Je pourrais prendre une date au hasard et dire, à ce moment, j’ai été heureux et rire à m’en faire péter ma trachéotomie. Mais ces dates-là n’ont jamais existé. Je ne peux que maudire ceux qui chantent à tue-tête qu’ils ont été heureux, accomplis.
Oui, j’ai eu des instants de
paix.
A Erquy, dans la nuit, lorsque
je sortais prendre l’air frais. Oui, j’aimais ces instants pendant lesquels
j’étais seul et mon esprit avait le droit de penser ce qu’il pensait sans
aucune censure. Je pouvais souhaiter la mort de qui je voulais, je pouvais
concevoir l’assassinat de qui je voulais. A ce moment-là, j’étais le plus fort,
le plus intrépide. Je’ n’avais peur de rien.
Ou alors, lorsque j’allais
encore à la montagne et que je m’enfonçais dans la foret en ne souhaitant
qu’une chose : que la neige recouvre mes pas et que je ne retrouve jamais
le chemin pourri de la civilisation. Mourir sans revoir un seul être humain.
Sans sentir le regard sale de celui qui te plaint, qui te comprend. Oui, lui,
il connait mieux la souffrance que toi. Il sait. Il n’a même pas besoin de
parler, il comprend.
Non tu ne comprends rien. Je
veux que tu n’aies jamais existé. Je ne veux plus voir tes yeux sales se poser
sur moi. Jamais, on ne meurt assez seul dans ce monde. Il y a toujours quelque
part quelqu’un qui pense à toi mais qui n’ai pas capable de prendre ta douleur.
Ah tu penses à moi, alors meurs à ma place. Ou alors, ce sont ces machines
bruyantes : machine à morphine, pompe à oxygène, monitoring…
Je souffre encore plus de
savoir que je ne vais pas être seul, qu’elle va poser ses yeux sur moi, qu’elle
va me plaindre. Je ne veux pas qu’on me plaigne, je veux que l’on me foute la
paix. Vouloir assister à la mort de son conjoint, c’est malsain. C’est malsain.
C’est montrer à l’autre que l’on va continuer alors que l’autre va s’arrêter.
L’autre continuera à rire, à bouffer, à sentir. Il y aura même un moment où
elle va de nouveau rire. Et pourquoi pas, pourquoi pas, ne va-t-elle pas
retomber amoureuse ? Refaire l’amour ? Se laisser pétrir par des
mains inconnues ? Peut-être même va-t-elle connaitre de nouveau un orgasme
et puis un autre ? Un chapelet d’orgasme alors que moi, je ne serais plus
rien. Putain, elle va m’imposer cela dans ses yeux qui pleurent soi-disant sur
moi. C’est ma mort, ce n’est pas la sienne. Encore une fois se sentir dépossédé
de quelque chose qui n’appartient qu’à moi.
Je ne veux plus penser à elle
et c’est à ce moment qu’elle entre et qu’elle demande comme une ceinture glacée
sur la peau tendue : « tu m’aimes ? »
Mais non, là, je n’aime
personne, je veux juste la paix. Je veux être seul. Je veux puer seul, je veux
me chier dessus sans que personne ne me plaigne. C’est la fin de ma vie. Pas de
celle d’un autre. Que l’on me laisse.
Et moi, je lui réponds :
« plus que jamais ». Comme une blessure encore plus profonde que le
mal que je ressens. Je ferme les yeux. La dernière fois ?
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