Ce matin-là, lorsque je m’éveillais, j’avais envie de penser à toutes celles qui avaient égayé mes jours sans que je n’ose leur dire ce qu’elle produisait dans mon âme et sur mon corps. Elles soulignaient les minutes qui auraient pu être pénibles, d’une légèreté insoupçonnable. Il n’y avait quasiment rien de sexuel dans mes regards ou dans les ressentis. Je les regardais et je les aimais. Platoniquement, désespérément apeuré de vouloir faire quelque chose que je n’oserais jamais faire, d’avoir envie de leur dire simplement : « ne t’inquiète pas, dès que je t’ai vu, je suis tombé amoureux ».
Je ne leur ai jamais dit.
La peur peut-être d’entendre
sortir de leurs adorables bouches que j’aurai aimé embrasser, « arrête, tu ne
m’intéresses pas » Ou peut être
encore pire : « pourquoi me le dire si tard ? C’est
fini. » En me répondant cela, nous aurions su qu’il n’y aurait jamais rien
eu de possible si ce n’est le plaisir de se laisser croire que le temps n’a pas
été notre allié, que les rencontres ne se sont pas faites dans un temps
précis…En fait, je ne vivais pas ces sentiments, je les brodais autour de mon
vil quotidien.
Et puis, il y avait ce
sentiment affreux qui me tenaillait et qui me frustrait de la joie de les
regarder. Je me disais « ce corps que tu vas leur imposer, mais de quel
droit ? Que vas-tu leur apporter de plus que ce qu’elles ont avec leurs
amoureux du moment ? »
Alors, je détournais la tête,
heureux de les avoir aperçus, presque à leur insu, et triste de me dire que
rien ne changerait jamais et que j’allais devoir me contenter de celle qui m’aimait
et qui, en fait, était celle dont l’amour réciproque empêche cette sorte de
tristes histoires. Etait-ce réellement le sentiment d’amour réciproque qui
empêchait ce genre de bêtises, de butinements ? Et pourquoi y mettons-nous
tant de chose dans la fidélité ? Les corps s’expriment, les fluides, sans
attouchements, s’échangent, s’effleurent et chacun en ressort plus atrophié,
plus frustré. Nous en faisons porter les conséquences à nos compagnes et
compagnons. Qui eux-mêmes doivent traversés les mêmes marécages. Pourquoi
serais-je le seul à vivre cela ? La frustration est-il un sentiment
naturel et nous aide-t-il à nous forger une morale irréprochable ? Ne
sont-ce pas plutôt des sensations que l’on perd et que l’on ne retrouvera
jamais à l’issue de cette gesticulation si éphémère ? Je balayais de mon
regard tous ces visages que je vénérais sans que personne ne le sache. Je
m’apaisais alors d’un mal que je ne ressentais pas véritablement mais qui
aurait pu m’envahir si j’avais vraiment ressenti ce sentiment que je
m’autorisais à ressentir à quelques instants précis. Je les croyais aléatoires
alors qu’ils ne m’envahissaient que lorsque j’avais à m’apaiser d’une
contrariété. Ce sont des sensations qui nous balaient le visage, légers et sans
traces visibles qui pouvaient rester accrochés un certain temps. Leurs
véritables forces étaient qu’ils n’appartenaient qu’à moi. S’il me prenait
l’envie d’avouer un quelconque sentiment à l’une d’elle, je perdais le bénéfice
de cet apaisement, pour sombrer dans le sordide de la déroute adultère. Je
n’avais pas véritablement envie de vivre cette déchéance, sans que je sache
véritablement ce qui pouvait m’en empêcher. N’étais-je pas le seul maitre de ce
que je pouvais ou ne pouvais faire ? Cette signature que l’on fait un jour
lors d’une grande cérémonie, on en donne une définition précise de l’engagement
au-delà de tout, au-delà du ciel, au-delà de l’instance suprême que représente
Dieu. Mais quelle est la valeur d’un engagement devant quelque chose qui
n’existe pas ?
Un sentiment, même si il est
réel, si il bouleverse les temps et les moments, si il envahit le corps et
l’âme, est-il si puissant que cela, qui m’engage à l’infini à ne ressentir cela
que pour celle ou celui à qui on a dit oui, à un moment, à un instant ?
L’éphémère de la passade, le
temps très court de la complainte des corps, brise-t-elle cette solennité d’il
y a quelques temps ? Ce temps qui est révolu, n’a la puissance que de
l’éphémère. Il ne s’inscrit dans rien d’éternel. Il n’y a rien d’éternel.
Alors, je revenais chaque jour
à ses côtés, comme si tous ces moments n’existaient pas, comme si, je ne vivais
que la promesse éternelle que je lui avais faite.
Ce soir-là, elle s’assit sur
le rebord du lit, et j’aurais souhaité ne pas à avoir à mourir ce fameux 6
novembre. Mais la mort, comme un rendez-vous que l’on ne peut pas reporter. J’ai
rendez-vous avec cette angoisse que je ne peux léguer à personne.
Je lui pris la main, la lui
serra très fort, serra sur mon sœur une larme échappée, et je fis ce geste qu’il y avait longtemps que je n’avais pas
fais. Je lui promis, une promesse inutile mais réconfortante, comme toutes les
promesses inutiles que l’on a envie de croire pour traverser des instants
difficiles, que jusqu’à la fin des temps, je l’aimerais. Cette fin des temps
qui allaient prendre effet pour moi ce 6 novembre et qu’elle, elle aura le
pouvoir de prolonger jusqu’à sa fin des temps à elle. Quelques années plus
tard. Je ne veux pas (j’espère), qu’elle reste seule (je ne veux pas qu’elle
m’oublie), et qu’elle trouve quelqu’un (je ne veux pas qu’elle connaisse un
autre homme). Je n’ai pas le droit de lui demander cela (je serais sa douleur
intolérable de ma mort qu’elle ne peut oublier).
D’un geste, je lui impose ma lassitude et la somme de me
laisser seul afin que je me repose (repaisse de ses visages adultérins).
Ce sont des moments que je
construis. Il n’est pas évident de ne vouloir que souffrir, de n’être que plaie
et souffrance. Je décide de n’être que souffrance. Uniquement souffrance. Du
cerveau droit au ventricule gauche. En travers. Mon sang ne coule plus dans
aucune veine car chacune n’est plus que déchirure.
Pourquoi voulais-je
souffrir ? Pour que l’on ne cherche qu’à me consoler ? Mais je
cherche encore pourquoi on me consolerait vu que ma souffrance n’est qu’une
construction. J’ai le droit de construire ma souffrance mais je n’ai pas celui
d’entrainer qui que ce soit dans le cercle du consoleur/consolé.
Au début, je croyais que
c’était quelque chose qui me tombait dessus. Pas de chance. Pas le jour. Mais
non rien à voir. Et ces moments que je construisais correspondait à des moments
où elle était joyeuse, où ses rires ne m’étaient pas adressés, ou ses yeux
brillent sans que j’en sois la cause. Responsable. Alors, qu’est-ce que je
fais ? Je la punis. Et oui, mais elle ne peut pas être heureuse sans moi.
Elle n’a pas le droit d’être heureuse sans moi. Pour tout dire, je la condamne
à pleurer du jour de ma mort jusqu’à la sienne. Peut-être même, la souffrance
qu’elle va ressentir, intolérable, insurmontable, va-t-elle l’obliger à l’anticiper,
à la provoquer, à la précipiter.
Ce qui est fort déplaisant, c’est
qu’elle me regarde toujours avec amour, avec compassion car elle ne sait pas ce
que je pense. Elle n’a aucune image de mes pensées ; ma souffrance lui
impose ce visage compassé ; ma mort prochaine lui impose cet amour infini.
Mais qu’est-ce que cela peut me faire ? M’apporter ?
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