vendredi 25 octobre 2019

Individualisme Partie 6 Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure


Si l’œuvre individualiste consiste en la culture de l’être humain pour l’épanouissement de ses facultés les plus nobles, pour la floraison des virtualités qui sont en lui, il faut que les racines de la plante humaine puisent en un certain sol le suc nourricier nécessaire à un tel épanouissement, à une telle floraison. Le sol, c’est le socialisme individualiste. Le suc nourricier, c’est la liberté. Mais, spécifions : la liberté positive. Non pas la liberté métaphysique, illusoire, des théoriciens de l’hypocrite antiétatisme des bourgeois. Pas davantage celle du puéril anarchisme mystique, liberté latente qui surgira comme une aimable fée dès que la révolution sera faite et ensuite demeurera immanente.
Ce suc nourricier, c’est la liberté que poursuit l’individualiste libertaire tel que je le conçois, se trouvant en cela d’accord avec le socialiste éclairé : la liberté-puissance, la liberté-pouvoir de faire, qui ne saurait exister sans une garantie que seule une société organisée - et organisée pour la justice - peut procurer ; la liberté qui n’est pas plus immanente que latente, la liberté qu’on fait et qu’on instaure et dont le synonyme est puissance ou pouvoir.
Les moyens de l’instaurer pourront, aux yeux des fidèles de la liberté mystique, sembler être le contraire de la liberté. Naturellement. Non moins naturellement, les bénéficiaires de tout acabit de l’ex-autorité bourgeoise détrônée diront que la liberté est morte. Certainement, défunte sera leur liberté... de priver les autres de liberté.
Mais, en dehors de ce que nos rêveurs ont une conception mystique de la liberté et que les bénéficiaires de l’autorité de privilège ont intérêt à entretenir la conception fausse de la liberté qui leur assure automatiquement des privilèges, le fait futur (d’ailleurs déjà constaté en Russie) que la liberté positive n’apparaîtra pas immédiatement aux yeux des rêveurs de l’anarchie mystique après une révolution s’explique par cette raison que rien, en matière d’évolution sociale, même sanctionnée par la révolution, ne se réalise brusquement. Si une mesure libératrice est imposée sans qu’elle soit mûre depuis longtemps dans les esprits, c’est-à-dire si elle n’a pas été préparée par l’éducation, un retour en arrière ne tardera pas à se produire. Puisqu’on demandait la liberté, c’est qu’elle n’existait pas ; il fallait donc la créer ; mais il ne suffit pas pour cela de dire : « Nous sommes libres ! »
A part des obstacles à sa propre liberté que l’homme porte en lui-même, il existe les ennemis extérieurs de la liberté réelle. Ceux-ci doivent être matés aussi bien que ceux-là surmontés. Et parmi ces ennemis extérieurs, chose triste à dire, on trouve non seulement les anciens bénéficiaires de l’ordre de choses qu’on a cherché à abolir et leurs esclaves abrutis, mais encore ces visionnaires qui entretiennent une conception mystique de la liberté, qui pensent qu’elle existe à l’état latent - où ? dans l’air ? - et que le coup de baguette magique d’une révolution, voire le simple désir de la liberté entretenu par une infime minorité d’individus, va la faire surgir.
Il est de première nécessité d’abolir dans la mentalité des humains de bonne volonté transformatrice cette conception mystique de la liberté pour y substituer sa conception réaliste : la liberté-puissance, la liberté-pouvoir de faire, la liberté positive.
En principe, l’avènement de cette liberté réelle ne peut être efficacement préparé que par l’éducation, une éducation individualiste libertaire généralisée accomplie dans le sens exposé ici. Un essai d’imposer cette liberté réelle peut être fait brusquement, comme en Russie ; mais on connaît les résultats de cette méthode. Les divers ennemis précités de la liberté réelle, les uns consciemment, les autres inconsciemment, ont forcé les détenteurs de l’autorité révolutionnaire à fins libératrices à rétablir jusqu’à un degré relativement élevé l’autorité de privilège Nous nous trouvons ici dans un cercle vicieux : on ne peut instaurer la liberté positive parce que l’éducation individualiste libertaire n’a pas été faite, et l’éducation individualiste libertaire ne peut être faite parce que la liberté positive n’a pas été instaurée.
La seule manière de sortir de ce cercle est d’extirper préalablement de la mentalité des esclaves la conception mystique de la liberté. La culpabilité des bourgeois dans l’entretien de cette conception est évidente ; mais cela s’explique par le fait qu’ils en profitent. La responsabilité des anarchistes purs ne l’est pas moins aux yeux d’un individualiste partisan du socialisme individualiste ; et chez eux cela ne s’explique que par l’aveuglement et le sectarisme.
Le socialiste éclairé, lui, sait que la liberté n’est ni latente ni immanente, mais qu’elle est à créer et qu’une fois créée elle est susceptible de disparaître. Et il sait comment on la crée et, comment on la protège. Ce sont les socialistes éclairés alliés aux individualistes libertaires (si ceux-ci pouvaient devenir, par leur nombre accru, une force agissante) qui donneront à la généralité des individus la liberté réelle. Ce qu’il nous faut, c’est- l’esprit, d’organisation rationnelle du socialisme associé à l’esprit d’indépendance rationnelle de l’individualisme ; c’est leurs deux doctrines combinées pour donner satisfaction au ventre, au cœur, à l’intelligence de l’homme.
D’une part, un individualisme qui épouserait le socialisme parce qu’il connaîtrait la nécessité de faire sa part au monstre extérieur, sous peine d’être dévoré par lui, mais en réduisant cette part au minimum indispensable. D’autre part, un socialisme qui épouserait l’individualisme parce qu’il saurait que sans ce dernier il n’aurait aucune raison d’être.
* * *

Cet individualisme socialiste, ce socialisme individualiste, il aura un jour sa place au soleil de l’évolution.
Et il aura. eu des précurseurs.
Ce fut en somme l’idée de cet individualiste de distinction qu’était Oscar Wilde, idée qu’il développa dès 1890 dans L’Âme de l’Homme dans le Socialisme. La Suédoise Ellen Key, aussi profondément individualiste, s’est proclamée socialiste dans son opuscule : Individualisme et Socialisme. Notre ami le docteur Proschowsky a, été l’un des premiers en France à militer pour le socialisme individualiste. Lacaze-Duthiers a écrit des pages d’une grande clairvoyance sur l’accord nécessaire de l’individualisme et du socialisme dans l’intérêt de l’individualité humaine. Bertrand Russell est lui aussi un socialiste individualiste. Le socialiste Eugène Fournière a développé la thèse ici soutenue dans son Essai sur l’Individualisme. Et certaines réponses à l’enquête ouverte par l’Idée libre sur ce sujet, en 1924, montrent que l’idée en question rencontre de plus en plus d’adhésions.
Pour que le socialisme individualiste soit, c’est-à-dire pour que la société soit la chose de l’individu et non l’individu la chose de la société et des maîtres de la société, il faut d’abord qu’on se débarrasse de la croyance à la liberté mystique. Il faut aussi, certes, que le socialiste se délivre du préjugé selon lequel la société est quelque chose de supérieur à l’individu ; mais il faut également que, parmi ceux qui se réclament plus ou moins de l’individualisme, les anarchistes et les individualistes absolutistes cessent de combattre aveuglément le socialisme au nom de leur idole : la Liberté, - la liberté mystiquement conçue.
Il faut renoncer au fantôme de la liberté mystique pour acquérir la liberté positive.
Manuel Devaldès

INDIVIDUALISME (Socialisme-rationnel)

La question sociale est une question de raisonnement et nullement de fatalité économique. - L’on peut soutenir logiquement, à notre époque d’ignorance sociale sur la réalité du Droit, qu’il y a autant d’individualismes qu’il y a d’individus. Socialement, il ne saurait être question d’individualisme et de communisme que dans la mesure que l’homme se fait de la puissance des richesses réparties entre les individus pour la sauvegarde de l’ordre social au sein de la société. L’homme, ne l’oublions pas, est un être sociable d’abord ; et l’industrie générale est trop développée pour concevoir le travailleur à l’état primitif. L’individualisme est fonction de la société. Ceci reconnu et admis, il importe de savoir si, au point de vue justice, liberté et bien-être, il convient de sacrifier l’individu à la société, plutôt que de sacrifier la société à l’individu. Dans un sens relatif le sacrifice intéresse, au même titre, l’ensemble et la partie, mais jusqu’à ce jour les masses ont, été sacrifiées pour maintenir l’ordre.
Cela revient à dire que, selon le temps et les circonstances, l’individu est nécessairement sacrifié à l’ensemble, à la société, comme cela a lieu sous le despotisme de la foi. Plus tard, quand vient la possibilité du libre-examen, mais que le doute règne, la prépotence individuelle de quelques-uns triomphe de l’intérêt général. L’ordre, l’harmonie se trouvent ébranlés par le despotisme financier ; Des étiquettes nouvelles ont remplacé les anciennes dans l’utilisation des préjugés pour l’avantage des classes dirigeantes, et l’exploitation des masses s’effectue dans le même rythme de domination économique.
Ainsi nous voyons que le rationnel, c’est-à-dire l’action opportune, est toujours relative aux circonstances qui en déterminent la manifestation, quoique appartenant à l’ordre raisonnement en rapport avec la nécessité sociale.
Si nous nous élevons au-dessus de ce stade de connaissances sociales qui déterminent les despotismes, en examinant la situation actuelle, nous reconnaîtrons que l’individu et la société ne doivent avoir, logiquement, qu’un seul et même intérêt ; de sorte qu’il ne saurait être question de sacrifice, aussi bien pour la société que pour les individus, mais équitablement de solidarité réelle.
Du reste, dit Colins, « la société n’est pas un être comme l’individu ; elle exprime une abstraction et représente la totalité ou la somme des individus. » Nous voyons alors que sacrifier l’individu à tous les chacuns est absurde et malfaisant. De même sacrifier tout le monde, ou presque, à l’un ou à plusieurs d’entre eux - représentant réellement la société - c’est nier, socialement, cette société dont on suppose l’existence protectrice. C’est cependant ce qui se passe actuellement.
Mais alors, que faire, sinon reconnaître les erreurs passées pour diagnostiquer une méthode rationnelle d’enseignement social ?
Nous verrons alors que, pour si confuse que la situation se présente, la Raison, dit : que la société est le résultat du dévouement de chacun à tous, motivé par l’intérêt que chacun sait avoir à se dévouer pour ses semblables. Alors, l’individualisme, en tant que conception sociale, n’est pas contre la société qui élargit les droits de chacun dans la mesure que l’homme augmente son devoir par la pratique de la solidarité, convaincu qu’en se dévouant à la cause commune ses intérêts, non seulement ne peuvent être opposés à ceux d’autrui, mais en sont fortifiés d’autant.
Ainsi, une organisation sociale, aussi libertaire que possible, portant automatiquement et consciemment l’individu non seulement vers son propre intérêt mais vers le bien général, qui est la meilleure garantie du bonheur individuel, mettrait en harmonie l’ordre moral avec l’ordre physique. Les collectivités, comme les individus, seraient les bénéficiaires de cette coopération à laquelle nous devons tendre.
Mais ces résultats restent tributaires de l’application du Droit à la société et aux individus. Par suite, la connaissance et l’application du Droit ne peuvent se manifester que par une organisation nouvelle et rationnelle de la Propriété, étant donné les conséquences sociales qui résultent de l’organisation actuelle de la société générale.
C’est, du reste, en rapport avec l’organisation de la Propriété générale que les individus se cataloguent, plus ou moins empiriquement, et selon leur tendance respective, sous l’étiquette individualiste ou sous celle de communiste. Mais, quelles que soient les préférences individuelles on ne peut logiquement supposer que la Propriété puisse être organisée de manière que toutes les richesses soient appropriées socialement, comme certains le soutiennent, ou que toutes le soient individuellement. Ce serait aussi faux qu’absurde.
Pour qu’une société puisse exister, plus ou moins normalement, il faut qu’il y ait, quant à l’organisation sociale, un mélange de communisme et d’individualisme, constituant un socialisme plus ou moins équitable, plus ou moins injuste.
C’est la proportion - variable - entre la propriété sociale et les propriétés individuelles qui fait cataloguer tel régime social sous l’étiquette communiste ou sous celle de l’individualisme. Quand la propriété sociale est au maximum et les propriétés individuelles au minimum, l’organisation sociale affecte un communisme relatif. En sens inverse, comme c’est le cas en France, en Angleterre, Belgique, etc., l’organisation sociale se trouve être à base individualiste. Avec le poète Vulcain on peut dire : le monde social est fait pour quelques hommes dans la société actuelle aussi bien qu’au temps de César. L’individualisme des siècles passés, comme celui de nos jours, divise les hommes en maîtres et en esclaves, parce qu’il repose sur la contradiction des intérêts, et que la lutte ou la guerre est à l’état permanent, aussi bien au fond de chaque homme que dans les sociétés et entre les sociétés. L’harmonie sociale y est irréalisable.
Rien d’étonnant que les régimes qui se sont succédé depuis l’origine des sociétés tous plus ou moins individualistes - se soient ingéniés, par tous les moyens en leur pouvoir, à créer des privilèges et des monopoles qui assurent la direction générale des sociétés à une minorité bénéficiaire. Le rôle social des « élites » s’est limité à ordonner, suivant les circonstances, certaines émancipations illusoires des déshérités tout en maintenant l’esclavage économique et social des masses. Ces opérations ont été d’autant plus faciles que, même actuellement, les classes laborieuses ignorent, la cause de leur servitude et de leur esclavage. Aussi les « élites » profiteuses des privilèges ne sont nullement pressées pour instruire réellement le peuple et l’orienter vers sa libération. Les déclarations électorales, toutes plus ou moins équivoques, n’ont guère d’autre but que de troubler la mentalité des travailleurs en les maintenant dans l’ignorance de la cause de leur esclavage.
Ce qui se passe en France, relativement à la production désordonnée des richesses à laquelle on veut appliquer une rationalisation spéciale afin de permettre à une minorité de producteurs la pratique du dumping sur certains produits, ne peut, en dernier ressort, améliorer la condition sociale des déshérités et nous rapprocher de l’égalité relative du point de départ qui est le but auquel doit tendre la justice sociale. Ce n’est pas la production qui rend la consommation possible socialement ; mais la consommation qui fixe une production rationnelle. L’industrialisme actuel est, socialement, illogique.
L’ignorance sociale des travailleurs sur la réalité du Droit pour tous, les besoins impérieux de l’existence chez les déshérités, sont autant de facteurs qui contribuent à la domination du capital sur le travail. Ces conditions imposent le dévouement à l’ordre social qui abuse de la patience des prolétaires. La pseudo-fatalité des classes dominées par les classes dominantes n’est qu’une œuvre de calcul, de raisonnement de ceux qui détiennent le pouvoir et les richesses, et ne peut conduire l’humanité qu’à des révolutions sans fin.
Il serait temps que le dévouement et le sacrifice ne soient pas toujours demandés aux mêmes si on veut épargner a l’humanité le sanglant baptême qui la menace. A vouloir toujours nier le problème social les « élites » ne sauraient logiquement prétendre à sa suppression. Leur raison, à défaut de leur conscience, devrait leur faire comprendre qu’au banquet de la vie tout homme doit avoir droit de prendre place en raison de son mérite et de son activité.
Une œuvre d’éducation, sociale doit précéder l’oeuvre pratique de rénovation économique en prouvant à chacun et à tous que la société ne doit pas reposer, comme de nos jours, sur la contradiction des intérêts, mais sur la communauté de l’intérêt individuel avec l’intérêt social. La pratique de cette méthode donnerait le maximum d’individualisme possible dans l’ordre et la liberté.
Pour arriver à cette fin d’harmonie universelle il est impossible de compter sur l’organisation sociale de nos jours. Une nouvelle organisation de propriété en accord avec le Droit, avec la Justice, est indispensable. Sans nous étendre sur ce point tâchons de nous rappeler : 1° que la richesse foncière générale est la source passive de toute richesse ; 2° que les richesses mobilières sont toutes le résultat du travail sur le sol, ce qui revient à dire que si le sol représente la source passive, le travail, qui ne s’exerce que par ..l’homme, en est la source active : 3° qu’il est juste que celui qui a produit quelque chose en soit le propriétaire ; 4° qu’il est impossible que la richesse mobilière soit appropriée complètement d’une manière sociale ou commune, à peine de voir le pain dans la. bouche devenir propriété commune ; 5° enfin qu’il est irrationnel qu’une richesse non produite, ou qui a préexisté à l’homme, telle que le sol, soit appropriée par lui.
En approfondissant les propositions qui précèdent, et en nous rappelant toujours que l’homme doit rechercher et trouver rationnellement le maximum de liberté individuelle dans le maximum de richesses - sociales ou particulières - par sa volonté et, son travail, nous reconnaîtrons que le sol général, la richesse foncière, ne doit pas être appropriée individuellement, ou par des collectivités d’individus comme cela se fait au moyen des sociétés anonymes, mais par tous. Le sol à tous est la condition sine qua non de l’ordre nouveau. Sans cette innovation économique il ne peut y avoir que continuation aggravée du paupérisme des masses, et l’Individu ne peut prétendre - dans un sens général - assurer sa liberté.
En résumé, des propositions qui précèdent nous arrivons aux conclusions, suivantes : tout le sol doit entrer au domaine commun ou social et la richesse mobilière peut faire l’objet d’appropriation individuelle. Chacun doit être le propriétaire des fruits de son travail et chaque génération est usufruitière du sol approprié socialement. L’individu libre sur la terre libre. Le rêve de Goethe se réalise par le travail souverain. Eduquer l’ensemble de l’humanité sur la solidarité réelle, sur la réalité de la justice dans les rapports sociaux, sur l’organisation d’un autre mode de propriété donnant à chacun suivant ses mérites et ses efforts, dans un cadre d’harmonie sociale, c’est faire de l’individualisme reposant sur le communisme foncier et la liberté du travail, qu’une société établie pour le bonheur de tous a pour devoir de développer rationnellement.
L’individualisme ne saurait aller équitablement au delà sans rompre l’harmonie sociale et nuire à l’intérêt général. L’individualisme, aussi bien que le communisme, sont deux théories d’ordre économique aussi anciennes que le monde social qui a toujours renfermé un certain mélange d’individualisme et de communisme, mais la proportion entre la propriété sociale et les propriétés individuelles ont toujours été au maximum possible pour une catégorie privilégiée de propriétaires.
Théoriquement, on peut parler d’individualisme absolu et de communisme absolu, mais pratiquement ces deux théories sociales sont aussi impraticables qu’absurdes, ainsi que nous allons le voir ; et, de ce fait, non seulement n’ont jamais existé mais ne pourront jamais vivre. De même que les limites de l’organisme sont impossibles à fixer d’une manière entièrement déterminée, de même les besoins particuliers ne peuvent trouver les éléments de réalisation pratique dans une attribution de richesse préalablement fixée. Le communisme absolu n’arrive pas à placer de bornes entre l’organisme et le monde extérieur, et, comme il prétend que ce monde entier doit appartenir à la société, il va logiquement, d’un degré à l’autre, jusqu’à l’anéantissement de toute personnalité. En sens inverse, l’individualiste absolu qui demande le partage individuel de tout ce qui existe, va, avec la même logique, jusqu’à l’anéantissement de toute société. Là où rien n’est commun, comment pourrait-il y avoir association ? D’autre part, l’homme, l’individu, ne saurait s’astreindre à l’idée de nivellement, aussi irréalisable qu’absurde. En définitive, il n’y a jamais eu d’organisation sociale revêtant, dans l’ordre individualiste ou dans l’ordre communiste, le caractère absolu, parce que ces théories sont absurdes et conséquemment impraticables. Mais en dehors des deux théories, que nous avons définies par l’absurde, il y a et ne peut y avoir que des organisations de propriété renfermant en même temps des richesses sociales et des richesses individuelles. Ces organisations de propriété, plus ou moins bonnes, plus ou moins mauvaises, constituent précisément l’individualisme et le communisme relatifs qui, sans être parfaits en époque d’ignorance sociale sur la réalité du droit, ne sont pas absurdes.
Pour sortir de ce cercle vicieux où le doute autorise toutes les suppositions, il faut organiser la société, de manière que les intérêts individuels ne soient plus en opposition, de manière que le dévouement de l’individu à l’organisation sociale soit aussi logique et nécessaire dans l’ordre moral que l’apport, résultant des lois physiques, l’est dans l’ordre matériel. L’individualisme et le communisme sont des facteurs d’harmonie sociale dont la coopération est indispensable au bonheur de l’humanité et constitue le Socialisme Rationnel.
Élie Soubeyran

Aucun commentaire: