L'incrédulité
c'est le manque de croyance, la répugnance à admettre ce qui n'est
pas prouvé, c'est en réalité un synonyme de scepticisme, théorie
du doute de tout ce qui n'est pas évident. C'est donc tout le
contraire de la crédulité, de la superstition. Les anarchistes
peuvent affirmer que l'incrédulité est la tendance de l'esprit qui
a fait faire le plus de progrès moral, scientifique, intellectuel,
au monde. C'est ce que nous allons chercher à démontrer. Les
peuples qui ne sont pas encore sortis de l'état rudimentaire croient
qu'ils sont entourés d'esprits qui les menacent, qui leur infligent
des maladies, qui doivent être propitiés pour qu'ils ne détruisent
pas les êtres humains. Les hommes tremblent devant l'inconnu, ils ne
cherchent pas à se débarrasser de cette peur instinctive, abjecte.
On voit même actuellement, en France, des personnes qui ne
voudraient pas s'asseoir à une table où il y aurait 12 autres
convives, et cela parce que, dit-on, il y avait 13 personnes au
dernier souper de Jésus, être mythique qui n'a jamais eu de dernier
souper. D'autres ne voudraient pas partir pour un voyage ou commencer
une entreprise un vendredi, parce que ce même personnage mythique
aurait été mis à mort un vendredi ; tandis que si ces personnes
crédules étaient chrétiennes, elles devraient se réjouir de la
crucifixion de ce sauveur qui resta 6 heures sur la croix (on parle
de 3 jours, ce qui est absolument contraire aux récits des
évangiles). Les hommes qui ne sont pas affranchis des croyances
religieuses, croient aux mascottes, aux porte-bonheurs, au trèfle à
cinq feuilles, etc. ; d'autres craignent de passer sous une échelle,
d'entrer dans une chambre où il y a trois lumières, de laisser
tomber un parapluie ou une canne, ou se figurent qu'un miroir brisé
est une sûre prédiction d'un long malheur, etc. Les esprits timorés
vivent dans une crainte constante, et pourtant ne font rien pour
effacer de leur cerveau ces croyances surannées. Chez les
catholiques romains, le, signe de croix, le rosaire répété à
satiété, les prières ineptes, les litanies stupides occupent les
mains ou les lèvres, et les croyants ne font rien pour améliorer
leurs connaissances ou leur état social. La crédulité est donc
funeste au progrès. « Les masses, dit Félix Sortiaux (Foi et
Science au Moyen-âge), ont accepté les croyances sans les discuter,
sans chercher à leur trouver un sens ». Tandis qu'un petit nombre
d'esprit plus ou moins indifférents aux disputes religieuses ont
retrouvé et perpétué la tradition scientifique de l'antiquité et
ont fait éclore les premiers germes de la science moderne. Le
christianisme, avec ses doctrines plus ou moins absurdes, n'a pas été
embrassé au midi par enthousiasme religieux, la mythologie grecque
étant beaucoup plus poétique, plus vivante aux yeux des peuples
d'alors que la mythologie chrétienne avec ses demi-dieux ou saints
innombrables, son ascétisme antihumain, sa haine des plaisirs sains,
ses anachorètes, etc. Le christianisme a été imposé vers l'année
337 par Constantin en Grèce, par Vladimir en Ukraine, avec une
violence épouvantable. Clovis et Pépin le Bref, en Gaule, ont versé
des torrents de sang pour supprimer les religions auxquelles ils
avaient appartenu, mais si le christianisme était adopté dans la
vie extérieure, les croyances païennes persistaient et persistent
encore. Les anciens dieux étaient devenus des démons, des êtres
malfaisants ou des fées, qu'il faut invoquer. Les couriganes, les
anciens dieux, sont encore révérés en Bretagne et ailleurs, Les
statues d'anciens dieux protecteurs ont été affublées de noms de
saints. Les cérémonies antiques ont été transférées au
christianisme : le baptême, les autels, les encensoirs, les images,
les processions, le carnaval, sont de faibles imitations des cultes
de l'antiquité. Il en est de même des rogations, etc. J'ai vu dans
le Valais, en Suisse, de longues processions parcourant les prairies
et les alpages en criant à haute voix : « Donnez-nous de l'eau! »
Leur Dieu était sourd, car il fallait hurler ces paroles pour
qu'elles montassent au ciel. Les Valaisans auraient mieux fait de
creuser des canaux (comme il y en a déjà dans certaines vallées)
pour amener l'eau des torrents et des glaciers. Dans quelques
endroits où la superstition a presque disparu, on voit les progrès
matériels, car les hommes ne s'occupent plus guère de prières et
de rogations. Dans les pays protestants, presque partout plus
prospères, plus progressifs, plus riches, la crédulité a bien
diminué ; on ne voit plus guère d'hommes dans les temples, et ceux
qu'on y voit n'y vont qu'à contrecœur, parce qu'ils auraient peur
de perdre leur clientèle si on ne les voyait pas le dimanche parmi
les fidèles. Chez les femmes, l'incrédulité ne se répand guère ;
de tous les temps les femmes ont été les dernières à abandonner
les anciennes croyances. On les voit aller consulter des
devineresses, des tireuses de cartes, s'adresser à des rebouteurs
plutôt qu'à des médecins, etc. Elles sont fières de se proclamer
chrétiennes. Qu'est-ce donc que le christianisme? C'est un système
de doctrines empruntées à l'Ancien Testament et au Nouveau, où ont
été incorporées une infinité de superstitions, de cérémonies,
prises à d'autres cultes. Ce christianisme, si profitable aux
prêtres, a su s'infiltrer dans les mœurs et devenir un tout
puissant moyen de domination et d'exploitation. Cette religion a
versé plus de sang que les anciens cultes, elle a abruti des peuples
pendant des siècles. Elle fait encore croire aux miracles les plus
idiots, comme ceux de Lourdes, où l'adultère Mme Paillasson a joué
le rôle de l'Immaculée-Conception aux yeux d'une petite
déséquilibrée, Bernadette. Elle envoie encore des superstitieux
venus de tous les pays catholiques pour boire une eau contaminée qui
répand les maladies un peu partout. Ici la crédulité est nettement
nuisible à la santé physique et morale, mais elle rapporte tant
d'argent que les gouvernements, même radicaux-socialistes, n'osent
pas empêcher ni même contredire cette exploitation inepte de la
bêtise humaine, Mais les catholiques n'ont pas été les seuls à
tyranniser au nom de la religion. Les protestants ont été aussi
cruels en Irlande que Louis XIV dans les Cévennes. Au XVIIème
siècle, les Quakers anglais, qui n'admettent pas de prêtres, pas de
guerres, étaient fouettés et emprisonnés en Angleterre, parce
qu'ils différaient de la croyance générale. En Amérique, ces
mêmes Quakers, apôtres de la paix, étaient persécutés par les
Puritains qui avaient fui l'Angleterre afin de pouvoir adorer leur
Dieu à leur guise. Ces Puritains brûlaient des sorcières. En
Suisse même on a brûlé des sorciers jusqu'à la fin du XVIIIème
siècle, ce sont les idées semées par les sceptiques français qui
ont mis fin à ces atrocités. Le célèbre savant anglais Huxley a
écrit : « La croyance à la possession par l'esprit mauvais, à la
sorcellerie, a amené aux XVème, XVIème et XVIIème siècles la
persécution, par les chrétiens, d'innocents hommes, femmes et
enfants, persécutions, tortures plus générales, plus cruelles,
plus meurtrières que ne furent les persécutions des chrétiens par
les païens durant les premiers siècles du christianisme ». Il ne
faut pas oublier que les persécutions exercées par les Romains
avaient leur origine dans la politique, les chrétiens refusant de
reconnaître le gouvernement romain ; ils attendaient le retour
immédiat du Messie, qui devait les sauver tous en détruisant
l'empire romain. Huxley ajoute : « Nous sommes tous, depuis notre
enfance, abrutis par des histoires de diables, de sorcellerie, dans
l'Ancien et le Nouveau Testament. Pour la plupart d'entre nous on ne
nous enseigne rien qui puisse nous aider à observer exactement et à
interpréter nos observations avec le soin nécessaire ». Le décret
de Jacques 1er d'Angleterre condamnait à mort toutes personnes
invoquant les esprits malins, les consultant, les employant, etc., en
général pratiquant les arts infernaux. Les inventeurs du téléphone,
de la lumière électrique, des chemins de fer, de la navigation
aérienne, de la T.S.F., les découvreurs des rayons Hertz et des
rayons X auraient subi le martyre il y a 280 ans. « Nous pouvons
déclarer, dit Bradlaugh, que l'incrédulité a guéri les pieds
ensanglantés de la science et qu'elle a ouvert la route pour la
marche en avant ». Pendant des siècles les exorcismes, le fouet,
les chaînes ont été les châtiments plutôt que les remèdes des
maladies mentales. C'est l'incrédule Pinel qui a fait connaître les
atroces traitements infligés aux malades d'alors. Les églises ne
faisaient rien pour les guérisons scientifiques. Pour les croyants,
les maladies étaient infligées par Dieu, et l'on se gardait bien
d'appeler le médecin. Encore de nos jours les partisans de la
doctrine stupide nommée « Christian Science » croient que la
prière et la foi suffisent pour guérir tous les maux. Des sectaires
appelés Peculiar People (drôles de gens) sont souvent emprisonnés
parce qu'ils laissent mourir leurs proches, enfants ou parents, sans
faire venir un médecin. Triste effet de la crédulité. L'étude des
lois de l'hygiène, l'antisepsie et l'application de la science
médicale ont fait plus pour la santé du peuple que toutes les
prières ; elles ont fait presque disparaître la peste et les
grandes épidémies. La grippe infectieuse est venue de l'Espagne,
elle s'est répandue en Suisse dans le Valais catholique par les
soldats qui apportaient les germes de la maladie. Les prières n'ont
rien fait pour sauver les malades. La crédulité répandait les
bactéries, comme on l'a vu dans beaucoup d'endroits où les
autorités ont fait fermer les églises, lieux de contamination, mais
les croyants allaient assister dehors à la messe et y attrapaient la
grippe, comme on l'a vu même à New-York, où les autorités avaient
interdit les services religieux ; et des milliers de pauvres fous
allaient invoquer une relique de sainte Anne. Là encore
l'incrédulité aurait été utile. On se rappelle la récente
histoire des mauvais traitements infligés au curé de Bombon par des
superstitieux qui l'accusaient de jeter des sorts. Cette croyance aux
mauvais sorts cause assez fréquemment des assassinats, des incendies
de maisons habitées par de pauvres femmes accusées d'être
sorcières, etc. Partout la crédulité fait du mal. Les prêtres
sont toujours du côté des persécuteurs chrétiens. Le grand
historien anglais Buckle, auteur de l'Histoire de la Civilisation en
Angleterre, a écrit : « Tant que les hommes attribuent le mouvement
des comètes au doigt de Dieu, tant qu'ils croient que les éclipses
sont un des moyens par lesquels la divinité exprime son courroux,
ils ne seront jamais coupables de la présomption blasphématoire, de
chercher à prédire de telles apparitions surnaturelles. Avant de
pouvoir étudier les causes de ces phénomènes mystérieux, il
fallait croire ou du moins supposer que ces phénomènes eux-mêmes
pouvaient être expliqués par l'esprit humain ». De même qu'en
astronomie, en géologie le progrès n'est venu qu'à mesure que les
théories chrétiennes ont été rejetées. En ethnologie, en
anthropologie, il a fallu que l'incrédulité détruisît la croyance
au récit de la genèse pour que ces sciences pussent se développer.
Il y a encore de nombreuses personnes qui croient à la création du
monde il y a quatre mille ans, alors que la science a prouvé que la
terre existait déjà il y a des centaines de milliards d'années.
Aux Etats-Unis, il y a des Etats qui interdisent l'enseignement de la
théorie de l'évolution, du Darwinisme, comme on l'appelle à tort.
Le christianisme a persécuté les Juifs jusqu'à la Révolution
française en France, jusqu'en 1830 en Angleterre, on les persécute
même à présent en Pologne, en Hongrie, en Ukraine, etc. : triste
effet de la crédulité. On massacrait, on expulsait de pauvres
innocents parce qu'on croyait que leurs ancêtres avaient fait mourir
un dieu, ou plutôt un fils de Dieu, qui n'a jamais existé! Les
Juifs eux-mêmes se persécutaient mutuellement parce que d'autres
Juifs avaient d'autres idées religieuses. Les Mahométans massacrent
les Hindous qui massacrent à leur tour les Musulmans quand ils le
peuvent. En Angleterre, on condamne encore à la prison pour
blasphème. On prétend encore que c'est le christianisme qui a aboli
l'esclavage, mensonge évident par lequel les prêtres jettent de la
poudre aux yeux des croyants. Il y a quelques mois, l'évêque de
Fuharry, en Suisse, est venu à Lausanne faire une conférence où il
prétend qu'un des grands services du catholicisme a été
l'abolition de l'esclavage. Or les prêtres chrétiens, catholiques
ou protestants, en se fondant sur la Bible, ont toujours été
d'ardents adversaires de l'abolition. Ce sont les incrédules qui ont
assuré ce grand progrès. C'est le roi chrétien d'Espagne,
Charles-Quint, et un moine, qui ont commencé la traite des nègres.
Il y a cent ans encore, les très croyants armateurs de Bristol et de
Liverpool s'enrichissaient en vendant des esclaves. L'athée
Condorcet, avant la Révolution, avait noblement attaqué
l'esclavage, alors que les planteurs français faisaient travailler
leurs esclaves à coups de fouets. C’est la proclamation des Droits
de l'Homme qui a fait abolir l'esclavage dans les colonies
françaises, esclavage rétabli par Napoléon et supprimé
définitivement grâce aux efforts d'athées comme Schœlcher. Il a
donc fallu des incrédules pour mettre fin à une des plus grandes
iniquités dont les croyants furent toujours des défenseurs
acharnés. Pour terminer, voyons ce qu'un homme intelligent doit
faire. Il doit commencer par faire table rase, selon l'expression de
Descartes, de toutes les idées préconçues dont l'éducation,
l'influence des milieux, surtout des familles, ont bourré le
cerveau. Il ne faut croire à rien qu'on n'ait d'avance observé
soigneusement, ne conclure qu'après avoir vu le pour et le contre,
par l'analyse et la synthèse. On s'élèvera peu à peu à une
croyance solide, en dehors de toute foi religieuse, de toute
superstition atavique. L'homme incrédule n'adoptera pas les
doctrines politiques hasardées, les programmes des beaux parleurs
qui veulent profiter de l'assiette au beurre, il n'élira pas des
représentants qui se moquent bien de leurs promesses. L'incrédule
restera lui, il sera un vrai anarchiste.
- G.
BROCHER.
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