"Tout dire est donc un devoir, et une littérature qui ne s'attellerait pas à cette injonction se fourvoierait ( et de fait, c'est chaque jour qu'elle se fourvoie, le contraire est l'exception). Dieu mort, c'est aussi toute idée de consolation qui est retirée à l'homme (du moment que rien ne vient combler cette absence: ni lendemains qui chantent, ni promesses, ni idéologie) et le miroir que lui tend Guyotat ( mais avant lui Beckett que Surya n'évoque que peu, mais toujours avec admiration) est propre à l'effarer: tout dire "à quelque point qu'en frémissent les hommes".
L'injonction Sadienne, qui intimide déjà les lecteurs ( qui cherche aujourd'hui l'effroi dans ses lectures?) a de quoi assécher la plume de tout écrivain. Qu'est ce qui aujourd'hui peut encore être scandaleux dans la littérature? Quel chemin faut-il faire vers la folie pour atteindre à ce tout dire qui ne soit pas un déjà dit? Mais, comme si cela ne suffisait pas à rendre plus impossible encore la production littéraire, une injonction sinon contraire du moins contradictoire est apparue avec Auschwitz : reconnaitre l'impossibilité de dire les camps. La phrase d'Adorno, Surya y revient souvent pour dire qu'elle est presque toujours citée de manière erronée. Il y revient trop souvent et trop souvent avec la même colère pour qu'on ne soupçonne pas que cette phrase fait peser la menace de l'impossible. Et peut-on écrire, être philosophe et écrivain, vouloir tout dire et accepter, qu'après Auschwitz, une limite soit mise à ce tout dire? Evidemment non, si cette limite est dictée par une quelconque autorité. Evidemment oui, si cette injonction du tout dire provient d'une société qui érige la transparence comme mode de pensée et le devoir de mémoire comme dédouanement rapide."
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