Comme
le mot âme (voir ce mot) dont il a la même signification latine, le
mot esprit est un terme vague, imprécis, dont la définition varie
selon les doctrines philosophiques qui, toutes, s'y sont plus ou
moins intéressées (Sébastien Faure, E. A., p. 44). Les divers
dictionnaires que nous consultons nous disent que l'esprit est une
substance incorporelle, immatérielle, le souffle vital qui anime les
corps et les fait agir. « C'est un mot », nous dit Voltaire, à la
huitième question de son Philosophe ignorant, « qui, originairement
signifie souffle et dont nous nous sommes servis pour tâcher
d'exprimer vaguement et grossièrement ce qui nous donne des pensées.
Mais quand, même par un prodige qui n'est pas à supposer, nous
aurions quelque légère idée de la substance de cet esprit, nous ne
serions pas plus avancés ; nous ne pourrions jamais deviner comment
cette substance reçoit des sentiments et des pensées. Nous savons
bien que nous avons un peu d'intelligence, mais comment l'avons-nous?
C'est le secret de la nature ; elle ne l'a dit à nul mortel »
(VOLTAIRE). Aux mots spiritualisme et matérialisme, il sera traité
plus profondément des diverses doctrines philosophiques et
scientifiques qui se sont occupées à rechercher ce qu'était
l'esprit ; disons ici, brièvement, que pour nous, l'esprit est une
force née de la matière, inhérente à la matière et qu'il ne peut
être la manifestation d'une puissance immatérielle détachée de
toute substance corporelle. Si l'on considère le corps humain comme
un composé chimique, l'esprit est la flamme qui jaillit de ce corps,
comme le jeu jaillit d'une allumette chimique par le frottement de
celle-ci sur un frottoir approprié. Voyons maintenant de quelle
façon ce terme est usité généralement. Le Saint-Esprit, selon le
dogme catholique, est la troisième personne de la Trinité : le
père, le fils et le Saint Esprit. On connaît la légende. C'est le
Saint Esprit qui engrossa Marie, la femme de Joseph. « Maria étant
grosse par l'opération du Saint Esprit... et son mari, Joseph, homme
juste ne voulant pas la couvrir d'infamie, voulut la renvoyer
secrètement. Un ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : «
Joseph, fils de David, ne craignez point de revoir votre femme Maria,
car ce qui est en elle est l'œuvre du Saint Esprit. Or, tout cela se
fit pour remplir ce que le Seigneur a dit par son prophète : Une
vierge en aura dans le ventre et elle fera un enfant, et on appellera
son nom Emmanuel » » (Evangile selon Matthieu, chap. I, v. 29). Ne
soulignons que de quelques mots l'absurdité d'une telle légende
qui, cependant, forme la base de toute la religion chrétienne. Il
est douteux qu'un homme, quels que soient son fanatisme et son
attachement aveugle à l'idée d'un Dieu purement spirituel accepte
de nos jours un telle explication de la grossesse de sa femme.
Pourtant, logiquement, ce que le Saint Esprit fit hier il peut le
refaire demain, sa volonté étant impénétrable pour les pauvres
hommes que nous sommes et sa puissance étant infinie. Mais si,
idéologiquement, philosophiquement, le croyant accepte le dogme de
l'église catholique, pratiquement il n'en est pas de même et le
Saint Esprit est une puissance qu'il a adaptée à sa vie matérielle
et qu'il veut bien adorer à la condition qu'elle ne vienne pas
troubler son existence charnelle. On donne également le nom
d'esprits à tous les êtres « incorporels » du monde invisible,
traités dans la science théogonique qui est l'étude sur la
généalogie et la filiation, des dieux. Dans toutes les vieilles
traditions polythéistes on trouve trace de ce monde des esprits et
Hésiode le poète grec du VIIIème siècle avant J. C. déclarait
qu'il y avait 30.000 esprits qui dirigeaient et surveillaient les
actions des hommes. Les cabalistes donnaient à leurs « esprits »,
anges ou démons, des noms particuliers ; c'est ainsi qu'ils
nommèrent sylphes les esprits de l'air ; gnomes, ceux de la terre ;
ondins, ceux des eaux ; salamandres, ceux du feu, etc., etc. Toutes
ces croyances anciennes, ces erreurs du passé, dues à l'ignorance
n'ont pas été sans imprimer fortement d'un certain fanatisme les
générations qui se sont succédées et si ce fanatisme disparaît
au fur et à mesure que s'étendent les connaissances humaines, les
progrès de la science et de la philosophie sont tellement lents que
le cerveau humain est encore de nos jours imprégné de toutes les
traditions ancestrales. Bon nombre d'individus, sans être attachés
à des croyances particulières, s'imaginèrent être sous
l'influence des « esprits du bien ou du mal » qui déterminaient
leurs actions, bonnes ou mauvaises. D'autres crurent sincèrement
qu'après la mort l'esprit se détache du corps humain et va habiter
le corps d'animaux inférieurs ; selon d'autres encore l'esprit plane
au-dessus des hommes et descend parfois parmi eux et substituent
leurs pensées à celles de certains hommes. Anarchistes, nous ne
pouvons admettre une telle manifestation de l'esprit, car ce serait
accepter la conception du « spiritualisme » qui reconnaît un
esprit distinct de la matière et d'où découle fatalement la
conception de l'immortalité de l'âme. Le spiritisme qui est une «
science » relativement jeune et qui étudie les conditions
d'existence de l'esprit a donné naissance à un charlatanisme tel,
qu'il est difficile de reconnaître les chercheurs sérieux des
charlatans exploitant la crédulité humaine. Nous devons cependant
reconnaître qu'il existe des problèmes inconnus et par conséquent
il serait puéril de rejeter impitoyablement sans les avoir
approfondies, les démonstrations des esprits. Nous pensons cependant
que le spiritisme est plus une doctrine occulte qu'une science et
que, mieux que lui, la psychophysiologie ou physiologie psychologique
arrivera à résoudre la solution du problème, en nous initiant aux
rapports de l'âme, de l'esprit et du corps. Dans le langage courant,
on désigne par le mot esprit l'ensemble des facultés
intellectuelles. « Dans le langage philosophique, dit La Harpe,
l'esprit n'est que l'entendement, la faculté pensante. Dans l'usage
commun, le manque d'expressions nécessaires pour rendre chacune de
nos idées, a fait donner généralement le nom d'esprit à l'une de
ces qualités, dont l'effet est le plus sensible dans la société, à
la vivacité des conceptions ». Et Montesquieu nous dit que l'esprit
consiste à reconnaître la différence des choses diverses et la
différence des choses semblables ». L'esprit, tel que ce mot est
employé communément est donc la faculté de concevoir, de comparer,
de juger, de raisonner, et c'est en effet dans ce sens qu'il est
usité le plus souvent. Il est synonyme d'intelligence et on dit
souvent « un homme d'esprit » pour un homme intelligent. En outre
le mot esprit est employé dans une foule de formules. Rendre
l'esprit : pour mourir ; perdre l'esprit : avoir l'esprit du commerce
; la présence d'esprit ; un esprit brouillon ; un bel esprit, un
esprit fort ; l'esprit de famille, de corps, etc., etc... Si avoir,
de l'esprit est une qualité, gardons-nous cependant d'en faire à
tout propos et hors de propos, car a dit Casimir Delavigne : «
L'esprit qu'on veut avoir gâte celui qu'on a ».
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