La première
question que s'est posée de tout temps l'homme qui pense, qui
réfléchit et analyse les causes et les effets est certainement
celle-ci : Quels rapports y a-t-il entre moi et mes semblables, entre
moi et les bêtes, les plantes, le règne minéral, entre moi et les
astres, quel est le lien qui me relie à l'Univers? Cette pensée est
à l'origine de toutes les religions, dont l'étymologie du mot latin
vient du verbe religare, qui signifie lier. Primus deos fecit timor
L'homme primitif était ignorant et, comme tel, dominé par la
crainte - qui rend féroce - des phénomènes de la nature qu'il ne
savait pas s'expliquer. Aussi se créa-t-il une religion
anthropomorphiste grossière et à l'image de son cerveau
rudimentaire. Dieu naquit de son cerveau sous forme d'un être
suprême que son imagination plaça - contradictio in adjecto -
au-dessus de l'Univers, créé et gouverné par lui selon sa seule et
unique volonté divine et despotique. La notion absurde d'un Dieu
au-dessus de l'Univers, du Grand Tout est l'image subjective de
l'Eternité, niais, au point de vue objectif, qui est celui de
l'Univers englobant temps et espace, la notion Eternité est non
existante. Ce Dieu féroce et tout-puissant, et comme tel responsable
de tout ce qui existe, condamna sa création en naissant à la peine
capitale, c'est-à-dire à la mort, et fit de la vie un incessant
struggle for life, une guerre d'extermination de tous contre tous
dans un monde hiérarchisé et peuplé de demi-dieux, de rois et de
princes, représentants ici-bas de son règne arbitraire et
autocratique... Les millénaires succédèrent aux millénaires, les
siècles aux siècles et, au fur et à mesure que l'humanité se
dégagea de l'animalité et que la planète devint plus habitable, le
fantôme Dieu recula devant la conscience humaine grandissante.
Athènes, la Renaissance, la Révolution Française, sont les trois
points lumineux dans l'affreux cauchemar qu'est l'histoire de
l'humanité et ce sont ces trois époques qui dessillèrent enfin nos
yeux et permirent à la pensée scientifique, portée sur les ailes
de la lumière, de vaincre Dieu et de prendre son vol vers l'infini.
Le grand XVIIIème siècle, le siècle de l'Encyclopédie avec ses
géants de la pensée : Voltaire, Jean-Jacques Rousseau, Diderot,
Holbach, Helvétius, Lavoisier, a, en parachevant l'œuvre de la
Renaissance, définitivement ruiné la conception géo et
anthropocentrique, qui voyait, d'après la Bible, dans notre Terre le
centre de l'Univers et dans l'homme le but de la création. La
Révélation en est morte.
Le XIXème
siècle, le siècle des sciences exactes, a prononcé
péremptoirement, de son côté, que rien ne se perd ni ne se crée,
que l'Univers est d'unité constitutive, simultanément cause et
effet, qu'il est éternel dans l'interdépendance du temps et de
l'espace et que dans l'Univers, qui se gouverne luimême sans
maîtres, par des forces inhérentes à la matière éternellement en
gestation, il ne saurait y avoir de place pour un être suprême et
parfait en dehors et au-dessus de lui... La donnée évolutionniste a
vaincu le mythe créationniste et Dieu s'est évanoui à jamais,
comme une brume malsaine. L'Univers illimité dans l'espace, éternel
dans le temps et aux formes essentiellement passagères et fugitives
que revêt la vie dans ses manifestations individuelles pose à notre
esprit d'investigation ce point d'interrogation hardie : Y a-t-il
dans l'Univers une loi de Progrès éternel dont il est mû dans son
ensemble? La réponse affirmative à ce point d'interrogation
énigmatique comporte pour un lointain avenir, encore impossible à
déterminer, non certes la résurrection individuelle et personnelle
de toutes les vies passagères, mais leur survie impersonnelle dans
l'universelle conscience d'un cosmos tellement évolué qu'il aurait
une sorte de conscience collective de tout son passé, présent et
avenir et jusque dans ses moindres détails. Ce serait l'immortalité
consciente du Grand réalisant, sous une autre forme, les rêves
étoilés et parfumés de vie éternelle que fait miroiter devant nos
yeux notre instinct de conservation personnelle. Dans le cas
contraire, notre vie, exempte de toute théologie, n'est qu'une
étincelle entre deux nuits éternelles et les morts sont bien morts
et ne ressusciteront jamais de la poussière, c'est-à-dire de
l'éther cosmique, leur demeure dernière. L'hypothèse, ou pour
mieux dire la parenthèse ainsi ouverte ressemble étrangement, en
attribuant toutes les horreurs au passé et toutes les perfections à
l'avenir, à l'ancienne croyance au Diable et à Dieu et n'est, en
dernière analyse, qu'une métamorphose nouvelle du principe du Mal
et du principe du Bien, faux tous les deux. Ici, la synthèse du
problème de « Dieu et du Diable », de la thèse du Bien et de son
antithèse du Mal ne pourra être révélée que par la connaissance
approfondie des mouvements, probablement sinusoïdaux, des Voies
lactées et celle de la propagation de la gravitation, dont la
vitesse doit être infiniment plus grande que celle de la lumière,
ce qui permettrait à un observateur hypothétique, mû par une telle
vitesse, de voir les événements à rebours, c'est-à-dire les décès
d'abord, les naissances ensuite. Quel complément imprévu et
suggestif à l'interdépendance du temps et de l'espace! Quoi qu'on
puisse dire et penser, l'homme évolue, c'est incontestable,
l'humanité évolue, on ne saurait le nier. Notre terre évolue, les
astres évoluent, c'est dans la logique. Mais, dans ce cas, ne
paraîtrait-il pas logique d'admettre également que les cieux,
c'est-à-dire la succession des étoiles et l'éther, leur commune
origine, évolueraient et progresseraient éternellement, la matière
étant une et indivisible partout?
La vérité
objective, la vérité vraie, pouvons-nous la connaître? Peut-elle
exister?
Relativement
à nous, le présent mathématique est, pour ainsi dire, non existant
et notre vie est faite de notre passé et du devenir de notre futur.
Pour l'Univers pourtant, c'est toujours aujourd'hui et l'Eternité
n'existe pas. Une philosophie scientifique prétend qu'il n'y a pas
de limites pour l'infiniment grand et que l'atome est théoriquement
divisible à l'infini. Pour les plus grands corps, les astres
proprement dits, cette affirmation est erronée, les étoiles
supergéantes connues, comme Betelgueuse et Antares, ayant
respectivement des volumes valant 27 millions et 113 millions de fois
celui de notre soleil. Quant aux atomes, divisibles à l'infini et
tourbillonnant les uns autour des autres avec des vitesses analogues
et des distances en proportions minuscules égales à celles qui font
graviter notre planète autour du soleil, les avis sont partagés,
parce que des chimistes très compétents aussi prétendent qu'il y
aurait 30 quintillions d'atomes dans un millimètre cube... et qu'à
un moment donné - les spiritualistes ont beaucoup divagué à ce
sujet - l'atome, en éclatant, se transformerait en électricité.
Mais l'électricité, c'est, comme la lumière, de la matière, de
cette matière que nous sommes portés à considérer, relativement à
nous, dans ses formations comme infiniment grandes et infiniment
petites, mais qui, en réalité, doit être une, continue. Et, avec
tout cela, qu'advient-il de notre parenthèse d'immortalité
matérialiste et de la loi du Progrès appliquée à la succession
des voies lactées, déjà repérées à plus d’un million avec des
milliards de soleils et qui, séparées les unes des autres par des
millions d'années de lumière, naissent, meurent et renaissent après
des quatrillions et des quintillions d'années d'existence
éternellement du sein du cosmos, comme le phénix de la légende
égyptienne?! En attendant que nous trouvions la réponse à notre
question dans la manière de se comporter de ces grandes unités de
systèmes de mondes que sont les voies lactées, molécules
elles-mêmes d'agglomérations de soleils constituant leurs atomes,
nous considérons d'ores et déjà comme acquise la certitude de
l'unité du Grand-Tout se gouvernant, sans intervention d'une force
extérieure et uniquement d'après des lois inhérentes à lui-même.
Dans ces conditions, force nous est faite de placer la recherche de
la vérité au-dessus de nos désirs et de nos craintes, en nous
considérant toujours comme solidaires de tout ce qui nous entoure,
hommes, bêtes, plantes et choses, solidaires du passé, du présent
et de l'avenir, de toute la nature organique et inorganique de
laquelle le grand devin Gœthe a dit qu'elle « verkoerpert den Geist
und durchgeistigt den Koerper », c'est-à-dire matérialise l'âme
et divinise le corps. Pour projeter un peu plus de lumière dans
l'inextricable labyrinthe de l'éternel devenir, je me résume en
précisant : J'ai dit que l'Univers d'unité constitutive était
simultanément cause et effet et qu'il était éternel dans
l'interdépendance du temps et de l'espace. De ces affirmations, que
temps et espace étaient des notions subjectives se rapportant à
nous, êtres fugitifs, j'ai conclu qu'objectivement l'Eternité était
non existante. Du fait que l'homme et l'humanité évoluent, je
déduis qu'il devrait également en être ainsi des astres, des voies
lactées et de l'éther, matrice des mondes. Je m'inscris ensuite en
faux contre la conception qu'il n'y aurait pas de limites pour les
corps infiniment grands et que l'atome serait théoriquement
divisible à l'infini. Pour étayer cette affirmation, je cite les
plus grands soleils connus et les atomes qui en éclatant se
transforment en électricité, et j'arrive à la conclusion, aussi
bien en me basant sur les radiations des étoiles que sur la
transformation des atomes en électricité, que la matière est
indivisible, une, continue. Pour ce qui est d'une loi de progrès
éternel, embrassant l'ensemble de l'Univers, ce qui sous-entend pour
son passé lointain la plus insondable des horreurs jusque dans ses
moindres détails, il est possible que j'aie été, en écrivant
cela, involontairement le jouet de notre instinct de conservation,
dont toute idée de survie n'est qu'un mouvement réflexe. Notre
existence humaine est l'image en raccourci de ce qui se passe dans
l'ensemble de la nature et notre âme naît avec le corps dont elle
fait partie, croît, arrive à son apogée, décline, se désagrège
et retourne avec lui au Grand-Tout. C'est là, dans la Vie et dans la
Mort, lois de l'Univers, qu'est toute l'explication de la légende de
Dieu et du Diable, du principe du Bien et du Mal. Les toutes
dernières découvertes sur la structure de l'Univers nous mettent
sur une voie qui permettra à un proche avenir de solutionner, sans
recourir au miracle ni à la prestidigitation spiritualiste, les
problèmes des atomes, des étoiles supergéantes, et aussi ce qu'il
y a de vrai dans l'idée du progrès éternel et de l'immortalité.
Elucider est bien, mais n'est pas encore répondre et la question du
pourquoi, n'en déplaise aux mânes de notre grand précurseur, Louis
Büchner, s'impose autant à nos recherches scientifiques que celle
du comment dans un monde où, contrairement à Camille Flammarion, il
ne saurait y avoir ni plan arrêté ni cause finale. En attendant que
la science nous fournisse les précisions qui nous manquent, nous
pouvons cependant conclure dès maintenant : Premièrement, que tout
est matière et vie en même temps dans l'évolution immortelle et
illimitée, progressive et régressive de l'ensemble de l'Univers,
mais que seules les manifestations individuelles que revêtent la
Matière et la Vie sont essentiellement temporaires, passagères et
fugitives. C'est là le « Weltschmerz » la douleur inhérente à la
vie, de Schopenhauer. Deuxièmement, que l'éternité de l'Univers
est démontrée inéluctablement, mathématiquement par le fait de
son existence. Nos calculs actuels révèlent une étendue du cosmos
explorée dépassant un diamètre de 300 millions et une périphérie
d'un milliard d'années de lumière et dont l'âge se chiffre par des
quintillions de siècles. Si cette fraction du Grand-Tout, avec son
million de voies lactées aux dimensions comparables à la nôtre et
qui se meuvent dans l'espace à raison de 600 à 1.000 kilomètres
par seconde - les étoiles ne marchent, en moyenne, qu'à 40 et 60 km
par seconde - était limitée, elle se serait depuis longtemps
agglomérée sous l'action de la gravitation. Or, comme il n'en est
pas ainsi, nous ne pouvons conclure qu'à l'éternité de l'Univers.
A ceux - et ils sont, hélas, nombreux - qui s’élèvent encore
avec effroi et horreur contre la conception d'un monde sans Dieu ni
immortalité personnelle, sans hiérarchie sociale ni sanction
d'aucune sorte, sans sentiment du Devoir tutélaire et où les
frontières du Bien et du Mal ne sont séparées par aucune cloison
étanche, à tous ces timorés nous ferons simplement remarquer ceci
: Notre seul et unique objectif est la recherche de la Vérité et
nous n'avons cure de plaire ou de déplaire à autrui ni à
nous-mêmes. Toutes les sociétés du présent ou du passé ont été
basées sur une éthique de contrainte et de devoir et les
persécutions de l'Inquisition catholique valaient celles de Néron,
qui n'a pas fait périr autant de gens que la Guerre du Droit et de
la Justice de 1914-1919! L'homme n'ayant pas demandé de maître et
la vie n'ayant pas de but en dehors d'elle-même, le droit à
l'existence doit précéder le devoir de travailler et le seul moyen
pour chacun de vivre sa vie le plus heureusement et le plus utilement
possible est d'assurer préalablement, pour tous les hommes et pour
toutes les femmes, l'Egalité économique, clé de voute de
l'affranchissement intellectuel et de la solidarité morale de
l'espèce humaine.
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