
« Franchement,
quand on a rêvé et tant attendu, il est douloureux de mourir dans
les conditions où je vais peut-être mourir, à la veille, qui
sait ? des événements espérés. Mais que veux-tu ? Peut-être
n’y a-t-il rien d’autre à faire qu’attendre la fin avec,
devant les yeux, l’image de ceux qui m’ont tant aimé et que j’ai
tant aimés » (lettre à Bertoni, 30 juin 1932).
Il
écrit ça le 21 juillet 1932:
« La
société aura toujours une tendance à trop s’immiscer dans le
domaine individuel (Rienzi). La société ? pourquoi ne pas dire
« les gouvernements »[15]
ou,
plus exactement, « les autres » ? Mais les autres, s’ils ne
sont pas les plus forts, s’ils ne sont pas les gouvernements, font
peu de mal.
— Celui
qui jette une bombe et tue un passant dit que, victime de la société,
il s’est rebellé contre elle. Mais le pauvre mort pourrait dire :
« Mais suis-je la société ? »
« Le
but des jacobins et de tous les partis autoritaires, qui se croient
en possession de la vérité absolue, c’est d’imposer leurs idées
à la masse des profanes. Ils doivent pour cela tâcher de s’emparer
du pouvoir, d’assujettir les masses et, avec leurs conceptions, de
fixer l’humanité sur le lit de Procuste. »
« Nous
voulons le triomphe de la liberté et de l’amour. Mais renonçons-nous
pour cela à l’emploi des moyens violents ? Pas le moins du
monde. Nos moyens sont ceux que les circonstances nous permettent et
nous imposent. Évidemment,
nous ne voudrions pas arracher un cheveu à personne ; nous
voudrions sécher toutes les larmes et n’en faire répandre aucune.
Mais il nous faut bien lutter dans le monde tel qu’il est, sous
peine de rester des rêveurs stériles.»
"Il
viendra le jour, nous le croyons fermement, où il sera possible de
faire le bien des hommes sans faire du mal ni à soi ni aux autres.
Aujourd’hui, ce n’est pas possible. Même le plus pur et le plus
doux des martyrs, celui qui se ferait traîner à l’échafaud pour
le triomphe du bien, sans résistance, en bénissant ses persécuteurs
comme le Christ de la légende, celui-là encore ferait bien du mal.
Outre le mal qu’il ferait à soi-même, ce qui doit aussi compter
pour quelque chose, il ferait répandre des larmes amères à tous
ceux qui l’aiment."
"On
sait que dans une seule grande bataille, on tue plus de gens que dans
la plus sanglante des révolutions ; que des millions d’enfants
meurent en bas âge chaque année, faute de soins ; que des
millions de prolétaires meurent prématurément du mal de misère.
On connaît la vie rachitique, sans joie et sans espoir, que mène
l’immense majorité des hommes ; même les plus riches et les
plus puissants sont bien moins heureux qu’ils pourraient l’être
dans une société d’égaux ; et cet état de choses dure depuis
un temps immémorial."
"Nous
comprenons qu’il peut arriver que, dans la fièvre de la bataille,
des natures originairement généreuses, mais non préparées par une
longue gymnastique morale, très difficile dans les conditions
présentes, perdent de vue le but à atteindre, prennent la violence
comme une fin en soi et commettent même des actes sauvages.
Mais une chose est de
comprendre et pardonner, une autre chose de revendiquer de telles
actions. Ce ne sont
pas là des actes que nous pouvons accepter, encourager, imiter. Nous
devons être résolus et énergiques, mais nous devons tâcher de ne
jamais dépasser la limite marquée par la nécessité. Nous devons
faire comme le chirurgien qui coupe quand il faut, mais évite
d’infliger d’inutiles souffrances : en un mot, nous devons être
inspirés par le sentiment de l’amour des hommes, de tous les
hommes"
"La
haine ne produit pas l’amour et ce n’est pas par la haine qu’on
renouvelle le monde. La révolution de la haine échouerait
complètement ou aboutirait à une nouvelle oppression, qui pourrait
bien s’appeler anarchiste, comme on appelle libéraux les
gouvernements actuels, mais qui n’en serait pas moins une
oppression et qui ne manquerait pas de produire les effets de toute
oppression.
Publié
en français dans le journal L’En dehors,
le 21 août 1892 ; puis comme brochure du périodique" Les Temps nouveaux en 1899 ;
republié par Le Réveil communiste-anarchiste,
le 19 janvier 1924.
Le
but des anarchistes
"Mais,
malheureusement, cette tactique ne peut être rigoureusement
appliquée et est incapable d’atteindre son but. La propagande a
une efficacité limitée, et dans un milieu absolument conditionné
moralement et matériellement pour accepter et comprendre une
certaine sorte d’idées. Les paroles et les écrits sont peu
puissants tant qu’une transformation du cadre ne mène pas le
peuple à la possibilité d’apprécier des idées nouvelles.
L’efficacité des organisations ouvrières est également limitée
pour les mêmes raisons qui s’opposent à l’extension indéfinie
de notre propagande, et pas seulement à cause de la situation
économique et morale qui affaiblit ou neutralise complètement les
effets de la prise de conscience de certains travailleurs."
Les
anarchistes et le sentiment moral
"LE
NOMBRE DE CEUX qui se disent anarchistes est tellement grand
aujourd’hui, et sous le nom d’« anarchie » on expose des
doctrines tellement divergentes et contradictoires, que nous aurions
vraiment tort de nous étonner que les gens demeurent indifférents à
notre propagande et nous témoignent aussi de la défiance. Ils ne
sont pas du tout familiarisés avec nos idées et ils ne peuvent pas
distinguer du premier coup les grandes différences qui se cachent
sous le même mot."
"Évidemment,
tout anarchiste, tout socialiste, comprend les fatalités économiques
qui obligent aujourd’hui l’homme à lutter contre l’homme ;
et il voit, en bon observateur, l’impuissance de la révolte
personnelle contre la force prépondérante du milieu social. Mais il
est également vrai que sans la révolte de l’individu, associé à
d’autres révoltés pour résister au milieu et chercher à le
transformer, ce milieu ne changerait jamais."
Le Réveil socialiste-anarchiste, 5 novembre 1904.
Vers
l'anarchie
"Ce malentendu explique pourquoi, parmi nos adversaires, beaucoup croient de bonne foi que l’anarchie est une chose impossible ; et cela explique aussi pourquoi certains camarades, voyant que l’anarchie ne peut venir soudainement étant donné les conditions morales actuelles des gens, vivent entre un dogmatisme qui les met en dehors de la vie réelle et un opportunisme qui leur fait pratiquement oublier qu’ils sont anarchistes et que, par voie de conséquence, ils doivent combattre pour l’anarchie."
"L’anarchie
est l’abolition du vol et de l’oppression de l’homme par
l’homme, c’est-à-dire l’abolition de la propriété
individuelle et du gouvernement. L’anarchie est la destruction de
la misère, des superstitions et de la haine. Donc, chaque coup porté
aux institutions de la propriété individuelle et du gouvernement
est un pas vers l’anarchie, de même que chaque mensonge dévoilé,
chaque parcelle d’activité humaine soustraite au contrôle de
l’autorité, chaque effort tendant à élever la conscience
populaire, à augmenter l’esprit de solidarité et d’initiative
et à égaliser les conditions sociales."
"Le
problème réside dans le fait de savoir choisir la voie qui
réellement nous rapproche de la réalisation de notre idéal et de
ne pas confondre les vrais progrès avec des réformes hypocrites
qui, sous prétexte d’améliorations immédiates, tendent à dévier
le peuple de la lutte contre l’autorité et le capitalisme, à
paralyser son action, et à lui laisser espérer que quelque chose
peut être obtenu de la bonté des patrons et des gouvernements."
"La
violence gouvernementale supprimée, notre violence n’aurait plus
sa raison d’être."
"Chaque
victoire, si minime soit-elle, des travailleurs sur le patronat,
chaque effort contre l’exploitation, chaque parcelle de richesse
soustraite aux propriétaires et mise à la disposition de tous, sera
un progrès, un pas sur la voie de l’anarchie, comme chaque fait
tendant à augmenter les exigences des ouvriers et à donner plus
d’intensité à la lutte, toutes les fois que nous pourrons
envisager ce que nous aurons gagné comme une victoire sur l’ennemi
et non comme une concession dont nous devrions être reconnaissants,
chaque fois que nous affirmerons notre volonté de reprendre par la
force des acquis enlevés aux travailleurs par les propriétaires
protégés par le gouvernement.
Une
fois le gouvernement disparu, avec toutes les institutions nuisibles
qu’il protège, une fois la liberté conquise pour tous ainsi que
le droit aux instruments de travail, sans lequel la liberté est un
mensonge, nous n’envisageons de détruire des choses qu’au fur et
à mesure que nous pourrons les remplacer par d’autres."
« Ce
paradoxe signifie que les idées progressent et évoluent
continuellement et qu’elles ne peuvent accepter un programme fixe,
peut-être valable aujourd’hui, mais qui sera certainement dépassé
demain. »
« Nous
entendons par parti anarchiste l’ensemble de ceux qui veulent
contribuer à réaliser l’anarchie, et qui, par conséquent, ont
besoin de se fixer un but à atteindre et un chemin à parcourir.
Nous laissons bien volontiers à leurs élucubrations
transcendantales les amateurs de vérité absolue et de progrès
continu, qui, ne mettant jamais leurs idées à l’épreuve des
faits, finissent par ne rien faire ni découvrir.'
"Le
remède n’est pas dans l’organisation, mais dans la conscience
perfectible des membres."
"Évidemment,
si, dans une organisation, on laisse à quelques-uns tout le
travail et toutes les responsabilités, si on subit ce que font
certains sans mettre la main à la pâte et chercher à faire mieux,
ces « quelques-uns » finiront, même s’ils ne le veulent
pas, par substituer leur propre volonté à celle de la collectivité.
Si, dans une organisation, tous les membres ne se préoccupent pas de
penser, de vouloir comprendre et de se faire expliquer ce qu’ils ne
comprennent pas, d’exercer sur tout et sur tous leurs facultés
critiques et laissent à quelques-uns la responsabilité de
penser pour tous, ces « quelques-uns » seront les chefs,
les têtes pensantes et dirigeantes."
"La
liberté n’est pas le droit abstrait, mais la possibilité de faire
une chose. Cela est vrai pour nous comme pour la société en
général. C’est dans la coopération des autres que l’homme
trouve le moyen d’exercer son activité, sa puissance d’initiative."
"Nous
sommes comme une armée en guerre et nous pouvons, suivant le terrain
et les mesures prises par l’ennemi, combattre en masse ou en ordre
dispersé. L’essentiel est que nous nous considérions toujours
membres de la même armée, que nous obéissions tous aux mêmes
idées directrices et que nous soyons toujours prêts à nous réunir
en colonnes compactes quand c’est nécessaire et quand on le peut."
Un
projet d'organisation anarchiste
« Les
anarchistes doivent reconnaître l’utilité et l’importance du
mouvement syndical, ils doivent en favoriser le développement et en
faire un des leviers de leur action, s’efforçant que la
coopération du syndicalisme et des autres forces de progrès
aboutissent à une révolution sociale qui entraîne la suppression
des classes, la liberté totale, l’égalité, la paix et la
solidarité entre tous les êtres humains »
"Les
anarchistes doivent reconnaître l’utilité et l’importance du
mouvement syndical, ils doivent en favoriser le développement et en
faire un des leviers de leur action, s’efforçant que la
coopération du syndicalisme et des autres forces de progrès
aboutissent à une révolution sociale qui entraîne la suppression
des classes, la liberté totale, l’égalité, la paix et la
solidarité entre tous les êtres humains. Ce serait une illusion
funeste que de croire, comme beaucoup le font, que le mouvement
ouvrier aboutira de lui-même, en vertu de sa nature même, à une
telle révolution. Bien au contraire, dans tous les mouvements fondés
sur des intérêts matériels et immédiats (et l’on ne peut
établir sur d’autres fondements un vaste mouvement ouvrier), il
faut le ferment, la poussée, le travail préparatoire de personnes
ayant un idéal qui combattent et se sacrifient en vue d’un idéal
à venir. Sans ce levier, tout mouvement tend fatalement à s’adapter
aux circonstances, engendre l’esprit conservateur, la crainte des
changements chez ceux qui réussissent à obtenir des conditions
meilleures ; et il crée souvent de nouvelles classes privilégiées
qui s’efforcent de faire supporter, de consolider l’état de
choses que l’on voudrait abattre. »
"Il
faut donc qu’elles ne soient en rien imprégnées d’esprit
autoritaire, qu’elles sachent concilier la libre action des
individus avec la nécessité et le plaisir de la coopération,
qu’elles servent à développer la conscience et la capacité
d’initiative de leurs membres et soient un moyen éducatif dans le
milieu où elles opèrent, ainsi qu’une préparation morale et
matérielle à l’avenir désiré."
"Je
comprends que ces camarades sont obsédés par le succès des
bolcheviks dans leur pays. Ils voudraient, comme eux, réunir les
anarchistes en une sorte d’armée disciplinée qui, sous la
direction idéologique et pratique de quelques chefs, marche unie à
l’assaut des régimes actuels et qui, après la victoire
matérielle, dirige la constitution de la nouvelle société. Et
peut-être est-il vrai qu’avec ce système, en admettant que des
anarchistes s’y prêtent et que les chefs soient des hommes de
génie, notre force matérielle deviendrait plus grande. Mais pour
quels résultats ? Est-ce qu’il n’arriverait pas à
l’anarchisme ce qui s’est passé en Russie avec le socialisme et
le communisme ?Ces camarades sont impatients d’arriver au succès,
nous le sommes aussi, mais il ne faut pas, pour vivre et vaincre,
renoncer aux raisons de la vie et dénaturer le caractère de
l’éventuelle victoire. Nous voulons combattre et vaincre, mais
comme anarchistes et au moyen de l’anarchie."
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