C'est
l'action, l'art, la profession de fournir des connaissances en vue
d'un certain but ; ces connaissances elles-mêmes. On le divise
généralement en enseignement primaire, enseignement secondaire et
enseignement supérieur ; il compte en outre des écoles spéciales
ou professionnelles. L'enseignement primaire fournit les quelques
connaissances nécessaires et suffisantes pour le peuple : lecture,
écriture, etc... Dans la plupart des nations civilisées, il est
obligatoire (de six à treize ans en France), ce qui a tenu les
gouvernements de le rendre gratuit, ou payant proportionnellement aux
ressources des parents. Enfin, il est généralement laïc, c'est-à
religion. La bourgeoisie complète ordinairement son instruction dans
les collèges ou lycées. Cet enseignement secondaire, qui se termine
par le baccalauréat, sert de transition entre l'enseignement
primaire et l'enseignement supérieur. Celui-ci embrasse les hautes
études : lettres, sciences, langues (vivantes et mortes),
philosophie, médecine, droit et théologie. En France, il se donne
dans les Universités, et chaque branche d'enseignement forme une
Faculté. Certains cours sont publics. Une série d'établissements
scientifiques et d'enseignement supérieur relèvent directement du
ministre de l'Instruction publique ; tels le Collège de France,
l'Ecole normale supérieure, l'Ecole polytechnique, et l'Institut de
France, réunion des cinq académies : Française ; des Inscriptions
et Belles-Lettres ; Sciences morales et politiques ; des Sciences ;
des Beaux-arts. Chacun tend à durer, et réclame un enseignement
correspondant à ses besoins. Le dévot demande à l'enseignement des
exemples de piété pour édifier et fortifier l'âme ; l'artiste,
les connaissances techniques indispensables pour s'adonner à l'art.
L'homme du monde s'intéresse à ce qui fait briller, le « sauvage »
à ce qui lui procure l'indépendance. Chacun abonde dans son sens.
Suivant son intérêt ou ses opinions, il favorise plus ou moins la
culture de la sensibilité, de l'intelligence ou de la volonté. De
là, la tendance de toute institution à avoir un enseignement
particulier, et les luttes dont l'enseignement a été et sera le
théâtre. Ce fait explique aussi pourquoi chaque gouvernement n'est
susceptible que d'un certain degré de rationalisme dans son
enseignement, degré proportionnel à son libéralisme, et qu'il ne
dépasse pas, sous peine de suicide, même quand la science et
l'expérience ont démontré la nécessité d'une réforme.
L'enseignement officiel est donc foncièrement conservateur ; quant à
l'enseignement privé - qualifié de « libre » - il n'est guère
donné que par des sectes religieuses franchement réactionnaires. On
comprend pourquoi l'enseignement est, d'une part, encombré d'un
fatras inutile et désuet, et d'autre part, muet ou mensonger sur des
chapitres de la plus grande actualité : on préfère la fortune à
la révolution ! Il y a quelques années, en Hollande, j'eus
l'occasion de causer tour à tour avec plusieurs soupirants au
baccalauréat. Au sujet du socialisme, tous, de l'air supérieur de
celui qui sait, me dirent à peu près la même chose : « Heu! si
chacun recevait un jour vingt florins comme sa part de la fortune
générale, l'inégalité serait rétablie dès le lendemain, les uns
ayant dépensé leur avoir, les autres ayant fait profiter le leur...
» L'année suivante, un jeune bachelier français me dit la même
chose ; à l'école primaire, j'ai entendu le même jugement de la
part de mon instituteur ; cet « argument » avait fait sur la classe
une grande impression, sur laquelle plusieurs élèves sont sans
doute restés. Le socialisme mériterait pourtant qu'on l'examinât
d'un peu plus près! Quant à l'anarchisme, l'histoire fournit
l'occasion d'exprimer l'opinion officielle à son sujet, grâce à
l'assassinat du président Carnot : « Ce sont des criminels ne
reconnaissant ni gouvernement ni patrie » (Histoire de France, E.
Lavisse). Je serais pourtant curieux de savoir comment on en parle
dans la République prolétarienne russe... Pour le personnel
récalcitrant, l'Etat dispose de mesures disciplinaires allant
jusqu'à la révocation. On connaît le cas typique de l'illustre
Michelet, dont les cours au Collège de France furent plusieurs fois
suspendus et repris, suivant le flux et le reflux des événements
politiques. C'est d'ailleurs le plus souvent avec fierté que
l'instituteur se met au service de la conservation sociale. Sortant
du peuple, il a le respect du bourgeois ; il est fier de raisonner
comme lui, et affiche beaucoup de dédain pour l'ouvrier... Il montre
volontiers patte blanche à ses supérieurs, à cause de
l'avancement. Rappelé à ses origines ces dernières années par le
malaise économique, il semble acquérir peu à peu une conception
plus élevée de sa valeur : nous verrons ce que vaut cette évolution
quand la pitance sera redevenue suffisante. Puisque chacun conçoit
l'enseignement au mieux de ses intérêts personnels ou de classe, il
convient d'y regarder à deux fois avant que d'avoir recours à
l'enseignement donné par ses ennemis. Les catholiques l'ont très
bien compris, qui multiplient partout leurs écoles primaires,
secondaires et supérieures, malgré toutes les garanties de
neutralité données par l'Etat. C'est qu'un enseignement n'est
jamais neutre ; on peut toujours interpréter les faits de manières
diverses : il suffit de constater la division des savants, la
contradiction de leurs théories et de leurs méthodes pour en être
convaincu. Les anarchistes ont aussi effectué plusieurs tentatives
sur ce terrain. L'Ecole moderne, de Ferrer, la Ruche de Sébastien
Faure, l'Avenir social de Madeleine Vernet, mais ces entreprises,
bien que très intéressantes, ne sont qu'individuelles. Beaucoup de
camarades croient avoir tout fait en arrachant l'enfant à
l'influence du clergé : c'est un tort. La routine intéressée, la
morale pestilentielle du christianisme gangrène presque autant
l'enseignement de l'Etat : il faut en préserver nos enfants. (Voir à
ce sujet l'étude substantielle de Stephen Mac Say : La Laïque
contre l'Enfant). Je ne pense pas qu'on puisse « faire des hommes »,
selon l'expression courante, mais par contre, je suis certain que la
négligence des parents en empêche beaucoup de le devenir. L'homme
d'avant-garde devrait réfléchir à ce fait et, avant que de
s'abandonner au pessimisme, se demander : « Pourquoi laissons-nous
capter à la source l'avenir de notre mouvement? » Un besoin de
propagande positive semble s'affirmer depuis quelque temps chez les
anarchistes : vont-ils enfin se décider à entreprendre le
principal? Vont-ils enfin créer leur enseignement? Dans cette
optimiste attente, les parents de bonne volonté chercheront, dans
les revues pédagogiques, de quoi corriger et compléter
l'instruction primaire de leurs enfants et - pourquoi pas? - de quoi
l'entreprendre eux-mêmes... (Voir entre autres : L'Ecole Emancipée,
à Saumur.)
-
L. WASTIAUX
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