience avec des machines qui me font vivre. Qui me font ne plus avoir mal.
J’ai traversé tout ça avec fatalisme. Je survis, je survis, et si je meure, et
bien, je meure.
Je n’avais qu’une obsession. Les
fenêtres d’en face mon lit qui me permettait de l’apercevoir dans tous les bras
possibles, dans toutes les positions possibles.
Ce centre de tri fut la perte
de ma vie. La descente aux enfers. Le torrent de la chute. Le Niagara de la
déglingue.
Cette journée qui a été le
prologue de chute, elle m’a annoncé qu’elle se marierait le 15 aout. Le 15 aout.
Alors, nous ne nous sommes pas parlé mais nous avons bus. Je lui ai annoncé que
je ne voulais plus lui parler. C’était fini. Je n’allais tout de même pas être
un témoin. Nous avons bu plus que de coutume. Et sans fin. Sans joie. Sans cri.
Sans pleurs. Rien que de la haine de ma part. Elle me demande de buter son
conjoint, oh, de manière subtile, comme dans le chuchotement à un possédé, à un
illuminé, à un envoûté. Et elle m’annonce qu’elle va se marier. Se marier, le
15 aout.
Alors, ce 15 aout, j’étais à l’hôpital,
plâtré de la tête aux pieds. Drogué pour ne pas souffrir, plus conscient de grand-chose
(si ce n’est que je hais ma mère et que je l’humilie dans mon inconscience) et
ce 15 aout, j’ai passé la journée à pleurer, sans savoir pourquoi, sans me
rendre compte de pourquoi je pleurais. Et fait étrange, ce fut un jour où, dans
mes délires, je ne l’ai pas vu dans l’encadrement de la fenêtre en face. Elle
ne volait pas, elle ne baisait pas avec des inconnus, non, elle était en train
de se marier.
Je n’ai pas eu la conscience
que ce 15 aout fut la journée la plus triste de ma vie.
J’ai confondu.
Je n’ai pas cherché à me
persuader que je m’étais trompé.
Je n’ai pas voulu entendre que
je m’étais trompé. Je savais que je n’avais pas d’issue avec elle. A part ce
que j’ai subi quelques années plus tard.
Je n’avais pas l’intention de
mourir. Je n’avais pas l’intention de mourir, ni de tuer personne comme elle me
le demandait. Je devais la débarrasser de celui dont elle n’arrivait pas à
oublier qu’elle en était folle.
Et folle, c’est bien ce qu’elle
était puisqu’elle faisait sans arrêt des passages dans les HP ; d’où elle
m’appelait pour la faire évader.
Je l’aimais mais je ne voulais
pas la voir sortir. Je voulais l’aimer mais comme un regret éternel, celle avec
laquelle je ne pourrais jamais vivre parce qu’elle était interné car folle.
Jamais, je n’aurais fait évader une folle.
Dans la région parisienne,
après un malaise qu’elle avait fait dans un restaurant après avoir trop bu, les
pompiers nous ont amenés dans un hôpital psychiatrique en banlieue. On s’est
enfui. On a fait le mur. Et nous sommes revenus de banlieue, en pleine nuit, à
pied.
Aucune guide touristique de la
capitale ne propose de faire le tour de tous les hôpitaux de Paris. Moi, je les
ai tous fait avec elle. Pour elle.
Ça aurait été si simple qu’un
jour elle meure. Elle serait étouffée dans son vomi. Ou, en traversant sans
regarder, elle aurait été renversée par une voiture. Ou alors, une grave crise
d’asthme.
Je mens, elle a eu une grave
crise. Et con comme je suis, j’ai appelé le SAMU. Ils sont arrivés à temps. Et
le con, qu’est-ce qu’il me dit ? Comme pour me rassurer ? « 5
minutes de plus, et elle y passait ». Et merde !
Et elle serait devenue mon
éternel amour, celle que j’aurais aimée jusqu’à la fin des temps. Des temps de
Paris jusqu’à mon retour en province. Jusqu’à ce que je rencontre celle qui est
ma femme. Celle qui est mon évidence. Celle qui est de l’autre côté et qui
pleure parce que je vais mourir. Son amour va mourir…et voilà à quoi penses son
amour. A celle qui a failli le tuer.
La chute en elle-même, je n’en
ai aucun souvenir. Je les ai chassés. Classer comme on se vante d’une aventure
volontaire. Sans qu’elle ne l’était pas. Par contre, je me rappelle de presque
toutes les minutes de cette journée.
Nous avions bu la veille,
comme nous avions bu la veille, comme la veille. Cela faisait quinze jours que
nous ne dessoulions pas. Nous buvions, je vomissais, nous buvions, je
vomissais.
Cela me fait penser, lorsque j’allais la rejoindre dans son foyer pour picoler.
Une nuit, après un trop plein, je suis allé vomir pour faire de la place. Et j’ai
immédiatement dessoulé lorsque, au milieu du vomi, j’ai aperçu une tâche de
sang. La peur !
Bon, puis à force, jamais plus
je n’avais peur. Mais je savais que c’était une limite pour arrêter. Mais elle,
elle continuait, et elle tombait. Sans arrêt, partout, tout le temps.
Il a fallu mettre un terme à
cette inexpérience. Cette terrible erreur.
Il m’a fallu me désintoxiquer
de l’alcool, pour pouvoir me désintoxiquer d’elle.
Comme ce fut une épreuve,
comme ce fut une nuit blanche. Comme ce fut, une nuit blanche silencieuse.
Terriblement silencieuse. Nous ne devions plus jamais nous revoir. Jamais. Mais
nous n’en avions jamais eu de regret. Surtout moi. J’étais libéré. Je l’ai
accompagnée à la gare ST Lazare. ¨Pour être sûr qu’elle parte. Pour être sûre
qu’elle ne fasse pas demi-tour.
Nous sommes restés, face à
face, en silence. Il n’y avait même plus de haine. Non, simplement, nous contemplions
sur le tapis le cadavre de ce qui fut notre relation. Amour ? Haine ?
Passe-temps ? Défoulement ? Dépaysement ? Rien qui ne ressemble
à de l’amour en tout cas. Et puis, nous avions envie que la nuit finisse. Vite.
Enfin, nous pûmes nous rendre à la gare Montparnasse. Elle a marché sur le quai,
elle ne s’est pas retournée, elle ne m’a même pas regardé. Cette attitude m’a
libéré définitivement. Tranquillement. Donc, je suis sorti de la gare, j’ai
poussé un gros soupir et je suis allé me coucher.
Pendant deux jours, j’ai mangé
tout et n’importe quoi, j’ai dormi et je me suis branlé. Jusqu’à hurler de
douleur. La douleur d’être libre contre ma volonté. C’était ridicule mais je ne
pouvais pas y échapper. A n’y rien comprendre. Rien. Le principal, c’était que
j’étais libre.
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