adj. (lat. militaris, de miles, militis, soldat)
Qui concerne l'armée,
les soldats et, conséquemment, la guerre vers laquelle sont orientées les
institutions militaires. Ce mot désigne une mentalité, des moeurs, une
politique, une organisation ; il évoque des charges sociales, des tyrannies de caste,
de sanglantes suprématies, des entr'égorgements de peuples et, en général, un abaissement
du niveau humain qui ne peuvent que le faire haïr de tous les hommes libres.
Tous ceux qui pensent avec quelque indépendance, ont plus ou moins marqué de
réprobation l'esprit et les oeuvres militaires. Quelques citations typiques en
feront foi. Jusqu'aux grands de l'Église d'ailleurs qui, revenant, à certaines heures,
à la logique de leurs enseignements, en ont dénoncé les méfaits ! « Ce qu'il y
a de plus fatal à la vie humaine, c'est l'art militaire » (Bossuet). « Un
prince qui n'a eu que des vertus militaires n'est pas assuré d'être grand dans
la postérité » (Massillon) « Quinze ans de despotisme militaire changent tout
dans les moeurs d'un pays » (Mme de Staël). « L'éclat des succès militaires
éblouit même de bons esprits » (J. de Maistre). « La gloire militaire ne
justifie pas le despotisme, mais elle le décore » (Benj. Constant). « Une
démocratie n'existe plus là où il y a une force militaire en activité dans
l'intérieur de l'État » (Chateaubriand). « La servitude militaire est lourde et
inflexible comme le masque de fer du prisonnier sans nom » (Alf. de Vigny). «
La vie militaire est anormale et prive la société des hommes les plus forts »
(Maquel). « L'honneur militaire est le plus bizarre et le plus variable de tous
» (Valéry), etc...
L'art militaire est
proprement l'art de tuer. Le métier qu'il exige comporte un entraînement
systématique à la destruction des choses et des personnes ; il n'existe pas en
dehors d'une collaboration, selon certaines méthodes, aux crimes collectifs que
sont les guerres. La caserne et le service militaire obligatoire en ont
systématisé l'apprentissage... La justice, dite militaire, est rendue par un
conseil de guerre, c'est à-dire un tribunal où les chefs jugent leurs
subordonnés. Elle fonctionne, plus encore que la justice civile – qu'elle
méprise d'ailleurs, comme le proclamait, de façon typique, sous l'affaire
Dreyfus, le parti de l'État-major – avec un dédain insolent de l'équité. Elle
rend des sentences à la fois grotesques et terribles. Et elle fait exécuter –
préoccupée d'exemple ! – par ses camarades les malheureux que frappent ses
arrêts de mort. Pour les autres, elle a ses bagnes où opèrent des tortionnaires
raffinés. De la caserne à Biribi, de la discipline à la sanction disproportionnée,
de la brimade bouffonne et lancinante à la punition sadique, s'étalent
ridicules, tracassières et cruelles, des compressions de l'être humain qui sont
des vertus proprement militaires. Elles n'abdiquent à aucun moment, et la guerre
les connaît accrues et davantage florissantes...
En temps de guerre, les
actes de répression militaire sont caractérisés par des violences de toute
nature, dirigés contre des adversaires ou ennemis, contre des villes ou des
provinces, ou seulement contre des habitants, des prisonniers, des vaincus, par
ordre des chefs militaires et sous prétexte d'exemple ou de représailles. Aux
colonies surtout – où c'est d'ailleurs en permanence l'état de guerre, où sévit
en fait, sans interruption, l'occupation militaire, – combien d'actes infâmes
n'a pas couvert la prétendue civilisation ! Est-il besoin d'aller plus loin que
l'exemple, sous nos yeux, de ce que fait la France, en Indochine ; aux Indes,
l'Angleterre ? Le règne militaire incarne à merveille la domination du plus
fort. Le militaire colonisateur, qui porte à la pointe des baïonnettes les
bienfaits des « grandes » nations, s'accompagne souvent de ces deux auxiliaires
doucereux qui parfont sa tâche généreuse : la religion et l'alcool. « By the
Bible et by the gin » (comme disent les fils d'Albion, experts dans l'art du
rendement colonial), on obtient, les armes remises pour un temps au fourreau,
ce que n'a pu achever la conquête...
Dirons-nous, pour
compléter le tableau, quelques mots de cette discipline « qui fait la force
principale des armées », comme s'expriment les manuels d'instruction ?
Évoquerons-nous le dressage méthodique des unités confiées aux formations
militaires, le refoulement de la personnalité, l'obligation d'une obéissance
qui ne connaît ni raison, ni raisons. Pour les jeunes gens contraints à enfermer
dans les casernes une portion précieuse de leur existence, est-il souvenir plus
humiliant que cet abaissement devant le galon prestigieux, le silence devant une
« supériorité » toute d'arrogance et d'arbitraire ? Militaire est synonyme de soumission
aveugle, de mise à merci « sans discussion ni murmure ». L'esprit militaire
exige qu'on abdique, l'individualité est sa proie. L'armée s'applique à niveler
et à mâter les hommes dont elle s'empare. Elle prétend à l'obéissance passive.
Les oeuvres militaires s'accomplissent sous le signe d'une docilité totale et moutonnière.
Et c'est des troupeaux qu'elles ébranlent...
C'est assez dire que la
conception militaire est une force avec laquelle nous ne pouvons transiger et
qu'à sa mentalité, ses rouages et ses buts, nous opposons une critique et une
propagande incessantes. Contre elle, les libertaires ne marchandent ni leur
temps, ni leur liberté. Plus d'un a payé de sa vie la révolte contre ses
prétentions et ses crimes. Avec eux, les syndicalistes révolutionnaires, comprenant
quel levier de classe, quelle puissance anti ouvrière est l'armée, ont essayé
de sauvegarder les dignités menacées, de maintenir actives les énergies tapies
sous le joug parmi les jeunes travailleurs enrôlés. L'antimilitarisme agissant (voir
militarisme) est dans la logique de nos principes : il commande les
attitudes de tous les révolutionnaires éclairés qui voient, plus loin que les
coups de main de violence, une société affranchie des fléaux autoritaires.
Intense pendant les années qui précédèrent la guerre, l'effort antimilitariste
a souffert de l'écoeurement des foules trompées cherchant, quand elles ne
sombrent pas dans l'indifférence, une obscure revanche dans les illusions
bolchevistes. Comme si les mêmes armes et les mêmes moyens ne ramenaient pas
aux mêmes dangers et ne ressuscitaient pas des malfaisances du même ordre ! Le
peuple pour se défendre, ne peut favoriser la formation d'une nouvelle
organisation militaire qui, avec la même mentalité, se retournera de nouveau
contre lui, au service de quelque caste, ou de quelque aventurier...
Opposé au mot civil, le
mot militaire est un terme générique qui désigne l'ensemble de la force armée.
Il y a, entre les deux éléments, une démarcation plus nette encore dans le
langage vulgaire que dans le langage technique. Qui porte habit militaire
semble avoir revêtu un prestige et des vertus qui manquent aux autres mortels.
« Il fut un temps où le militaire s'imaginait volontiers appartenir à la race des
héros invincibles et traitait avec une désinvolture quelque peu dédaigneuse le simple
pékin. » Il y aurait de la naïveté à croire ces temps révolus. La recrudescence
des préoccupations militaires au sein des nations troublées d'après guerre a
ressuscité des prérogatives et ramené des délits de lèse-majesté qu'on croyait
à jamais disparus. Au pays de Voltaire, un regard nuancé d'ironie suffit à autoriser
les porteurs de galon à se croire insultés et à exiger contre vous des sanctions...
À l'heure où la France,
pour sauvegarder sa fallacieuse « victoire », porte à un si haut degré le mal
militaire, il est piquant de rappeler le jugement de celui qui, alors premier
consul, devait faire bientôt de l'Europe le champ-clos des armées : « Il ne
faut pas, disait-il, raisonner des siècles de barbarie aux temps actuels. Nous sommes
30 millions d'hommes réunis par les lumières, la propriété et le commerce. 3 ou
400 000 militaires ne sont rien auprès de cette masse. Outre que le général ne commande
que par les qualités civiles, dès qu'il n'est plus en fonction, il rentre dans l'ordre
civil. Les soldats eux-mêmes ne sont que les enfants des citoyens. L'armée, c'est
la nation. Si l'on considérait le militaire, abstraction faite de tous ces
rapports, on se convaincrait qu'il ne connaît point d'autre loi que la force,
qu'il rapporte tout à lui, qu'il ne voit que lui. »
« L'homme civil, au
contraire, ne voit que le bien général. Le propre du militaire est de tout
vouloir despotiquement ; celui de l'homme civil est de tout soumettre à la
discussion, à la vérité, à la raison. Elles ont leurs prismes divers, ils sont
souvent trompeurs ; cependant la discussion produit la lumière. Je n'hésite donc
pas à penser, en fait de prééminence, qu'elle appartient incontestablement au civil.
»
Si le guerroyeur
forcené de l'Empire a oublié le parallèle – peu flatteur pour le militaire –
tracé par Bonaparte, que dirons-nous de la cécité d'une République qui entretient
au paroxysme, sous des prétextes de sauvegarde, toutes les vertus qui alimentent
le césarisme ?...
-Georges YVETOT
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