Si l’œuvre
individualiste consiste en la culture de l’être humain pour
l’épanouissement de ses facultés les plus nobles, pour la
floraison des virtualités qui sont en lui, il faut que les racines
de la plante humaine puisent en un certain sol le suc nourricier
nécessaire à un tel épanouissement, à une telle floraison. Le
sol, c’est le socialisme individualiste. Le suc nourricier, c’est
la liberté. Mais, spécifions : la liberté positive. Non pas la
liberté métaphysique, illusoire, des théoriciens de l’hypocrite
antiétatisme des bourgeois. Pas davantage celle du puéril
anarchisme mystique, liberté latente qui surgira comme une aimable
fée dès que la révolution sera faite et ensuite demeurera
immanente.
Ce suc
nourricier, c’est la liberté que poursuit l’individualiste
libertaire tel que je le conçois, se trouvant en cela d’accord
avec le socialiste éclairé : la liberté-puissance, la
liberté-pouvoir de faire, qui ne saurait exister sans une garantie
que seule une société organisée - et organisée pour la justice -
peut procurer ; la liberté qui n’est pas plus immanente que
latente, la liberté qu’on fait et qu’on instaure et dont le
synonyme est puissance ou pouvoir.
Les moyens
de l’instaurer pourront, aux yeux des fidèles de la liberté
mystique, sembler être le contraire de la liberté. Naturellement.
Non moins naturellement, les bénéficiaires de tout acabit de
l’ex-autorité bourgeoise détrônée diront que la liberté est
morte. Certainement, défunte sera leur liberté... de priver les
autres de liberté.
Mais, en
dehors de ce que nos rêveurs ont une conception mystique de la
liberté et que les bénéficiaires de l’autorité de privilège
ont intérêt à entretenir la conception fausse de la liberté qui
leur assure automatiquement des privilèges, le fait futur
(d’ailleurs déjà constaté en Russie) que la liberté positive
n’apparaîtra pas immédiatement aux yeux des rêveurs de
l’anarchie mystique après une révolution s’explique par cette
raison que rien, en matière d’évolution sociale, même
sanctionnée par la révolution, ne se réalise brusquement. Si une
mesure libératrice est imposée sans qu’elle soit mûre depuis
longtemps dans les esprits, c’est-à-dire si elle n’a pas été
préparée par l’éducation, un retour en arrière ne tardera pas à
se produire. Puisqu’on demandait la liberté, c’est qu’elle
n’existait pas ; il fallait donc la créer ; mais il ne suffit pas
pour cela de dire : « Nous sommes libres ! »
A part des
obstacles à sa propre liberté que l’homme porte en lui-même, il
existe les ennemis extérieurs de la liberté réelle. Ceux-ci
doivent être matés aussi bien que ceux-là surmontés. Et parmi ces
ennemis extérieurs, chose triste à dire, on trouve non seulement
les anciens bénéficiaires de l’ordre de choses qu’on a cherché
à abolir et leurs esclaves abrutis, mais encore ces visionnaires qui
entretiennent une conception mystique de la liberté, qui pensent
qu’elle existe à l’état latent - où ? dans l’air ? - et que
le coup de baguette magique d’une révolution, voire le simple
désir de la liberté entretenu par une infime minorité d’individus,
va la faire surgir.
Il est de
première nécessité d’abolir dans la mentalité des humains de
bonne volonté transformatrice cette conception mystique de la
liberté pour y substituer sa conception réaliste : la
liberté-puissance, la liberté-pouvoir de faire, la liberté
positive.
En principe,
l’avènement de cette liberté réelle ne peut être efficacement
préparé que par l’éducation, une éducation individualiste
libertaire généralisée accomplie dans le sens exposé ici. Un
essai d’imposer cette liberté réelle peut être fait brusquement,
comme en Russie ; mais on connaît les résultats de cette méthode.
Les divers ennemis précités de la liberté réelle, les uns
consciemment, les autres inconsciemment, ont forcé les détenteurs
de l’autorité révolutionnaire à fins libératrices à rétablir
jusqu’à un degré relativement élevé l’autorité de privilège
Nous nous trouvons ici dans un cercle vicieux : on ne peut instaurer
la liberté positive parce que l’éducation individualiste
libertaire n’a pas été faite, et l’éducation individualiste
libertaire ne peut être faite parce que la liberté positive n’a
pas été instaurée.
La seule
manière de sortir de ce cercle est d’extirper préalablement de la
mentalité des esclaves la conception mystique de la liberté. La
culpabilité des bourgeois dans l’entretien de cette conception est
évidente ; mais cela s’explique par le fait qu’ils en profitent.
La responsabilité des anarchistes purs ne l’est pas moins aux yeux
d’un individualiste partisan du socialisme individualiste ; et chez
eux cela ne s’explique que par l’aveuglement et le sectarisme.
Le
socialiste éclairé, lui, sait que la liberté n’est ni latente ni
immanente, mais qu’elle est à créer et qu’une fois créée elle
est susceptible de disparaître. Et il sait comment on la crée et,
comment on la protège. Ce sont les socialistes éclairés alliés
aux individualistes libertaires (si ceux-ci pouvaient devenir, par
leur nombre accru, une force agissante) qui donneront à la
généralité des individus la liberté réelle. Ce qu’il nous
faut, c’est- l’esprit, d’organisation rationnelle du socialisme
associé à l’esprit d’indépendance rationnelle de
l’individualisme ; c’est leurs deux doctrines combinées pour
donner satisfaction au ventre, au cœur, à l’intelligence de
l’homme.
D’une
part, un individualisme qui épouserait le socialisme parce qu’il
connaîtrait la nécessité de faire sa part au monstre extérieur,
sous peine d’être dévoré par lui, mais en réduisant cette part
au minimum indispensable. D’autre part, un socialisme qui
épouserait l’individualisme parce qu’il saurait que sans ce
dernier il n’aurait aucune raison d’être.
* * *
Cet
individualisme socialiste, ce socialisme individualiste, il aura un
jour sa place au soleil de l’évolution.
Et il aura.
eu des précurseurs.
Ce fut en
somme l’idée de cet individualiste de distinction qu’était
Oscar Wilde, idée qu’il développa dès 1890 dans L’Âme de
l’Homme dans le Socialisme. La Suédoise Ellen Key, aussi
profondément individualiste, s’est proclamée socialiste dans son
opuscule : Individualisme et Socialisme. Notre ami le docteur
Proschowsky a, été l’un des premiers en France à militer pour le
socialisme individualiste. Lacaze-Duthiers a écrit des pages d’une
grande clairvoyance sur l’accord nécessaire de l’individualisme
et du socialisme dans l’intérêt de l’individualité humaine.
Bertrand Russell est lui aussi un socialiste individualiste. Le
socialiste Eugène Fournière a développé la thèse ici soutenue
dans son Essai sur l’Individualisme. Et certaines réponses à
l’enquête ouverte par l’Idée libre sur ce sujet, en 1924,
montrent que l’idée en question rencontre de plus en plus
d’adhésions.
Pour que le
socialisme individualiste soit, c’est-à-dire pour que la société
soit la chose de l’individu et non l’individu la chose de la
société et des maîtres de la société, il faut d’abord qu’on
se débarrasse de la croyance à la liberté mystique. Il faut aussi,
certes, que le socialiste se délivre du préjugé selon lequel la
société est quelque chose de supérieur à l’individu ; mais il
faut également que, parmi ceux qui se réclament plus ou moins de
l’individualisme, les anarchistes et les individualistes
absolutistes cessent de combattre aveuglément le socialisme au nom
de leur idole : la Liberté, - la liberté mystiquement conçue.
Il faut
renoncer au fantôme de la liberté mystique pour acquérir la
liberté positive.
Manuel
Devaldès
INDIVIDUALISME
(Socialisme-rationnel)
La question
sociale est une question de raisonnement et nullement de fatalité
économique. - L’on peut soutenir logiquement, à notre époque
d’ignorance sociale sur la réalité du Droit, qu’il y a autant
d’individualismes qu’il y a d’individus. Socialement, il ne
saurait être question d’individualisme et de communisme que dans
la mesure que l’homme se fait de la puissance des richesses
réparties entre les individus pour la sauvegarde de l’ordre social
au sein de la société. L’homme, ne l’oublions pas, est un être
sociable d’abord ; et l’industrie générale est trop développée
pour concevoir le travailleur à l’état primitif. L’individualisme
est fonction de la société. Ceci reconnu et admis, il importe de
savoir si, au point de vue justice, liberté et bien-être, il
convient de sacrifier l’individu à la société, plutôt que de
sacrifier la société à l’individu. Dans un sens relatif le
sacrifice intéresse, au même titre, l’ensemble et la partie, mais
jusqu’à ce jour les masses ont, été sacrifiées pour maintenir
l’ordre.
Cela revient
à dire que, selon le temps et les circonstances, l’individu est
nécessairement sacrifié à l’ensemble, à la société, comme
cela a lieu sous le despotisme de la foi. Plus tard, quand vient la
possibilité du libre-examen, mais que le doute règne, la prépotence
individuelle de quelques-uns triomphe de l’intérêt général.
L’ordre, l’harmonie se trouvent ébranlés par le despotisme
financier ; Des étiquettes nouvelles ont remplacé les anciennes
dans l’utilisation des préjugés pour l’avantage des classes
dirigeantes, et l’exploitation des masses s’effectue dans le même
rythme de domination économique.
Ainsi nous
voyons que le rationnel, c’est-à-dire l’action opportune, est
toujours relative aux circonstances qui en déterminent la
manifestation, quoique appartenant à l’ordre raisonnement en
rapport avec la nécessité sociale.
Si nous nous
élevons au-dessus de ce stade de connaissances sociales qui
déterminent les despotismes, en examinant la situation actuelle,
nous reconnaîtrons que l’individu et la société ne doivent
avoir, logiquement, qu’un seul et même intérêt ; de sorte qu’il
ne saurait être question de sacrifice, aussi bien pour la société
que pour les individus, mais équitablement de solidarité réelle.
Du reste,
dit Colins, « la société n’est pas un être comme l’individu ;
elle exprime une abstraction et représente la totalité ou la somme
des individus. » Nous voyons alors que sacrifier l’individu à
tous les chacuns est absurde et malfaisant. De même sacrifier tout
le monde, ou presque, à l’un ou à plusieurs d’entre eux -
représentant réellement la société - c’est nier, socialement,
cette société dont on suppose l’existence protectrice. C’est
cependant ce qui se passe actuellement.
Mais alors,
que faire, sinon reconnaître les erreurs passées pour diagnostiquer
une méthode rationnelle d’enseignement social ?
Nous verrons
alors que, pour si confuse que la situation se présente, la Raison,
dit : que la société est le résultat du dévouement de chacun à
tous, motivé par l’intérêt que chacun sait avoir à se dévouer
pour ses semblables. Alors, l’individualisme, en tant que
conception sociale, n’est pas contre la société qui élargit les
droits de chacun dans la mesure que l’homme augmente son devoir par
la pratique de la solidarité, convaincu qu’en se dévouant à la
cause commune ses intérêts, non seulement ne peuvent être opposés
à ceux d’autrui, mais en sont fortifiés d’autant.
Ainsi, une
organisation sociale, aussi libertaire que possible, portant
automatiquement et consciemment l’individu non seulement vers son
propre intérêt mais vers le bien général, qui est la meilleure
garantie du bonheur individuel, mettrait en harmonie l’ordre moral
avec l’ordre physique. Les collectivités, comme les individus,
seraient les bénéficiaires de cette coopération à laquelle nous
devons tendre.
Mais ces
résultats restent tributaires de l’application du Droit à la
société et aux individus. Par suite, la connaissance et
l’application du Droit ne peuvent se manifester que par une
organisation nouvelle et rationnelle de la Propriété, étant donné
les conséquences sociales qui résultent de l’organisation
actuelle de la société générale.
C’est, du
reste, en rapport avec l’organisation de la Propriété générale
que les individus se cataloguent, plus ou moins empiriquement, et
selon leur tendance respective, sous l’étiquette individualiste ou
sous celle de communiste. Mais, quelles que soient les préférences
individuelles on ne peut logiquement supposer que la Propriété
puisse être organisée de manière que toutes les richesses soient
appropriées socialement, comme certains le soutiennent, ou que
toutes le soient individuellement. Ce serait aussi faux qu’absurde.
Pour qu’une
société puisse exister, plus ou moins normalement, il faut qu’il
y ait, quant à l’organisation sociale, un mélange de communisme
et d’individualisme, constituant un socialisme plus ou moins
équitable, plus ou moins injuste.
C’est la
proportion - variable - entre la propriété sociale et les
propriétés individuelles qui fait cataloguer tel régime social
sous l’étiquette communiste ou sous celle de l’individualisme.
Quand la propriété sociale est au maximum et les propriétés
individuelles au minimum, l’organisation sociale affecte un
communisme relatif. En sens inverse, comme c’est le cas en France,
en Angleterre, Belgique, etc., l’organisation sociale se trouve
être à base individualiste. Avec le poète Vulcain on peut dire :
le monde social est fait pour quelques hommes dans la société
actuelle aussi bien qu’au temps de César. L’individualisme des
siècles passés, comme celui de nos jours, divise les hommes en
maîtres et en esclaves, parce qu’il repose sur la contradiction
des intérêts, et que la lutte ou la guerre est à l’état
permanent, aussi bien au fond de chaque homme que dans les sociétés
et entre les sociétés. L’harmonie sociale y est irréalisable.
Rien
d’étonnant que les régimes qui se sont succédé depuis l’origine
des sociétés tous plus ou moins individualistes - se soient
ingéniés, par tous les moyens en leur pouvoir, à créer des
privilèges et des monopoles qui assurent la direction générale des
sociétés à une minorité bénéficiaire. Le rôle social des «
élites » s’est limité à ordonner, suivant les circonstances,
certaines émancipations illusoires des déshérités tout en
maintenant l’esclavage économique et social des masses. Ces
opérations ont été d’autant plus faciles que, même
actuellement, les classes laborieuses ignorent, la cause de leur
servitude et de leur esclavage. Aussi les « élites » profiteuses
des privilèges ne sont nullement pressées pour instruire réellement
le peuple et l’orienter vers sa libération. Les déclarations
électorales, toutes plus ou moins équivoques, n’ont guère
d’autre but que de troubler la mentalité des travailleurs en les
maintenant dans l’ignorance de la cause de leur esclavage.
Ce qui se
passe en France, relativement à la production désordonnée des
richesses à laquelle on veut appliquer une rationalisation spéciale
afin de permettre à une minorité de producteurs la pratique du
dumping sur certains produits, ne peut, en dernier ressort, améliorer
la condition sociale des déshérités et nous rapprocher de
l’égalité relative du point de départ qui est le but auquel doit
tendre la justice sociale. Ce n’est pas la production qui rend la
consommation possible socialement ; mais la consommation qui fixe une
production rationnelle. L’industrialisme actuel est, socialement,
illogique.
L’ignorance
sociale des travailleurs sur la réalité du Droit pour tous, les
besoins impérieux de l’existence chez les déshérités, sont
autant de facteurs qui contribuent à la domination du capital sur le
travail. Ces conditions imposent le dévouement à l’ordre social
qui abuse de la patience des prolétaires. La pseudo-fatalité des
classes dominées par les classes dominantes n’est qu’une œuvre
de calcul, de raisonnement de ceux qui détiennent le pouvoir et les
richesses, et ne peut conduire l’humanité qu’à des révolutions
sans fin.
Il serait
temps que le dévouement et le sacrifice ne soient pas toujours
demandés aux mêmes si on veut épargner a l’humanité le sanglant
baptême qui la menace. A vouloir toujours nier le problème social
les « élites » ne sauraient logiquement prétendre à sa
suppression. Leur raison, à défaut de leur conscience, devrait leur
faire comprendre qu’au banquet de la vie tout homme doit avoir
droit de prendre place en raison de son mérite et de son activité.
Une œuvre
d’éducation, sociale doit précéder l’oeuvre pratique de
rénovation économique en prouvant à chacun et à tous que la
société ne doit pas reposer, comme de nos jours, sur la
contradiction des intérêts, mais sur la communauté de l’intérêt
individuel avec l’intérêt social. La pratique de cette méthode
donnerait le maximum d’individualisme possible dans l’ordre et la
liberté.
Pour arriver
à cette fin d’harmonie universelle il est impossible de compter
sur l’organisation sociale de nos jours. Une nouvelle organisation
de propriété en accord avec le Droit, avec la Justice, est
indispensable. Sans nous étendre sur ce point tâchons de nous
rappeler : 1° que la richesse foncière générale est la source
passive de toute richesse ; 2° que les richesses mobilières sont
toutes le résultat du travail sur le sol, ce qui revient à dire que
si le sol représente la source passive, le travail, qui ne s’exerce
que par ..l’homme, en est la source active : 3° qu’il est juste
que celui qui a produit quelque chose en soit le propriétaire ; 4°
qu’il est impossible que la richesse mobilière soit appropriée
complètement d’une manière sociale ou commune, à peine de voir
le pain dans la. bouche devenir propriété commune ; 5° enfin qu’il
est irrationnel qu’une richesse non produite, ou qui a préexisté
à l’homme, telle que le sol, soit appropriée par lui.
En
approfondissant les propositions qui précèdent, et en nous
rappelant toujours que l’homme doit rechercher et trouver
rationnellement le maximum de liberté individuelle dans le maximum
de richesses - sociales ou particulières - par sa volonté et, son
travail, nous reconnaîtrons que le sol général, la richesse
foncière, ne doit pas être appropriée individuellement, ou par des
collectivités d’individus comme cela se fait au moyen des sociétés
anonymes, mais par tous. Le sol à tous est la condition sine qua non
de l’ordre nouveau. Sans cette innovation économique il ne peut y
avoir que continuation aggravée du paupérisme des masses, et
l’Individu ne peut prétendre - dans un sens général - assurer sa
liberté.
En résumé,
des propositions qui précèdent nous arrivons aux conclusions,
suivantes : tout le sol doit entrer au domaine commun ou social et la
richesse mobilière peut faire l’objet d’appropriation
individuelle. Chacun doit être le propriétaire des fruits de son
travail et chaque génération est usufruitière du sol approprié
socialement. L’individu libre sur la terre libre. Le rêve de
Goethe se réalise par le travail souverain. Eduquer l’ensemble de
l’humanité sur la solidarité réelle, sur la réalité de la
justice dans les rapports sociaux, sur l’organisation d’un autre
mode de propriété donnant à chacun suivant ses mérites et ses
efforts, dans un cadre d’harmonie sociale, c’est faire de
l’individualisme reposant sur le communisme foncier et la liberté
du travail, qu’une société établie pour le bonheur de tous a
pour devoir de développer rationnellement.
L’individualisme
ne saurait aller équitablement au delà sans rompre l’harmonie
sociale et nuire à l’intérêt général. L’individualisme,
aussi bien que le communisme, sont deux théories d’ordre
économique aussi anciennes que le monde social qui a toujours
renfermé un certain mélange d’individualisme et de communisme,
mais la proportion entre la propriété sociale et les propriétés
individuelles ont toujours été au maximum possible pour une
catégorie privilégiée de propriétaires.
Théoriquement,
on peut parler d’individualisme absolu et de communisme absolu,
mais pratiquement ces deux théories sociales sont aussi
impraticables qu’absurdes, ainsi que nous allons le voir ; et, de
ce fait, non seulement n’ont jamais existé mais ne pourront jamais
vivre. De même que les limites de l’organisme sont impossibles à
fixer d’une manière entièrement déterminée, de même les
besoins particuliers ne peuvent trouver les éléments de réalisation
pratique dans une attribution de richesse préalablement fixée. Le
communisme absolu n’arrive pas à placer de bornes entre
l’organisme et le monde extérieur, et, comme il prétend que ce
monde entier doit appartenir à la société, il va logiquement, d’un
degré à l’autre, jusqu’à l’anéantissement de toute
personnalité. En sens inverse, l’individualiste absolu qui demande
le partage individuel de tout ce qui existe, va, avec la même
logique, jusqu’à l’anéantissement de toute société. Là où
rien n’est commun, comment pourrait-il y avoir association ?
D’autre part, l’homme, l’individu, ne saurait s’astreindre à
l’idée de nivellement, aussi irréalisable qu’absurde. En
définitive, il n’y a jamais eu d’organisation sociale revêtant,
dans l’ordre individualiste ou dans l’ordre communiste, le
caractère absolu, parce que ces théories sont absurdes et
conséquemment impraticables. Mais en dehors des deux théories, que
nous avons définies par l’absurde, il y a et ne peut y avoir que
des organisations de propriété renfermant en même temps des
richesses sociales et des richesses individuelles. Ces organisations
de propriété, plus ou moins bonnes, plus ou moins mauvaises,
constituent précisément l’individualisme et le communisme
relatifs qui, sans être parfaits en époque d’ignorance sociale
sur la réalité du droit, ne sont pas absurdes.
Pour sortir
de ce cercle vicieux où le doute autorise toutes les suppositions,
il faut organiser la société, de manière que les intérêts
individuels ne soient plus en opposition, de manière que le
dévouement de l’individu à l’organisation sociale soit aussi
logique et nécessaire dans l’ordre moral que l’apport, résultant
des lois physiques, l’est dans l’ordre matériel.
L’individualisme et le communisme sont des facteurs d’harmonie
sociale dont la coopération est indispensable au bonheur de
l’humanité et constitue le Socialisme Rationnel.
Élie
Soubeyran
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