samedi 14 mai 2022

Celui dont le signe astral était la mer Partie V

 

Ce matin-là, la douleur s’était habituée à mon corps et je pensais que j’allais pouvoir enfin lire quelques lignes, quelques vers. Ce matin-là, je n’aurais pas besoin de ma pompe à morphine habituelle.

Qu’allais-je bien pouvoir lire ? Je tombe par inadvertance sur « lettre au père » de Kafka. Par inadvertance ? Non, en fait, rien ne me touche qui ne soit prévu ou imposé par une ligne tracée. Donc, je pris l’ouvrage.

Pour haïr quelqu’un encore faut-il qu’il ait été présent, qu’il existe ou qu’il ait existé suffisamment pour laisser une empreinte indéfectiblement haïssable. Que sa présence devienne une douleur insupportable, ou alors qu’elle nous fait ressentir une haine incroyable, insupportable, incommensurable. Mon père n’a vécu que le temps de m’incruster, dans mes veines, dans ma perception, son immense absence. De mon père mort, je n’ai haï que son absence, le fait que je n’ai jamais eu ses bras autour de mon corps, ses mains sur mon visage. Son souffle sur mon visage le soir pour un baiser. Une nuit qu’il m’apaise, un matin qu’il me pousse.

Et puis l’absence de sa voix, l’absence de son tout, il n’est devenu rien sans qu’il n’en a conscience et il me l’a imposée. En avait-il le droit ? Le savait-il que j’allais le haïr par e qu’il allait mourir sans se rendre compte qu’il me forcerait à l’attendre toute ma vie, pour le rejoindre dans sa mort. Dans ma mort. Dans mon impatience de son message qui ne vient pas. Qui ne viendra jamais. Il n’avait même pas conscience qu’il avait à me laisser un message derrière lui. Ma route est d’autant plus longue, sinueuse, inconfortable. Alors ce Kafka qui parle de son père, à son père, même si ce n’est pas de vive voix, si ce n’est que par lettre interposée, il l’en face de lui, autour de lui de sa présence qui lui nuit. De son absence souhaitée non expressément. J’aimerais, j’aurais aimé que le mien m’impose celle de son insupportable présence. Je ne l’idéalise que parce qu’il ne m’a jamais existé autour de moi. Par non connaissance, j’aurais souhaité échanger une vie de ma mère pour une heure en présence de mon père. Pour le regretter ensuite. Pour vouloir le regretter ensuite. Pour vouloir le regretter ensuite. Pour peut-être espérer le regretter ensuite.




Quand tu es dans mon état, tu n'as plus de matin. Ils appartiennent forcément à ta maladie. Cela devient une bataille de toutes les heures, de toutes les minutes. Et lorsqu'ils sont enfin à moi, pour quelques minutes, voire quelques secondes, la douleur redevient le combat principal ou la fatigue est telle, que je m'endors épuisé.
Et au réveil, tout recommence.
Finalement, la vie devient le combat des matins.

 

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