mercredi 11 mai 2022

Celui dont le signe astral était la Mer. Par M.A. partie 3

 

Merde, encore un jour. Et elle est là, avec son sourire foireux de femme aimante et souriante qui sera présente jusqu’au bout : « je ne te laisserais pas mon chéri. ». Je n’en veux pas de ta sollicitude.

Je tente de lever la main. Je tente de caresser son visage. Comme j’aimerais la gifler pour la faire m’oublier. Et je sculpte au scalpel un sourire d’amour. Et une balafre s’ouvre dans mes entrailles. Je me tourne car je ne veux pas qu’elle me voit tel que je suis. Pourtant, elle me connait. Je suis celui qu’elle n’aurait jamais voulu connaitre ni aimer. Pas de bol ? Ce fut moi.

Regarde celui qui t’a pourri toute ta vie. Il va partir et tu vas encore l’aimer. Tu vas encore parler de lui avec un peu de rancune mais beaucoup d’amour.

Mais dis-le que je suis une merde d’homme. Que je n’ai jamais rien fait pour toi.
Que je suis sale. Que je ne mérite l’amour de personne.

Dis-le. Dis leur à tous le véritable homme que j’ai été. Ne jette pas de fleurs, je n’aime pas les fleurs.

Je maudis ton amour. Je le maudis. Pourquoi ? Parce que si tu ne m’aimais, je mourrais tellement si facilement. Sans jalousie. Sans souhaiter ta mort également. Accompagne-moi. Viens avec moi. Ensemble au-delà de la vie et de la mort. Allez viens.

Mais non il faut que tu vives. Tu te rends compte si Manoukian avait écrit une telle lettre à sa femme au moment de partir ? Quelle image ! Serait-il ce héros que l’on aime adorer ? Et pourtant lui aussi, il est mort. Bêtement. Dans le froid. Pour des conneries qui n’étaient pas les siennes.

Oui, mais moi, ma guerre, mes guerres, je les ai toutes perdues les unes derrières les autres. Toutes. Je n’ai pas peur de le dire car je n’ai rien à foutre de ce que pourront penser ces gens qui ne me connaissent pas. Qui se foutent de ma mort comme moi de leur vie. M’ont-ils chié dans les bottes à me raconter sans cesse leurs malheurs, leurs problèmes. M’ont-ils écouté raconter les miens ? Non. M’ont-ils accompagné ces jours de maladie ? Non. Sont-ils là à soulager mon agonie ? Non. Pourtant, ils pourraient être là, à baver sur celle qui va bientôt être libérée de sa parole. Et pourquoi pas, maintenant, derrière cette porte que je n’ouvre plus moi-même. Se faire prendre, là contre la porte. Avec ce souffle de la jouissance qui viendrait me caresser la joue. Me frôler plus encore que la mort. Mais non. Elle est seule. Les bruits de la cuisine, de la vie qui ne s’ébat jamais assez loin de moi sont insupportables.

« Cesse de vivre » je pourrais hurler, si les glaires ne cessaient d’obstruer mon gosier. Ils m’ont dit qu’il est possible que je meure noyer. Et bien vivement. Et puis, non, l’absence d’air est une souffrance. Plus qu’un estomac qui suppure dans un ventre ? Peut-être.

Parfois mon propre râle me réveille et je crois dormir près d’une bête. De toute façon, je dors seul. J’ai toujours dormi seul. Comme une mort continuelle. Quotidienne. Ne peut expliquer ce qui se vit, c’est une évanescence de soi-même qui s’extériorise dans la continuité.




J’entends les donneurs de leçons : « la mort, je ne peux pas en avoir peur, je ne connais pas ».

Moi, je n’ai pas envie de connaitre. Regarde, même cette vie si misérable qui fut la mienne, comme celles de milliards d’individus, on s’y accroche et on n’a pas envie de la laisser partir, comme ça. Laconiquement, je dirais.

Non, on ne connait pas mais qu’on est sûr que derrière il n’y a rien. Rien c’est rien. Sans me prendre pour ce que je ne suis pas, je ne suis pas rien. Je suis un individu, un être humain qui a fait aussi du bien. Peu. Selon mes moyens. Mais avec toute ma volonté. Ça aussi, elle le dira. Et puis, elle dira ce qu’elle voudra, je n’en saurais rien. Elle ne pourra jamais me haïr comme je l’ai aimé.

« La mort est un beau voyage ». Mais non, c’est le surplace définitif. Tu ne bouges que parce que l’on te déplace, sinon tu n’es plus rien. Une conscience qui est non palpable qui devient soudainement rien. Une invisibilité qui va devenir présente, prégnante.

Ils regarderont mon portrait et se remémoreront les moments de bonheur. Ou de simulacre plus précisément. On fait avec. On ne connait pas le bonheur étalon, ce ne sont que les sensations que l’on ressent. On dit « tiens je n’ai pas trop mal, ça doit être ça le bonheur ». Il ne peut se concevoir de bonheur total. Dans le même sens, nous ne connaissons pas le malheur absolu. L’homme tente toujours de s’en approcher. Il met tous les moyens dont il dispose à sa recherche. Mais le bonheur, il ne le cherche pas. Il le fuit parce qu’il pense que c’est une illusion. Mais pourquoi ne pas s’acharner à donner corps à une illusion ? Mon chemin n’a été que ça et pour autant, ma vie a-t-elle état vide de sens ? Ceux de l’extérieur ne pensent qu’au vide lorsqu’il regarde mon passage sur terre.

Doit-on obligatoirement donner un sens à sa vie ? C’est quoi « donner un sens ? »

L’éphémère du passage ne devrait nous donner envie qu’au vagabondage, envie de musarder. De passer agréablement ce temps si court à aimer, à la liberté. Mais non, l’issue qui est celle qui inéluctable nous oblige pas à penser à l’instant présent, à combler les vide de bruit et de fureur, pour ne pas avoir peur de la mort. Cette fin qui s’avance « avec sa gueule moche » comme dirait Boris Vian.

Parfois, quand je ne fais pas attention, je suis comme eux. Je donne de l’importance à l’illusion de l’importance de la vie. Je joue un personnage sérieux qui pense à l’utilité de sa fonction, de son rôle dans cet espace que je me suis imposé, ou que le destin m’a fourni. Et puis, je me reprends, l’espace-temps que j’ai est si court, et il court si vite, que je ne dois plus m’esquinter à vouloir en combler l’espace par des futilités mais simplement, me replier sur les choses importantes pour moi. Bakounine disait qu’il ne serait libre qu’au milieu des hommes libres, mais il n’a fait que passer son temps en exil ou en prison. Sa seule liberté fut celle d’avoir envie de matérialiser celle qu’il avait conçu dans son esprit pour les autres et donc pour lui. Mais il n’a fait que s’échapper de lui-même, tentant de se trouver chez les autres mais en fait, n’a-t-il lui aussi combler un espace-temps ? De Stirner ou Bakounine, qui s’est le plus approché de sa liberté ?

 

Le désenchantement est un espace cicatrisationnel puisqu’il nous console de notre non-action, de notre résignation. Est-il donc l’important de ceux qui ne conçoivent pas le sérieux du temps sur terre ?

 

Mais je souffre. La vie est donc bien réelle. J’actionne la pompe à morphine. Voilà, dans quelques minutes, je serais peut-être moins vivant mais la douleur ne sera plus là.

Je ferme les yeux.

 

Et… ?

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