Jacques Jacques : Tout cela est très beau, et je ne m’y oppose pas ; mais enfin, les messieurs ont la fortune et, en fin du compte, nous devons les remercier, parce que, sans eux, on ne pourrait pas vivre.
Pierre :
S’ils ont la fortune, c’est qu’ils l’ont prise de force et
l’ont augmentée en prenant le fruit du travail des autres. Mais
ils peuvent la perdre de la même manière qu’ils l’ont acquise.
Jusqu’ici, dans le monde, les hommes se sont fait la guerre les uns
aux autres ; ils ont cherché à s’enlever mutuellement le pain
de la bouche, et chacun s’est estimé heureux s’il a pu soumettre
son semblable et s’en servir comme d’une bête de somme. Mais il
est temps de mettre un terme à cette situation. À se faire la
guerre, on ne gagne rien, et l’homme n’a récolté de tout cela
que la misère, l’esclavage, le crime, la prostitution et, de temps
à autre, de ces bains de sang qui s’appellent guerres et
révolutions. S’ils voulaient, au contraire, se mettre d’accord,
s’aimer et s’aider les uns les autres, on ne verrait plus ces
malheurs. Il n’y aurait plus de gens qui possèdent beaucoup,
pendant que d’autres n’ont rien, et l’on ferait en sorte que
tous soient aussi bien que possible.
Je
sais bien que les riches, qui se sont habitués à commander et à
vivre sans travailler, ne veulent plus entendre parler d’un
changement de système. Nous agirons en conséquence. S’ils veulent
enfin comprendre qu’il ne doit plus y avoir de haine et d’inéga
lité entre les hommes et que tous doivent travailler, tant mieux.
Si, au contraire, ils prétendent continuer à jouir des fruits de
leurs violences et des vols commis par eux ou par leurs pères,
alors, tant pis pour eux. Ils ont pris de force tout ce qu’ils
possèdent ; nous aussi, nous le leur enlèverons de force. Si les
pauvres savent s’entendre, ils sont les plus forts.
Jacques :
Mais alors, quand il n’y aura plus de messieurs, comment fera-t-on
pour vivre ? Qui donnera du travail ?
Pierre :
Quelle question ! Mais vous voyez tous les jours comment cela se
passe : c’est vous qui piochez, semez et fauchez. C’est vous
qui battez le grain et le portez dans les greniers ; c’est vous
qui faites le vin, l’huile et le fromage, et vous me demandez
comment on fera pour vivre sans les messieurs ? Demandez-moi plutôt
comment les messieurs feraient pour vivre si nous n’étions pas là,
nous, pauvres imbéciles, travailleurs de la campagne et de la ville,
qui peinons à les nourrir et à les vêtir, et qui leur laissons
prendre nos filles afin qu’ils puissent se divertir.
Il
y a un moment, vous vouliez remercier les patrons parce qu’ils vous
font vivre. Vous ne comprenez donc pas que ce sont eux qui vivent de
votre travail et que chaque morceau de pain qu’ils mangent est
enlevé à vos enfants ; que chaque cadeau qu’ils font à leur
femme représente la misère, la faim, le froid ; peut-être même
la prostitution pour les vôtres ?
Qu’est-ce
que produisent les messieurs ? Rien ! Donc, tout ce qu’ils
consomment est enlevé aux travailleurs.
Supposons
que demain, tous les ouvriers des champs disparaissent, il n’y aura
plus personne pour travailler la terre, et tout le monde mourra de
faim.
Que
les cordonniers disparaissent, on ne fera plus de souliers ; que
les maçons disparaissent, on ne pourra plus faire de maisons, et
ainsi de suite. Que chaque classe de travailleurs vienne à manquer
l’une après l’autre, avec elle disparaîtra une branche de la
production, et l’homme devra se priver des objets utiles ou
nécessaires.
Mais
quel préjudice ressentirait-on de la disparition des
messieurs ? Ce serait comme si les sauterelles disparaissaient.
Jacques :
Oui, c’est bien nous, en effet, qui produisons tout. Mais comment
ferais-je, moi, pour produire du blé si je n’ai ni terre, ni
animaux, ni semence ? Crois-moi, il n’y a pas moyen de faire
autrement ; il faut nécessairement être sous la dépendance des
patrons.
Pierre :
Voyons, Jacques, est-ce que nous nous comprenons, oui ou non ? Il
me semble vous avoir déjà dit qu’il faut enlever aux maîtres ce
qui sert à travailler et à vivre : la terre, les outils, les
semences, tout. Je le sais bien, moi, tant que la terre et les
instruments de travail appartiendront aux maîtres, le travailleur
devra être toujours un sujet et ne récoltera qu’esclavage et
misère. C’est pourquoi, retenez bien ceci, la première chose à
faire, c’est d’enlever la propriété aux bourgeois ; sans
cela, le monde ne pourra jamais s’améliorer.
Jacques :
Tu as raison, tu l’avais dit. Mais que veux-tu, ce sont pour moi
des choses si nouvelles que je m’y perds. Mais explique-moi un
peu comment tu voudrais faire. Cette propriété enlevée aux riches,
qu’en ferait-on ? On se la partagerait, n’est-ce pas ?
Pierre :
Pas du tout. Et quand vous entendrez dire que nous voulons partager,
que nous voulons prendre la place de ceux qui possèdent, sachez que
celui qui dit cela est un ignorant ou un méchant.
Jacques :
Mais alors ? Je n’y comprends plus rien.
Pierre :
Et pourtant, ce n’est pas difficile : nous voulons mettre tout en
commun.
Nous
partons du principe que tous doivent travailler et que tous doivent
être le mieux possible. Dans ce monde, on ne peut vivre sans
travailler. Si un homme ne travaillait pas, il devrait vivre du
travail des autres, ce qui est injuste et nuisible. Mais, bien
entendu, quand je dis que tous doivent travailler, je veux dire tous
ceux qui peuvent le faire. Les estropiés, les impotents, les
vieillards doivent être entretenus par la société, parce que c’est
un devoir d’humanité de ne faire souffrir personne. Du reste, nous
deviendrons tous vieux, et nous pouvons devenir estropiés ou
impotents d’un moment à l’autre, aussi bien que tous ceux qui
nous sont chers.
Maintenant,
si vous réfléchissez bien, vous verrez que toutes les
richesses, c’est-à-dire tout ce qui existe d’utile à l’homme,
peuvent se diviser en deux parts. L’une, qui comprend la terre, les
machines et tous les instruments de travail, le fer, le bois, les
pierres, les moyens de transport, etc., est indispensable pour
travailler et doit être mise en commun pour servir à tous comme
instrument de travail. Quant au mode de travail, c’est une chose
qu’on verra plus tard. Le mieux serait, je crois, de travailler en
commun, parce que, de cette manière, on produit plus, avec moins de
fatigue. D’ailleurs, il est certain que le travail en commun sera
adopté partout, car, pour travailler chacun séparément, il
faudrait renoncer à l’aide des machines qui simplifient
et diminuent le travail de l’homme. Du reste, quand les hommes
n’auront plus besoin de s’enlever le pain de la bouche les uns
aux autres, ils ne seront plus comme chiens et chats et trouveront du
plaisir à être ensemble et à faire les choses en commun. On
laissera, bien entendu, travailler seuls ceux qui voudront le faire :
l’essentiel, c’est que personne ne puisse vivre sans travailler,
obligeant ainsi les autres à travailler pour lui. Mais cela ne
pourra plus arriver. En effet, chacun ayant droit à la matière du
travail, nul ne voudra certainement se mettre au service d’un
autre.
L’autre
partie des richesses comprend les choses qui servent directement aux
besoins de l’homme, comme les aliments, les vêtements, les
maisons. Celles-ci, il faut les mettre en commun et les distribuer de
manière qu’on puisse aller jusqu’à la nouvelle récolte et
attendre que l’industrie ait fourni de nouveaux produits.
Quant
aux choses qui seront produites après la révolution, alors qu’il
n’y aura plus de patrons oisifs vivant sur les fatigues des
prolétaires affamés, on les répartira suivant la volonté des
travailleurs de chaque pays. Si ceux-ci veulent travailler en commun,
tout sera pour le mieux. On cherchera alors à régler la production
de manière à satisfaire les besoins de tous, et la consommation de
manière à assurer à tous la plus grande somme de bien-être. Si
cela est fait, tout est dit.
Si
l’on ne procède pas ainsi, il faudra calculer ce que chacun
produit, afin que chacun puisse prendre la quantité d’objets
équivalente à sa production. C’est là un calcul assez difficile,
que je crois, pour ma part, presque impossible. Lorsqu’on verra la
difficulté de la distribution proportionnelle, on acceptera plus
facilement l’idée de mettre tout en commun.
Mais,
de toute manière, il faudra que les choses de première nécessité,
comme le pain, le logement, l’eau et les choses de ce genre, soient
assurées à tous, indépendamment de la quantité de travail que
chacun peut fournir. Quelle que soit l’organisation adoptée,
l’héritage ne doit plus exister, parce qu’il n’est pas juste
que l’un trouve en naissant la richesse, et l’autre la faim et
les privations. Même si l’on admet l’idée que chacun est maître
de ce qu’il a produit et peut faire des économies pour son compte
personnel, il faudra qu’à sa mort, son épargne retourne à la
communauté.
Les
enfants, cependant, devront être élevés et instruits aux frais de
tous, et de manière à leur assurer le plus grand développement et
la meilleure instruction possible. Sans cela, il n’y aurait ni
justice ni égalité. On violerait le principe du droit de chacun aux
instruments de travail. Il ne suffirait pas de donner aux hommes la
terre et les machines, si l’on ne cherchait à les mettre tous en
état de s’en servir le mieux possible.
De
la femme, je ne vous dis rien, parce que, pour nous, la femme doit
être l’égale de l’homme, et quand nous parlons de l’homme,
nous voulons dire l’humanité, sans distinction de sexe.
Jacques
: Il y a une chose, pourtant, que je ne vois pas : prendre la
fortune aux messieurs qui ont volé et affamé les pauvres gens,
c’est bien. Mais si un homme, à force de travail et d’économie,
est parvenu à mettre de côté quelques sous, à acheter un petit
champ ou à ouvrir une petite boutique, de quel droit pourrais-tu
lui enlever ce qui est vraiment le fruit de son travail ?
Pierre :
C’est fort difficile. Il est impossible de faire des économies
aujourd’hui, quand les capitalistes et le gouvernement prennent les
meilleurs produits ; et vous devriez le savoir, vous qui, après
tant d’années de travail assidu, êtes aussi pauvres qu’avant.
Du reste, je vous ai déjà dit que chacun a droit aux matières
premières et aux instruments de travail ; c’est pourquoi si un
homme possède un petit champ, pourvu qu’il le travaille de ses
mains, il pourra bien le garder, et on lui donnera en outre les
outils perfectionnés, les engrais et tout ce qui sera nécessaire
pour que la terre puisse produire le plus possible. Certainement, il
sera préférable qu’on mette tout en commun ; mais, pour cela,
il n’y aura pas besoin de forcer quiconque, parce que tous
trouveront un plus grand intérêt à adopter le système du
communisme. Avec la propriété et le travail communs, tout ira
beaucoup mieux qu’avec le travail isolé, d’autant plus qu’avec
l’invention des machines, le travail isolé devient, relativement,
toujours moins rentable.
Jacques :
Ah ! les machines ! voilà les choses qu’on devrait brûler !
Ce sont elles qui cassent les bras et enlèvent le travail aux
pauvres gens. Ici, dans nos campagnes, on peut être sûr que chaque
fois qu’il arrive une machine, notre salaire diminue. Un certain
nombre d’entre nous se retrouvent sans travail, forcés de partir
ailleurs pour ne pas mourir de faim. En ville, cela doit être pire.
Au moins, s’il n’y avait pas de machines, les messieurs auraient
plus besoin de notre travail, et nous vivrions un peu mieux.
Pierre :
Vous avez raison, Jacques, de penser que les machines sont une des
causes de la misère et du manque de travail. Cela se passe ainsi
parce qu’elles appartiennent aux riches. Si elles appartenaient aux
travailleurs, ce serait tout le contraire : elles seraient la cause
principale du bien-être de l’humanité. En effet, les machines ne
font, en réalité, que travailler à notre place, et plus rapidement
que nous. Grâce aux machines, l’homme n’aura plus besoin de
travailler pendant de longues heures pour satisfaire ses besoins et
ne sera plus condamné à de pénibles travaux, qui excèdent ses
forces physiques. C’est pourquoi, si les machines étaient
appliquées à toutes les branches de la production et appartenaient
à tous, on pourrait, en quelques heures de travail léger et
agréable, suffire à tous les besoins de la consommation. Chaque
ouvrier aurait le temps de s’instruire, d’être en relations
d’amitié, de vivre, en un mot, et de jouir de la vie en profitant
de toutes les conquêtes de la civilisation et de la science. Donc,
souvenez-vous-en bien, il ne faut pas détruire les machines, il
faut s’en emparer. Et puis, sachez que les messieurs protégeraient
tout aussi bien leurs machines contre ceux qui voudraient les
détruire que contre ceux qui tenteraient de s’en emparer. Par
conséquent, puisqu’il faut faire le même effort et courir les
mêmes périls, ce serait proprement une sottise de les détruire
plutôt que de les prendre. Voudriez-vous détruire le blé et les
maisons s’il y avait moyen de les partager entre tous ?
Certainement pas. Eh bien ! il faut en agir de même avec les
machines, parce que si elles sont entre les mains des patrons les
instruments de notre misère et de notre servitude, elles deviendront
dans nos mains des instruments de richesse et de liberté.
Jacques :
Mais, pour que tout aille bien avec ce système, il faudrait que tout
le monde veuille travailler volontairement. N’est-ce pas ?
Pierre :
Bien entendu.
Jacques :
Et s’il y en a qui veulent vivre sans travailler ? C’est dur de
se fatiguer et cela ne plaît même pas aux chiens.
Pierre :
Vous confondez la société telle qu’elle est aujourd’hui, avec
la société telle qu’elle sera après la révolution. La fatigue,
avez-vous dit, ne plaît même pas aux chiens. Mais pourquoi
voudriez-vous rester des journées entières sans rien faire ?
Jacques :
Moi, non, parce que je suis habitué au travail, et quand je n’ai
rien à faire, il me semble que mes mains me démangent. Mais il y a
bien des gens qui resteraient toute la journée à jouer aux cartes
au café ou à se promener sans rien faire.
Pierre :
Aujourd’hui, oui ; mais après la révolution, cela ne sera pas
pareil et voici pourquoi. Aujourd’hui, le travail est pénible, mal
payé et méprisé. Aujourd’hui, celui qui travaille doit crever de
fatigue, mourir de faim et être traité comme une bête. Celui qui
travaille n’a aucun espoir, il sait qu’il devra finir sa vie à
l’hôpital, s’il ne la finit pas en prison. Comme il ne peut pas
s’occuper de sa famille, il ne jouit en rien de la vie et souffre
continuellement de mauvais traitements et d’humiliations de toutes
sortes. Celui qui ne travaille pas, au contraire, jouit de tout le
confort : il est apprécié, estimé, tous les honneurs, tous les
plaisirs sont pour lui. Même parmi les ouvriers, celui qui travaille
le moins et fait les choses les moins pénibles gagne davantage et
est plus estimé. Quoi d’étonnant alors que les gens travaillent
avec dégoût et saisissent avec empressement l’occasion de ne rien
faire ? Quand, au contraire, le travail se fera dans des conditions
humaines, pendant une durée raisonnable et conformément aux lois
d’hygiène ; quand le travail leur saura qu’il travaille pour
le bien-être des siens et de tous les hommes ; quand le travail
sera la condition indispensable pour être estimé dans la société
et que le paresseux sera livré au mépris public comme aujourd’hui
l’espion et l’entremetteur, qui voudra alors renoncer à la joie
de se savoir utile et aimé, pour vivre dans une oisiveté aussi
funeste à son corps qu’à son esprit ?
Aujourd’hui
même, à part quelques rares exceptions, tout le monde éprouve une
répugnance invincible, comme instinctive, pour le métier de
mouchard et celui de proxénète. Et pourtant, en faisant ces métiers
abjects, on gagne beaucoup plus qu’à piocher la terre ; on
travaille peu ou pas du tout, et l’on est plus ou moins protégé
par l’autorité. Mais comme ce sont des métiers infâmes, signe
d’une profonde abjection morale, car ils n’entraînent que la
douleur et le mal, presque tous les hommes préfèrent la misère à
l’infamie. Il y a des exceptions, des hommes faibles et corrompus
qui préfèrent l’infamie, il s’agit toujours du choix entre
l’infamie et la misère. Qui, au contraire, choisirait une vie
infâme et méprisable, s’il pouvait en travaillant avoir le
bien-être et l’estime publique ? Certes, si un tel fait venait à
se produire, il serait si contraire à la nature de l’homme qu’on
devrait le considérer comme un cas de folie.
Et,
n’en doutez pas : la réprobation publique contre la paresse ne
manquerait pas de se produire, parce que le travail est le premier
besoin d’une société. Le paresseux non seulement ferait du mal à
tous en vivant du produit des autres, sans contribuer par son travail
aux besoins de la communauté, mais il romprait l’harmonie de la
nouvelle société et serait l’élément d’un parti de mécontents
qui pourrait désirer le retour au passé. Les collectivités sont
comme les individus : elles aiment et honorent ce qui est ou
qu’elles croient utile. Elles haïssent et méprisent ce qu’elles
savent ou croient nuisibles. Elles peuvent se tromper, et se trompent
même trop souvent ; mais, dans le cas dont il s’agit, l’erreur
n’est pas possible. De toute évidence celui qui ne travaille pas,
mange et boit aux dépens des autres, fait du tort à tous.
En
voici la preuve : supposez que vous êtes associé avec d’autres
hommes pour faire en commun un travail dont vous partagerez le
produit en parties égales. Bien évidemment, vous respecterez alors
vos compagnons faibles ou maladroits. Quant au paresseux, vous lui
rendrez la vie tellement dure qu’il vous quittera ou aura bientôt
envie de travailler. C’est ce qui arrivera dans la grande société,
chaque fois que la fainéantise de quelques-uns pourrait causer
un dommage important.
Et
puis, à la fin du compte, si l’on ne pouvait marcher de l’avant,
à cause de ceux qui ne voudraient pas travailler, ce que je crois
impossible, le remède sera facile à trouver : on les expulsera de
la communauté. Alors, n’ayant droit qu’à la matière première
et aux instruments de travail, ils seront bien forcés de travailler
s’ils veulent vivre.
Jacques :
Tu commences à me convaincre ; mais, dis-moi, tous les hommes
seraient-ils obligés de travailler la terre ?
Pierre :
Pourquoi cela ? L’homme n’a pas besoin seulement de pain, de
vin et de viande ; il lui faut aussi des maisons, des vêtements,
des livres ; en un mot, tout ce que les travailleurs de tous les
métiers produisent, et personne ne peut pourvoir seul à tous ses
besoins. Déjà, pour travailler la terre, est-ce que l’on n’a
pas besoin du forgeron et du menuisier qui font les outils, et aussi
du mineur qui déterre le fer, et du maçon qui construit les
maisons, les magasins, et ainsi de suite ? Donc, il n’est pas dit
que tous travailleront la terre, mais que tous feront des œuvres
utiles.
La
variété des métiers permettra d’ailleurs à chacun de choisir la
besogne qui lui conviendra le mieux, et ainsi, du moins dans la
mesure du possible, le travail ne sera plus pour l’homme qu’un
exercice, qu’un divertissement ardemment désiré.
Jacques :
Donc, chacun sera libre de choisir le métier qu’il voudra ?
Pierre :
Certainement, en ayant soin que les choix ne portent pas
exclusivement sur certains métiers et manquent dans d’autres.
Comme on travaillera dans l’intérêt de tous, il faut faire en
sorte que tout ce qui est nécessaire soit produit, en conciliant
autant que possible l’intérêt général et les préférences
individuelles. Mais vous verrez que tout s’arrangera pour le mieux,
quand il n’y aura plus de patrons qui nous font travailler pour un
morceau de pain, sans que nous puissions nous occuper de savoir à
quoi et à qui sert notre travail.
Jacques :
Tu dis que tout s’arrangera, et moi, au contraire, je crois que
personne ne voudra faire les métiers pénibles ; tous voudront
être avocats ou docteurs. Qui labourera la terre ? Qui voudra
risquer sa santé et sa vie dans les mines ? Qui voudra entrer dans
les puits noirs et toucher le fumier ?
Pierre :
Ah ! quant aux avocats, laissez-les de côté, car, comme les
prêtres, il forme une gangrène que la révolution sociale fera
disparaître complètement. Parlons des travaux utiles, et non de
ceux faits aux dépens du prochain ; sinon il faudra compter aussi
comme travailleur l’assassin dans les rues, qui, souvent, doit
supporter de grandes souffrances.
Aujourd’hui,
nous préférons un métier à un autre, non parce qu’il est plus
ou moins conforme à nos facultés et à nos goûts, mais parce qu’il
est plus facile à apprendre, parce que nous gagnons ou espérons
gagner plus, parce que nous pensons trouver plus facilement des
débouchés, et, ensuite seulement, parce que tel ou tel travail peut
être moins pénible qu’un autre. En somme, le choix d’un métier
nous est surtout imposé par notre naissance, le hasard et les
préjugés sociaux. Par exemple, le métier de laboureur est un
métier qui ne plairait à aucun citadin, même parmi les plus
misérables. Et pourtant, l’agriculture n’a rien de répugnant en
soi, et la vie des champs ne manque pas de plaisir. Bien au
contraire, si vous lisez les poètes, vous les voyez pleins
d’enthousiasme pour la vie champêtre. Mais la vérité est que les
poètes qui font des livres n’ont jamais labouré la terre, tandis
que les cultivateurs se crèvent la santé, meurent de faim, vivent
plus mal que les bêtes et sont traités comme des gens de rien,
tellement que le dernier vagabond des villes se trouve offensé de
s’entendre appeler paysan. Comment voulez-vous alors que les
gens travaillent volontiers la terre ? Nous-mêmes, qui sommes nés
à la campagne, nous la quittons aussitôt que nous en avons la
possibilité, parce que, quoi que nous fassions, nous sommes mieux
ailleurs et plus respectés. Mais qui de nous voudra quitter les
champs s’il travaillait pour son compte et trouvait dans le travail
de la terre bien-être, liberté et respect ?
Il
en va de même pour tous les métiers, parce que le monde est ainsi
fait aujourd’hui que plus un travail est nécessaire et pénible,
plus il est mal rétribué, méprisé et fait dans des conditions
inhumaines. Par exemple, allez dans l’atelier d’un orfèvre, et
vous comme travailleur l’assassin dans les rues, qui, souvent,
doit supporter de grandes souffrances.
Aujourd’hui,
nous préférons un métier à un autre, non parce qu’il est plus
ou moins conforme à nos facultés et à nos goûts, mais parce qu’il
est plus facile à apprendre, parce que nous gagnons ou espérons
gagner plus, parce que nous pensons trouver plus facilement des
débouchés, et, ensuite seulement, parce que tel ou tel travail peut
être moins pénible qu’un autre. En somme, le choix d’un métier
nous est surtout imposé par notre naissance, le hasard et les
préjugés sociaux. Par exemple, le métier de laboureur est un
métier qui ne plairait à aucun citadin, même parmi les plus
misérables. Et pourtant, l’agriculture n’a rien de répugnant en
soi, et la vie des champs ne manque pas de plaisir. Bien au
contraire, si vous lisez les poètes, vous les voyez pleins
d’enthousiasme pour la vie champêtre. Mais la vérité est que les
poètes qui font des livres n’ont jamais labouré la terre, tandis
que les cultivateurs se crèvent la santé, meurent de faim, vivent
plus mal que les bêtes et sont traités comme des gens de rien,
tellement que le dernier vagabond des villes se trouve offensé de
s’entendre appeler paysan. Comment voulez-vous alors que les
gens travaillent volontiers la terre ? Nous-mêmes, qui sommes nés
à la campagne, nous la quittons aussitôt que nous en avons la
possibilité, parce que, quoi que nous fassions, nous sommes mieux
ailleurs et plus respectés. Mais qui de nous voudra quitter les
champs s’il travaillait pour son compte et trouvait dans le travail
de la terre bien-être, liberté et respect ?
Il
en va de même pour tous les métiers, parce que le monde est ainsi
fait aujourd’hui que plus un travail est nécessaire et pénible,
plus il est mal rétribué, méprisé et fait dans des conditions
inhumaines. Par exemple, allez dans l’atelier d’un orfèvre, et
vous sont aussi utiles et nécessaires dans la société moderne que
les paysans et les autres ouvriers. Je veux dire seulement que tous
les travaux utiles doivent être également appréciés et faits de
telle sorte que le travailleur trouve une égale satisfaction à les
faire. Les travaux intellectuels, qui sont par eux-mêmes un grand
plaisir, qui donnent à l’homme une grande supériorité sur celui
qui reste dans l’ignorance, doivent être accessibles à tous, et
non pas rester le privilège d’un petit nombre.
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