Elle est arrivée parmi nous sans que l’on s’en rende compte. Je l’apercevais à peine puisque j’étais paumé à attendre celle qui était partie, qui avait fui, celle qui ne m’avait jamais été destinée. Celle que j’ai confondue comme une évidence. Elle fut le repère perdue qui me força à échouer sur tout, sur tous. Son voile néfaste a tout recouvert d’une même teinte et je ne pouvais plus rien distingué. J’avançais dans ces moments-là comme des semaines en attente. Ce ne sera pas celle-là mais l’autre d’après, mais comme ces jours devenait infernaux, interminables. Et le lundi suivant, c’était la même désillusion qui se perpétuait comme un jour sans fin.
Un instant indéterminé, comme une brèche dans le temps continue de la descente
sans filet, j’ai ouvert les yeux. Nous étions dans le métro et elle était en
face de moi. Je pus enfin m’excuser de l’observer. Et je l’ai observée. Je ne l’ai
pas oublié. Je ne veux pas l’oublier. Je ne veux pas l’oublier car je pense que
je l’aime encore. Je l’aime comme un regret ou comme une histoire qui ne s’est
pas finie puisqu’elle n’avait jamais commencé.
Alors, elle était assise en
face de moi et elle me fixait.
Au fait, que faisais-je sur
cette ligne ?
Je lui avais surement dit oui
lorsqu’elle m’avait demandé de boire un verre chez elle. Elle m’avait demandé
ou c’est moi qui avais fait le pas. Et pourquoi aurais-je fait le pas puisque
je n’avais qu’une pensée et elle n’en faisait pas partie. Donc j’avais accepté.
C’était un vendredi, un vendredi soir à Paris. Dans l’attente du retour le
lendemain dans ma province.
De toute façon, ça n’avait
aucune importance, je pouvais boire avec n’importe qui pour patienter.
J’ai repris la même table que
d’habitude, sauf que celle qui était en face de moi n’était pas celle que j’aimais,
pas celle qui voulait me voir mort, celle qui ne m’avait jamais dit qu’elle
vivrait avec moi. Celle qui…On a parlé, sans doute mais de quoi ? De quoi pouvais-je
parler avec celle qui était en face de moi ? D’ailleurs, quel était son
prénom ?
« Ton prénom ?
-Valérie.
-A la tienne »
Il n’y avait aucun effort à
faire puisque ça ne devait pas durer, je ne voulais pas que ça dure. Il fallait
que je me force pour que ça ne dure pas. Je voulais qu’elle ne soit qu’une
passade. Je m’inventais des témérités, des instants de bravoure qui se
perdaient dans le temps, l’alcool et dans l’absence de quelqu’un qui n’aurait
jamais dû être dans mon éphémère existence. Je parcourais toutes ces distances
sans m’apercevoir que mon immobilisme mobilisait toute mon énergie. Mes
énergies. Mes facultés de conscience, d’inconscience étaient dans des brumes épaisses
dans lesquelles je n’arrivais pas à naviguer. Sauf à vue. Sauf à vie.
Pourtant, elle était belle.
Oui, cette Valérie était belle et je suis persuadé aujourd’hui, du haut de ma
mort prochaine qu’elle aurait pu être celle qui est dans la cuisine
actuellement. Et peut-être n’aurais-je pas voulu mourir alors ? Ou alors,
j’en aurais eu la force et pas la souffrance. Ou alors oui, j’aurais su
souffrir afin qu’elle soit heureuse que je meure. Ou de me voir mourir. Valérie
de Rennes. Toute une évidence. Toute une jeunesse qui fuit son adolescence et
qui s’offre en femme.
Elle m’amena chez elle. Et
nous continuâmes à boire. Elle eut bien voulu m’exhiber sa nudité mais comme j’en
avais envie. Envie de me retenir d’avoir envie avant de prendre le train. Se
dire que j’avais résisté à une envie de voir une femme nue avant de prendre un
train. Un train qui me ramenait vers un monde dans lequel je n’avais pas le
droit d’avoir des femmes nues. Il n’y avait aucune envie de nudité dans le
patelin dans lequel j’habitaisDes femmes qui avaient envie de me montrer leur
nudité. Et je me dis » j’ai sans doute raté quelque chose ». Et je me
dis encore : « lorsque je reviendrais lundi je retournerais voir
celle qui me disait qu’elle avait envie de me montrer son corps. Et peut-être
de me donner, de me l’offrir. Enfin, que mes mains pétrissent ce qu’il y avait à pétrir, et boire ce qu’il y
avait à boire. Comme j’avais envie de boire toutes les liqueurs qu’elle pouvait
m’offrir. Valérie…
Je pouvais souffler son nom
comme une bouée qui allait me sauver de la noyade. Mais avais-je envi d’être
sauvé.
Le lundi, j’entrais dans mon
centre avec une envie irrésistible de ne plus penser à rien car celle qui
allait peut-être devenir une aire de repos…en attendant que l’autre revienne…pourvu
qu’elle ne revienne pas…Plus…que la vie ne m’apporte plus son regard mort…vide…dans
lequel il n’y avait pas mon reflet.
Et elle vint vers moi…Valérie…Elle
n’est pas venue vers moi dès le début, suffisamment pour me tendre jusqu’à l’appel…de
mon corps…un appel silencieux de bête affamée…apeurée…Je ne crains pas de le
dire que je n’avais plus rien de l’humain…Elle me regarda et me dit ces
quelques mots : « on pourrait aller boire un verre, j’ai quelque
chose à te dire ».
Je ne cherchais pas à
comprendre, à analyser…à identifier un avenir qu’elle avait dessiné d’une main
délicate…C’était une jeune femme délicate, comme une fleur ensanglantée que l’on
a posé à côté de son vase et qui se meure…Je la regarde, elle s’éloigne…Et
dire, que je n’ai même pas tenter de l’embrasser…Je ne tenterais jamais de l’embrasser…Je
venais de déclarer le plus absurde serment de tous les temps…Personne ne l’a
entendu, personne ne l’a entendu et pourtant chacun pouvait se rendre compte
que, en quelques secondes, j’étais devenu le plus con de tous les hommes…
« Peux-tu venir avec moi
jusqu’au rendez-vous ?
-Pourquoi ?
-J’ai peur.
-De quoi peux-tu avoir peur ?
-Je ne veux pas avoir peur
tout seul…je veux que quelqu’un m’aide à porter ma peur…ma stupide peur…
-D’accord, je serais là… »
Elle fut déclarée irrecevable
aujourd’hui mais elle devint un petit point lumineux dans le fond de la toile.
Un jour…Plus tard…
Aujourd’hui, je meure et je ne
peux même pas me rappeler précisément ce visage. Je ne crois pas que j’aurais
pu encore survivre sans la revoir encore une fois.
Elle est en face de moi…je la
regarde et j’attends patiemment ce qu’elle a à me dire. Mais que peut-elle me
dire d’autre qu’elle m’aime et qu’elle veut sortir avec moi ? Je lui dis
oui parce que je n’ai rien d’autre à faire. Il y a la place vacante de celle
que j’aime et qui m’impose son absence. Alors, je me venge, je souffre et je me
venge. Et je vais faire souffrir car je me venge. Je me suis vengé mais je
souffre, et elle n’a toujours pas avec moi et elle, Valérie, celle qui espérait
être toujours à mes côtés, toujours près de moi, en moi, je l’ai blessé
définitivement. Salement. Egoïstement. Héroiquement ? Non, comme un lâche,
comme un infect lâche. Je ne pense pas que j’ai fait plus de mal qu’à cette
femme. Cette fleur ensanglantée que l’on a posée à côté de son vase et qui se
meure.
« J’ai envie de sortir
avec toi…Tu me plais…
-D’accord. »
Et la nuit nous a absorbés.
Nous a conduit jusqu’à chez elle. Chez elle comme un foyer que l’on fuit
lorsque l’on est con et que l’on tente de faire croire que l’on veut vivre
autre chose. Je la regarde et elle est heureuse. Et je ne le suis pas. Je lui
impose sa face rictus alors qu’elle veut me faire les plus beaux sourires. Je
veux m’enfuir et je me retrouve dans son lit nu. Elle se met nue devant moi.
Pas de fausse pudeur. Je suis à elle, elle est à moi donc, elle est nue et s’offre.
S’offre. Offrande vexatoire de la fidélité à l’invisibilité. Je ne pense pas
que je perdrais plus que j’ai perdu ces jours-là. Regarde là marcher devant
moi. Elle est chez elle, nue, son homme est dans le lit nu, comme des promesses
qui se font attendre patiemment. Attentes qui seront déçues. Nous aurions du
envisager cette merveilleuse aventure comme un projet pour plus tard. Pour une époque
qui lui aurait été destiné. Je vais le dire aujourd’hui pour ne jamais plus le
dire. Mais je le ressentirais alors que la mort me mord les tripes.
Valérie…Son visage n’est plus
là, mais il place autour de moi comme une vague réminiscence. Je ne cherche même
pas à lutter. Même plus. Je l’ai devant moi. Elle vient se coucher à côté de
moi. Elle se colle. Elle empreinte mon corps que je tente d’anesthésié. Rien ressentir.
Rien trahir. Rien affermir. Elle pose sa tête sur mon torse et c’est le début
de deux semaines de vie commune. Je ne peux même pas fuir ce confort que je n’aurais
jamais apprécié si je n’étais pas déjà mort de son absence.
Valérie…Je répète son prénom comme
une punition, une punition que j’oblige à prononcer comme avec un espoir de
voir ce visage se redessiné devant mes yeux…
Valérie…Je ne peux en dire
plus pour le moment, j’en souffre encore, j’en souffre encore…
Je me retourne et je m’endors.
Je crois même que je pleure…Demain, l’infirmière…
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