Préface:
La polémique qui s'est instauré à l'intérieur de la social-démocratie, principalement en Belgique et en Allemagne, à la suite des grèves générales belges de 1902 et 1913 ne nécessite pas de présentation historique. Les textes que nous publions permettent de saisir l'essentiel du contexte politique de l'époque, et n'importe quel travailleur, n'aurait-il aucune connaissance de l'histoire de la Belgique, comprendra de quoi il est question car les mêmes problèmes se posent actuellement au monde ouvrier, singulièrement en France, après l'expérience des grèves généralisées de Mai 1968. C'est aussi ce qui donne à ces textes leur valeur actuelle. Peu nous importe de faire oeuvre d'historien. Nous espérons seulement contribuer à la clarification des idées et à l'identification des ennemis passés, présents, et futurs de la révolution prolétarienne.
Dans cette polémique, Mehring et surtout Rosa Luxembourg critiquent la pratique et les conceptions de la direction du parti belge. Ces textes nous concernent, parce que contre le leader réformiste Vandervelde, Rosa analyse ce qui constitue le fondement même de la théorie révolutionnaire: la spontanéité révolutionnaire du prolétariat. Or, ce point a toujours constitué, et constitue encore, le nœud de l'affrontement entre réformistes et révolutionnaires dans le mouvement ouvrier. Tous les éléments qui caractérisent les deux positions sont déjà présents à l'époque, et peuvent se résumer en peu de mots: le prolétariat est-il une masse brute et inerte que les chefs socialistes formés à la théorie mènent au combat comme une armée disciplinée? Ou au contraire, le prolétariat est-il poussé spontanément par sa situation à une pratique "socialiste", et la théorie révolutionnaire n'est-elle que la compréhension du sens de sa situation de classe, et l'intelligence de la logique de sa pratique? Dans ce cas, loin de viser à encadrer le prolétariat, les révolutionnaires sont ceux qui visent à systématiser son activité" créatrice et spontanée.
Notons tout de suite que Rosa Luxembourg ne tombe à aucun moment dans le faux dilemme de la pensée bureaucratique qui constitue la tarte à la crème de la littérature groupusculaire actuelle, le dilemme organisation-efficacité/ inorganisation-spontanéité. Plutôt que de montrer l'inconscience théorique des conceptions qui opposent spontané à organiser, bornons-nous à constater que dans une période où le réformisme domine le mouvement ouvrier, les révolutionnaires sont conduits à juste titre à s'identifier aux manifestations marginales de débordement, par une minorité, des organisations bureaucratiques. Parce que l'organisation est aux mains de l'adversaire, la lutte à ses débuts prend la forme de l'indiscipline organisationnelle. Mais dès que la lutte atteint un certain niveau, la classe ouvrière tend spontanément et organiquement à s'unifier, à se centraliser et à créer les organismes adéquats de direction. C'est ce que démontre Marx en étudiant la Commune de Paris, c'est ce que prouve la création en 1905 et 1917, des soviets en Russie, et en Allemagne en 1918 etc. Mais ceci n'est pas seulement valable dans les périodes de lutte révolutionnaire ouverte. L'histoire de la Ligue des Communistes et de la première internationale; la création de Spartacus en Allemagne, puis du K.A.P.D. comme la création de la quatrième internationale ( pas celle de Trotsky, la vraie, celle de 1920) démontre cette tendance spontanée du mouvement révolutionnaire à l'organisation. Il est cependant évident qu'à cette époque, Rosa surestime la possibilité de redresser les organisations réformistes, partis ou syndicats. Mais les thèses qu'elle développe sont dans la ligne des positions de Marx; elles visent à appréhender le mouvement réel de la classe ouvrière, et n'ont rien de commun avec la critique "morale" de la bureaucratie et l'idéologie spontanéiste.
Un demi siècle plus tard, les termes de cette polémique restent profondément actuels, et deux conclusions symétriques s'imposent: les ennemis de la révolution prolétarienne à l'intérieur du mouvement ouvrier ont la vie beaucoup plus dure que les révolutionnaires ne le pensaient; ses partisans aussi, qui ont survécu à toutes les contre-révolutions, à tous les massacres, et qui ressurgissent chaque fois que la classe ouvrière se met à lutter.
Pourtant, l'histoire ne se répète pas. Les conditions de la lutte se sont profondément transformées, du fait de l'évolution du capitalisme et du fantastique développement des forces productives ( et de la principale force productive, la classe ouvrière elle-même).
Dès l'apparition du capitalisme, donc du prolétariat, et dans la première phase de son développement, les rêveries réformistes ont coexisté dans le mouvement ouvrier avec la critique radicale. Dès l'origine, coexistent dans la classe, ceux qui veulent améliorer la participation de la classe ouvrière à la forme bourgeoise de la richesse (Proudhon -philosophie de la misère) et ceux qui veulent abolir la forme bourgeoise de toute la richesse produite par le travail humain, la forme marchande (Marx - Misère de la philosophie). Pendant la première phase du développement du capitalisme et approximativement jusqu'à la Commune de Paris, les révolutionnaires expriment, en dépit d'une extrême faiblesse numérique et organisationnelle, le mouvement de l'ensemble de la classe ouvrière. Le poids social social énorme des classes contre-révolutionnaires interdit la plupart du temps à la classe ouvrière de s'exprimer et de se manifester, mais chaque fois qu'une rupture se manifeste dans le système d'oppression et dans la cohérence de la classe dominante, la classe ouvrière saisit l'opportunité et traduit dans ses actes l'ampleur de la rupture qu'elle a globalement effectuée d'avec la société bourgeoise. L'insurrection des canuts de Lyon, les insurrections de 1848, la Commune de Paris, sont l'expression d'une classe, peut-être trop faible numériquement et socialement pour vaincre dans le contexte de l'époque, et donc successivement écrasée, manipulée, et de nouveau écrasée, mais qui est en possession dans son ensemble et dans sa pratique spontanée, de la totalité du projet révolutionnaire communiste, et qui n'attend rien du capitalisme. La classe ouvrière dans son ensemble a conscience d'être le prolétariat. Classe ouvrière et prolétariat coïncident. C'est pourquoi les révolutionnaires en sont l'expression authentique. En 1871, le prolétariat parisien réalise dans les faits le manifeste communiste, anticipe par certains aspects de sa pratique ( la dictature du prolétariat) la critique révolutionnaire d'alors, tout en restant en retrait sur d'autres plans ( la banque de France et Versailles n'ont pas été attaqués), alors que l'influence d'une théorie et d'une organisation révolutionnaires explicites et cohérentes est très faible. (Pendant la Commune, à peine une dizaine de personne à Paris étaient sous l'influence directe de la première Internationale).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire