Merde, encore un jour. Et elle
est là, avec son sourire foireux de femme aimante et souriante qui sera
présente jusqu’au bout : « je ne te laisserais pas mon
chéri. ». Je n’en veux pas de ta sollicitude.
Je tente de lever la main. Je
tente de caresser son visage. Comme j’aimerais la gifler pour la faire
m’oublier. Et je sculpte au scalpel un sourire d’amour. Et une balafre s’ouvre
dans mes entrailles. Je me tourne car je ne veux pas qu’elle me voit tel que je
suis. Pourtant, elle me connait. Je suis celui qu’elle n’aurait jamais voulu
connaitre ni aimer. Pas de bol ? Ce fut moi.
Regarde celui qui t’a pourri
toute ta vie. Il va partir et tu vas encore l’aimer. Tu vas encore parler de
lui avec un peu de rancune mais beaucoup d’amour.
Mais dis-le que je suis une merde
d’homme. Que je n’ai jamais rien fait pour toi.
Que je suis sale. Que je ne mérite l’amour de personne.
Dis-le. Dis leur à tous le
véritable homme que j’ai été. Ne jette pas de fleurs, je n’aime pas les fleurs.
Je maudis ton amour. Je le
maudis. Pourquoi ? Parce que si tu ne m’aimais, je mourrais tellement si
facilement. Sans jalousie. Sans souhaiter ta mort également. Accompagne-moi.
Viens avec moi. Ensemble au-delà de la vie et de la mort. Allez viens.
Mais non il faut que tu vives.
Tu te rends compte si Manoukian avait écrit une telle lettre à sa femme au
moment de partir ? Quelle image ! Serait-il ce héros que l’on aime
adorer ? Et pourtant lui aussi, il est mort. Bêtement. Dans le froid. Pour
des conneries qui n’étaient pas les siennes.
Oui, mais moi, ma guerre, mes
guerres, je les ai toutes perdues les unes derrières les autres. Toutes. Je
n’ai pas peur de le dire car je n’ai rien à foutre de ce que pourront penser
ces gens qui ne me connaissent pas. Qui se foutent de ma mort comme moi de leur
vie. M’ont-ils chié dans les bottes à me raconter sans cesse leurs malheurs,
leurs problèmes. M’ont-ils écouté raconter les miens ? Non. M’ont-ils accompagné
ces jours de maladie ? Non. Sont-ils là à soulager mon agonie ? Non.
Pourtant, ils pourraient être là, à baver sur celle qui va bientôt être libérée
de sa parole. Et pourquoi pas, maintenant, derrière cette porte que je n’ouvre
plus moi-même. Se faire prendre, là contre la porte. Avec ce souffle de la
jouissance qui viendrait me caresser la joue. Me frôler plus encore que la
mort. Mais non. Elle est seule. Les bruits de la cuisine, de la vie qui ne
s’ébat jamais assez loin de moi sont insupportables.
« Cesse de vivre »
je pourrais hurler, si les glaires ne cessaient d’obstruer mon gosier. Ils
m’ont dit qu’il est possible que je meure noyer. Et bien vivement. Et puis,
non, l’absence d’air est une souffrance. Plus qu’un estomac qui suppure dans un
ventre ? Peut-être.
Parfois mon propre râle me
réveille et je crois dormir près d’une bête. De toute façon, je dors seul. J’ai
toujours dormi seul. Comme une mort continuelle. Quotidienne. Ne peut expliquer
ce qui se vit, c’est une évanescence de soi-même qui s’extériorise dans la
continuité.
J’entends les donneurs de leçons : « la
mort, je ne peux pas en avoir peur, je ne connais pas ».
Moi, je n’ai pas envie de
connaitre. Regarde, même cette vie si misérable qui fut la mienne, comme celles
de milliards d’individus, on s’y accroche et on n’a pas envie de la laisser
partir, comme ça. Laconiquement, je dirais.
Non, on ne connait pas mais
qu’on est sûr que derrière il n’y a rien. Rien c’est rien. Sans me prendre pour
ce que je ne suis pas, je ne suis pas rien. Je suis un individu, un être humain
qui a fait aussi du bien. Peu. Selon mes moyens. Mais avec toute ma volonté. Ça
aussi, elle le dira. Et puis, elle dira ce qu’elle voudra, je n’en saurais
rien. Elle ne pourra jamais me haïr comme je l’ai aimé.
« La mort est un beau
voyage ». Mais non, c’est le surplace définitif. Tu ne bouges que parce
que l’on te déplace, sinon tu n’es plus rien. Une conscience qui est non
palpable qui devient soudainement rien. Une invisibilité qui va devenir
présente, prégnante.
Ils regarderont mon portrait
et se remémoreront les moments de bonheur. Ou de simulacre plus précisément. On
fait avec. On ne connait pas le bonheur étalon, ce ne sont que les sensations
que l’on ressent. On dit « tiens je n’ai pas trop mal, ça doit être ça le
bonheur ». Il ne peut se concevoir de bonheur total. Dans le même sens,
nous ne connaissons pas le malheur absolu. L’homme tente toujours de s’en
approcher. Il met tous les moyens dont il dispose à sa recherche. Mais le
bonheur, il ne le cherche pas. Il le fuit parce qu’il pense que c’est une
illusion. Mais pourquoi ne pas s’acharner à donner corps à une illusion ?
Mon chemin n’a été que ça et pour autant, ma vie a-t-elle état vide de
sens ? Ceux de l’extérieur ne pensent qu’au vide lorsqu’il regarde mon
passage sur terre.
Doit-on obligatoirement donner
un sens à sa vie ? C’est quoi « donner un sens ? »
L’éphémère du passage ne
devrait nous donner envie qu’au vagabondage, envie de musarder. De passer
agréablement ce temps si court à aimer, à la liberté. Mais non, l’issue qui est
celle qui inéluctable nous oblige pas à penser à l’instant présent, à combler
les vide de bruit et de fureur, pour ne pas avoir peur de la mort. Cette fin
qui s’avance « avec sa gueule moche » comme dirait Boris Vian.
Parfois, quand je ne fais pas
attention, je suis comme eux. Je donne de l’importance à l’illusion de
l’importance de la vie. Je joue un personnage sérieux qui pense à l’utilité de
sa fonction, de son rôle dans cet espace que je me suis imposé, ou que le
destin m’a fourni. Et puis, je me reprends, l’espace-temps que j’ai est si
court, et il court si vite, que je ne dois plus m’esquinter à vouloir en
combler l’espace par des futilités mais simplement, me replier sur les choses
importantes pour moi. Bakounine disait qu’il ne serait libre qu’au milieu des
hommes libres, mais il n’a fait que passer son temps en exil ou en prison. Sa
seule liberté fut celle d’avoir envie de matérialiser celle qu’il avait conçu
dans son esprit pour les autres et donc pour lui. Mais il n’a fait que
s’échapper de lui-même, tentant de se trouver chez les autres mais en fait,
n’a-t-il lui aussi combler un espace-temps ? De Stirner ou Bakounine, qui
s’est le plus approché de sa liberté ?
Le désenchantement est un
espace cicatrisationnel puisqu’il nous console de notre non-action, de notre
résignation. Est-il donc l’important de ceux qui ne conçoivent pas le sérieux
du temps sur terre ?
Mais je souffre. La vie est
donc bien réelle. J’actionne la pompe à morphine. Voilà, dans quelques minutes,
je serais peut-être moins vivant mais la douleur ne sera plus là.
Je ferme les yeux.
Et… ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire