L'organisation
des masses ouvrières contre le gouvernement et les patrons
« Il
a paru à ces camarades que toutes les forces organisées dans un but
autre que radicalement révolutionnaire seraient peut-être écartées
de la voie révolutionnaire. Il nous semble, au contraire, et
l’expérience nous l’a déjà trop montré, que leur méthode
condamnerait le mouvement anarchiste à une perpétuelle stérilité.
Pour
faire de la propagande, il faut se trouver au milieu des gens. C’est
dans les associations ouvrières que l’ouvrier trouve ses camarades
et, en principe, ceux qui sont le plus disposés à comprendre et à
accepter nos idées. Et quand bien même on pourrait faire hors des
associations autant de propagande que l’on voudrait, cela ne
pourrait avoir d’effet sensible sur les masses ouvrières. »
« Nous,
anarchistes, nous ne voulons pas émanciper
le
peuple, nous voulons que le peuple s’émancipe.
Nous
ne croyons pas au fait imposé d’en haut par la force ; nous
voulons que le nouveau mode de vie sociale sorte des entrailles du
peuple et corresponde au degré de développement atteint par les
hommes et puisse progresser à mesure que les hommes avancent. »
Discussion
lors du congrès d'Amsterdam en 1907 sur la présence des anarchistes
dans les organisations syndicales. La révolution sociale peut-elle
se faire uniquement dans les organisations syndicales en passant du
combat des améliorations présentes pour envisager et construire le
système futur de la société anarchiste.
« Contre
cette dernière affirmation, je m’élevai avec énergie. Le
syndicalisme, je dis, même s’il se corse de l’adjectif
révolutionnaire, ne peut être qu’un mouvement légal, un
mouvement qui lutte contre le capitalisme dans le milieu économique
et politique que le capitalisme et l’État lui imposent. Il n’a
donc pas d’issue, et ne pourra rien obtenir de permanent et de
général, si ce n’est en cessant d’être le syndicalisme et en
s’attachant non plus à l’amélioration des conditions des
salariés et à la conquête de quelques libertés, mais à
l’expropriation de la richesse et à la destruction radicale de
l’organisation étatique. »
« Mais
cela n’est utile qu’à la condition que nous restions des
anarchistes avant tout, et que nous ne cessions de considérer tout
le reste au point de vue de la propagande et de l’action
anarchistes. »
« Je
veux des syndicats largement ouverts à tous les travailleurs qui
commencent à sentir le besoin de s’unir avec leurs camarades pour
lutter contre les patrons ; mais je connais aussi tous les dangers
que présentent pour l’avenir des groupements faits dans le but de
défendre, dans la société actuelle, des intérêts particuliers,
et je demande que les anarchistes qui sont dans les syndicats se
donnent comme mission de sauvegarder l’avenir en luttant contre la
tendance naturelle de ces groupements à devenir des corporations
fermées, en antagonisme avec d’autres prolétaires encore plus
qu’avec les patrons. »
« La
vérité est, selon moi, bien différente. Les ouvriers subissent,
comme tout le monde, la loi d’antagonisme général qui dérive du
régime de la propriété individuelle ; et voilà pourquoi les
groupements d’intérêts, révolutionnaires toujours au début tant
qu’ils sont faibles et dans le besoin de la solidarité des autres,
deviennent conservateurs et exclusivistes quand ils acquièrent de la
force, et avec la force, la conscience de leurs intérêts
particuliers. L’histoire du trade-unionisme anglais et
américain est là pour montrer comment s’est produite cette
dégénérescence du mouvement ouvrier, quand il se cantonne dans la
défense des intérêts actuels. »
« Un
anarchiste fonctionnaire permanent et stipendié d’un syndicat est
un homme perdu comme anarchiste. »
«D’ailleurs,
la question est claire. Le syndicat n’est pas anarchiste, et le
fonctionnaire est nommé et payé par le syndicat : s’il fait
œuvre d’anarchisme, il se met en opposition avec ceux qui paient,
et bientôt il perd sa place ou il est cause de la dissolution du
syndicat ; si, au contraire, il remplit la mission pour laquelle il
a été nommé, selon la volonté de la majorité, alors adieu
anarchisme. »
« Je
suis convaincu en effet que Monatte et le groupe des « jeunes »
sont aussi sincèrement et foncièrement anarchistes et
révolutionnaires que n’importe quelle « vieille barbe ». Ils
regretteraient avec nous les défaillances qui se produiraient parmi
les fonctionnaires syndicalistes ; seulement, ils les attribuent à
des faiblesses individuelles. C’est là l’erreur, s’il
s’agissait de fautes imputables à des individus, le mal ne serait
pas grand : les faibles disparaissent bientôt et les traîtres
sont bientôt connus et mis dans l’impuissance de nuire. Mais ce
qui rend le mal sérieux, c’est qu’il dépend des circonstances
dans lesquelles les fonctionnaires syndicalistes se trouvent.
J’engage nos amis les anarchistes syndicalistes à y réfléchir et
à étudier les positions respectives du socialiste qui devient
député et de l’anarchiste qui devient fonctionnaire de syndicat :
peut-être la comparaison ne sera pas inutile. »
« On
avait proposé une résolution contre l’alcoolisme, mais on passa à
l’ordre du jour. Personne, certainement, n’aurait hésité à
acclamer une résolution contre l’abus des boissons alcooliques,
quoique peut-être avec la conviction que cela ne servait à rien ;
mais la résolution proposée condamnait même l’usage modéré,
qu’on considérait comme plus dangereux que l’abus. Cela nous
parut trop fort ; dans tous les cas, on pense que c’est un
argument qui devrait plutôt être discuté par des médecins, en
admettant qu’ils en sachent quelque chose. »
«Chaque
organisation nouvelle peut, dans l’esprit des fondateurs et dans
les statuts, avoir les plus hautes aspirations et les buts les plus
radicaux, mais si elle veut exercer la fonction propre au syndicat
ouvrier, c’est-à-dire la défense actuelle des intérêts de ses
membres, elle doit reconnaître en fait les institutions qu’elle
nie en théorie, s’adapter aux circonstances et tenter d’obtenir,
peu à peu, le plus possible, en traitant et en transigeant avec les
patrons et le gouvernement. En un mot, le syndicat ouvrier est,
en raison de sa nature, réformiste et il n’est plus
révolutionnaire »
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