dimanche 22 mai 2022

Grèves sauvages : spontanéité des masses Rosa Luxembourg/ F. Mehring Partie II

 Pendant cette phase, la classe ouvrière n'attendait rien du capitalisme parce qu'il n y avait rien à en attendre. La durée du travail augmentait, l'intensité du travail augmentait, le despotisme de fabrique se faisait plus absolu, les salaires n'augmentaient pas et les crises récurrentes condamnaient périodiquement au chômage, donc à l'insécurité et à la misère. Les premières organisations de défense ouvrière qui voient le jour dès cette époque sont réformistes mais sont le fait d'une minorité privilégiée. L'immense majorité n'attend rien que de la destruction du capitalisme.

Après la Commune de Paris, il n'en va pas de même. La répression féroce qui s'ensuivit détruisit un grand nombre de militants révolutionnaires, révéla la puissance formidable du capital et découragea de larges fractions de la classe ouvrière. Mais surtout, le capitalisme lui-même se transformait. le développement des forces productives, l'augmentation de la productivité du travail entraine la réduction du temps de travail nécessaire ( à la reproduction par l'ouvrier de la valeur équivalente à son salaire). Autrement dit, le capitalisme peut accorder aux travailleurs des augmentations de salaires, une réduction du temps de travail et divers avantages et garanties sociales, tout en augmentant le taux d'exploitation, donc la plus-value, et finalement ses profits. Cette transformation, qui se combine avec le développement de l'impérialisme, crée, dans le structure même du capital, la possibilité objective du réformisme. Il suffit de relire actuellement "la condition des classes laborieuses en Angleterre" d'Engels, ou tout autre ouvrage décrivant d'une manière objective la condition des travailleurs d'un quelconque pays d'Europe, pour mesurer l'ampleur des avantages non négligeables arrachés au capitalisme par la classe ouvrière, à la suite de luttes sévères et parfois sanglantes. Ces nouvelles conditions entrainent une modification profonde de la mentalité et de la pratique de cette classe.

Dans son ensemble, la classe ouvrière se rend compte qu'elle peut réellement obtenir des avantages non négligeables. C'est toujours une période de luttes intenses et brutales, mais la classe ouvrière reste sur le terrain de la société bourgeoise. Loin de n'avoir "rien à perdre que ses chaines" elle espère au contraire obtenir de la société bourgeoise elle-même, une amélioration de sa condition, et ses espérances sont vérifiées et dans une certaine mesure satisfaites. La lutte de classes continue avec une grande intensité mais ne vise plus la destruction des rapports marchands, mais seulement la défense de la condition et du statut des travailleurs. La classe ouvrière reste donc reliée pratiquement et idéologiquement à la société bourgeoise. Prolétariat et classe ouvrière ne coïncident plus. Ces concepts recouvrent des réalités différentes et de larges fractions de la classe ouvrière n'ont pas conscience d'être le prolétariat. La révolution prolétarienne est impossible. Il faut pour qu'elle redevienne possible que le mouvement même du capital et de sa crise (c'est la même chose) contraigne la plus grande partie de la classe à reprendre conscience des réalités.

De même que dans la période précédente, Marx et Engels ont été les principaux théoriciens, jusqu'ici non dépassées, du prolétariat révolutionnaire, dans cette nouvelle phase, Bernstein devient le théoricien de la classe ouvrière réformiste. Pour ce faire, il doit s'attaquer à tous les éléments de la conception marxiste. c'est pourquoi on trouve dans l'oeuvre de Bernstein, la totalité des thèmes et des arguments ultérieurement utilisés par les divers critiques de Marx, y compris par ceux qui se revendiquent du marxisme pour mieux trahir la perspective révolutionnaire.

Cependant, à la puissance vision de Bernstein, honnêtement et explicitement exposée, le mouvement ouvrier officiel, officiellement "marxiste" n'oppose la plupart du temps qu'une fade exégèse de ce qu'il est capable de retenir l'oeuvre de Marx, transformé en penseur génial, fondateur d'une orthodoxie qui a ses prêtres et ses inter-prêtres certifiés conformes. La révolution prolétarienne et le socialisme deviennent l'objet des discours dominicaux des "chefs socialistes" cependant que la pratique quotidienne du parti "marxiste orthodoxe" est conforme aux principes de Bernstein que l'on continue à vilipender le dimanche. Seule le courant de gauche, à l'intérieur de la social-démocratie, principalement illustré par Rosa Luxembourg et Pannekoek, défend l'essentiel de la théorie révolutionnaire. A cette phase correspond le développement des énormes institutions, partis et syndicats de la deuxième internationale, chargés de "défendre les intérêts des travailleurs". Les formes d'organisation du mouvement ouvrier de cette époque sont totalement différentes de celles du mouvement prolétarien de l'époque antérieure.

Il est important à cet égard de remarquer, en vue d'une appréciation correcte de l'oeuvre de Lénine ( à ne pas tout à fait confondre avec le crétinisme des léninistes) que celui-ci, bien qu'il effectue à partir de 1914, et sur la question de la guerre, une rupture effectivement révolutionnaire avec la deuxième internationale. jusqu'en 1914, il s'oppose à la gauche et se comporte en fidèle disciple russe de Kautsky. Ses thèses sur l'organisation et sur le prolétariat sont en tout point les thèses officielles de la social-démocratie allemande, bien qu'il ait été contraint de reconnaitre, sous la poussée du prolétariat russe dans la crise de 1917, que la classe ouvrière "était spontanément plus à gauche que tous les partis" et qu'il ait conformé sa pratique à cette analyse qui démentait toutes ses thèses passées (et futures). Cela restera son imprescriptible mérite de militant révolutionnaire.

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