« La corruption est un thème très classique de la propagande antiparlementaire, notamment d’extrême droite : scandale de Panama, affaire Stavisky sous la troisième république, trafic des piastres sous la quatrième, et , sous la cinquième, Tapie, Noir, Dumas, et tant d’autres, parmi lesquels, peut-être, Chirac en personne. « Tous pourris » est le résumé de ce genre de mise en scène médiatique des liens entre l’argent et les politiciens. Bien entendu, ce n’est pas du tout dans ce registre que je parle de corruption, pas plus que n’en parlait Robespierre. Ce n’est pas lui non plus qui impressionne durablement l’opinion, même électorale. On ne compte plus les maires, conseillers généraux et notables divers qui, accusés ou soupçonnés de corruption en ce sens restreint, ont été triomphalement réélus, le couple Balkany en est l’exemple canonique. En 2002, il était tentant d’opposer Jospin-le-vertueux à Chirac-le-(supposé)-corrompu. Ni cet éloge ni cette indignité n’ont empêché qu’au premier tour de l’élection présidentielle, ils aient été l’un et l’autre fort déconfis. Sans doute faut-il prendre les choses de plus loin. Et de plus haut.
Nous sommes en 1793, les
périls assaillent la Révolution. Saint-Just demande : « Que veulent
ceux qui n’acceptent ni la Terreur ni la Vertu ? » Question
intimidante, à laquelle cependant la pratique des thermidoriens donne une
réponse claire : ils veulent que soit admis comme normal un certain degré
de corruption. Contre la dictature révolutionnaire, ils veulent « la
liberté », ce qui veut dire : le droit de faire des affaires, et de
mêler ces affaires à celles de l’état. Ils s’élèvent donc aussi bien contre la
répression « terroriste » et « liberticide » des combines
louches que contre l’obligation vertueuse d’avoir à ne considérer que le bien
public. Déjà Montesquieu notait que la démocratie, accordant à tous une
parcelle du pouvoir, est exposée à la confusion permanente des intérêts privés
et du bien public. Il faisait de la vertu la disposition obligée des
gouvernements de ce type. Mandatés sans autre garantie que le suffrage, les
gouvernants doivent en quelque sorte s’oublier eux-mêmes et réprimer jusqu’à
leurs propres penchants à n’exercer le pouvoir qu’en fonction de leur personnelle
jouissance, ou de la jouissance des milieux dominants (les riches, en règle
générale). »
« L’idée remonte en fait
à Platon. Dans sa critique radicale du régime démocratique, Platon note qu’un
tel régime considère que ce sur quoi une politique doit se régler est
l’anarchie des désirs matériels. Et que , en conséquence, un gouvernement
démocratique est inapte au service de quelque idée vraie que ce soit, parce que
si la puissance publique est au service des désirs et de leur satisfaction, au
service, finalement, de l’économie au sens large du mot, elle n’obéit qu’à deux
critères : large du mot, elle n’obéit qu’à deux critères : la
richesse, qui donne le moyen abstraite plus stable de cette satisfaction, et
l’opinion, qui décide des objets du désir et de la force intime avec laquelle
on croit devoir se les approprier. »
« Marx remarquait, dès
les débuts de la démocratie représentative en Europe, qu’en vérité les
gouvernements ainsi désignés par le suffrage n’étaient que des fondés de
pouvoir du capital. Ils l’étaient pourtant bien moins qu’aujourd’hui !
C’est que si la démocratie est représentation, elle l’est d’abord du système
général qui en porte les formes. Autrement dit : la démocratie électorale
n’est représentative qu’autant qu’elle est débord représentation consensuelle
du capitalisme, renommé aujourd’hui « économie de marché ». Telle est
sa corruption de principe, et ce n’est pas pour rien qu’à une telle
« démocratie », Marx, ce penseur humaniste, ce philosophe des
Lumières, pensait ne pouvoir opposer qu’une dictature transitoire, qu’il
appelait la dictature du prolétariat. Le mot était fort, mais il éclairait les
chicanes de la dialectique entre représentation et corruption.
Au vrai, c’est la définition
de la démocratie qui pose problème. Tant qu’on sera persuadé, comme les
thermidoriens et leurs descendants libéraux, qu’elle réside dans le libre jeu
des intérêts de groupes ou d’individus déterminés, on la verra s’abîmer,
lentement ou promptement selon les époques, dans une corruption sans espoir. C’est
que la démocratie véritable, s’il faut conserver, ce que je crois, ce concept,
est tout autre chose. Elle est l’égalité devant l’idée, devant l’idée
politique. Par exemple, pendant longtemps, l’idée révolutionnaire, ou
communiste. C’est la ruine de cette idée qui identifie la
« démocratie » à la corruption générale. »
« Je suis partisan de
conserver un usage positif du mot « démocratie », plutôt que de
l’abandonner entièrement à sa prostitution par le capitalo-parlementarisme. Je
me suis expliqué sur ce point dans un chapitre de mon libre Abrégé de métapolitique. De façon
générale, je préfère la lutte pour une nouvelle appropriation des noms à la
pure et simple création de nouveaux noms, bien que cette dernière soit souvent
requise. C’est pourquoi aussi je conserve sans hésiter, en dépit des sombres
expériences du siècle dernier, le beau mot de « communisme »
« Et bien entendu, ce
n’est jamais de l’imitation d’un modèle extérieur que vient le salut. Ces
drapeaux ornés des allégories de l’élément faste, c’est nous qui les portons,
acceptant cependant que tout autre, échappé du consensus pétainiste, soit au
relais de ce transport. Ce fut un des aspects les plus déprimants de la
dernière campagne électorale que de voir les deux protagonistes se réclamer de
Blair. Il y a une expression chinoise que j’aime beaucoup pour parler de deux
personnes qui sont complices d’un mauvais coup. Les chinois
disent : « oui, ces deux-là ce sont les blaireaux de la même
colline ». En définitive, Royal et Sarkozy, comme Blair et Bush, c’étaient
des blaireaux de la même colline. Des Blair-eaux.
Négativement, il nous suffira
donc de dire : ni rat, ni blaireau ».
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