dimanche 9 juin 2019

Journal de la Commune


Nous sommes priés de publier l’appel suivant, que l’Union républicaine centrale, société fondée il y a quelques mois par les anciens représentants du peuple, adresse aux électeurs parisiens :

Sous le coup des événements si graves qui vont présider aux élections communales du 6 avril, il est du devoir de l’Union républicaine centrale de bien dessiner aux yeux des électeurs la vraie situation de Paris, de la République, de la France.
Thiers affirme qu’il veut conserver la forme républicaine ; mais les moyens mêmes qu’il emploie pour conserver sa république contre Paris sont des moyens destinés nécessairement à la détruire
En effet, pour convertir Paris à ses vieilles doctrines de centralisation absolue, M. Thiers fait appel à la force des armes, et il confie ses armées aux principaux généraux de l’Empire, à des hommes qui ne peuvent redevenir ou devenir sénateurs ou maréchaux et palper de scandaleux traitements que par la Restauration d’un Bonaparte.
Or, ce sont ces généraux qui disposent véritablement des troupes dirigées contre Paris.
Si la victoire restait à la prétendue armée de l’Assemblée, ce sont ces généraux qui entreraient dans Paris à la tête de leurs soldats ; ce sont eux, et non M. Thiers ou l’Assemblée, qui seraient les maîtres de Paris et de la France.
Après avoir fusillé, à l’aide des dénonciations et de la coopération des amis de l’ordre, 8 ou 10 000 des plus courageux défenseurs de Paris, après en avoir arrêté et garroté plus de 30 000 destinés au supplice de la transportation à Cayenne, ces généraux, n’ayant plus à redouter une résistance à leurs projets, proclameraient l’Empire et restaureraient le père ou le fils à leur propre profit.
Et M. Thiers, le républicain ? On le prierait d’aller place Saint-Georges se reposer des fatigues qu’il aurait subies pour la fondation de la République !
Et l’Assemblée de Versailles ? MM. les généraux renverraient tous les hobereaux dans leurs villages, et les renverraient satisfaits, en leur assurant que les prix des bestiaux et des denrées doubleraient incessamment par la grâce de l’Empire.
Quant aux députés républicains de Paris, qui ont abandonné Paris pour crime d’insurrection, ils seraient épargnés pour avoir contribué par leur silence à tromper la France, pour n’avoir pas démenti une seule fois les mensonges infâmes de l’Officiel et des journaux de M. Thiers, pour avoir, par leur abandon, paralysé la défense de Paris, qui les avait élus pour soutenir énergiquement ses droits.
Tel est le résultat nécessaire de la politique républicaine de M. Thiers, si ses généraux étaient victorieux : — la ruine de la République ! — le rétablissement de l’Empire !
Si tous les orléanistes, si tous les légitimistes de l’Assemblée, c’est-à-dire tous les adversaires d’une restauration impérialiste, avaient le moindre sens politique, ils se hâteraient de se débarrasser de M. Thiers et de ces généraux si imprudemment choisis, et, plutôt que de lutter sottement pour arriver au rétablissement d’un
Bonaparte, qui opprimerait leurs provinces, ils feraient la paix avec Paris, qui combat pour la liberté de toutes leurs communes.
Que doit donc faire Paris ? Se défendre à outrance, et, par ses élections, se resserrer autour des vrais défenseurs de la République. Il ne faut pas surtout laisser amollir les courages et refroidir les dévouements, en laissant croire à une conciliation impossible en ce moment.
Si ces tentatives de conciliation n’étaient qu’illusoires ! mais elles sont dangereuses pour la défense. Nous sommes en état de guerre. Dans la guerre, il faut l’unité du pouvoir qui dirige la défense, inventer une sorte de pouvoir qui peut diriger la paix, c’est un danger, car il y a tentative, même involontaire, de division des forces.
C’est encore bien pis dans, au retour de Versailles, on publie cette phrase : « M. Thiers ajoute : « Quiconque renoncera à la lutte armée, c’est-à-dire quiconque rentrera dans ses foyers en quittant toute attitude hostile, sera à l’abri de toute recherche. » N’est-ce pas, involontairement sans doute, provoquer à la défection des postes de péril ? N’est-ce pas s’exposer à faire tomber les défenseurs de Paris dans le piège de la clémence de M. Thiers ?
Enfin, et sans le vouloir, on élève un drapeau de ralliement autour duquel viendraient se presser tous les prétendus amis de l’ordre, qui ne demandent qu’à forcer la paix, même aux dépens de la République.
La paix ! – oui, la paix acceptée par la république victorieuse ; — oui, la paix signée dans Paris restant armé pour la défense et la conservation de la conservation de la République conquise ; — toute autre paix est une défaite déguisée qui, dans les murs de Paris désarmé, amènerait plus ou moins rapidement la déclaration d’une monarchie.
Mais, disent les amis de Versailles, votre République de la Commune n’est pas la République promise par vos philosophes. Tous les jours, la Commune attente à la liberté individuelle, à la liberté de domicile, à la liberté de la presse.
L’Union républicaine centrale répond : Non, nous n’avons pas aujourd’hui la République, non, mille fois non. — Si la République devait nécessairement, ressembler au régime actuel, nous serions les premiers à la combattre. — Non, aujourd’hui ce n’est pas la République, c’est un état de guerre, et, par la force des
choses, nous sommes sous les lois de la guerre ; soumis à regret, mais par dévouement, à un régime d’exception, nous y soumettons les ennemis cachés ou avoués des citoyens qui combattent aujourd’hui, pour fonder demain la vraie République après le combat et la victoire.
Paris n’est pas aujourd’hui le Paris de la pensée libre, sage ou vagabonde, le Paris des affaires ou des plaisirs. Paris est une ville assiégée ; il défend ses murailles, qui contiennent les libertés de la France.
Voyons les droits d’un belligérant, et, pour les juger avec plus d’impartialité, transportons la guerre sur un territoire étranger.
En 1866, à Sadowa, 200 000 Prussiens sont en face de 200 000 Autrichiens. La bataille s’engage. Tout à coup, à travers les rangs de l’une des armées circulent des émissaires. « Nous ne pouvons nous défendre, disent-ils aux soldats ; nos adversaires sont plus nombreux, mieux disciplinés, plus aguerris. Ils ont une artillerie bien supérieure ; leurs généraux sont habiles, et vous n’avez que des chefs inexpérimentés qui vont vous mener à la boucherie. Vous allez être cernés ; vos munitions, vos vivres vont être coupés. Nous allons tous être massacrés : rendonsnous ! » Que va faire le général ? Il fait saisir et fusiller ces émissaires. Et tous, aux quatre coins de l’Europe, diront : « Il n’a fait que son devoir. »
Dans Paris, n’est-il pas vrai que de prétendus amis de l’ordre et de la paix prêchent, soit de vive voix, soit par la presse, le découragement, en affirmant notre impossibilité de nous défendre, l’infériorité de nos forces, l’inhabilité de nos chefs, nos vivres bientôt coupés, la ville sans gaz, enfin l’absolue nécessité de subir une paix telle quelle, imposée par les ennemis de la République ?
En présence de ces faits incontestables, de ces faits qui se reproduisent journellement, et le matin et le soir, quel est le droit du pouvoir qui défend Paris, quel que soit son nom ? — Son droit et son devoir, c’est de museler les voix qui découragent, c’est de frapper les intrigants de la paix ; — c’est le droit de la guerre, c’est le devoir de tout chef qui défend une ville assiégée.
Electeurs, voici le résumé de la situation :
Paris est en état de guerre, et il défend la République, car le triomphe des généraux impérialistes de Versailles serait la destruction de la République par le rétablissement de l’Empire.
Le triomphe des généraux impérialistes, ce serait le triomphe de la réaction sanguinaire, parce qu’elle est lâche — ce serait : le massacre des défenseurs de Paris, d’autant plus coupables qu’ils auront été signalés comme plus courageux ; — ce serait la transposition en masse des arrondissements les plus dévoués à la République ; — Ce seraient les honneurs, les récompenses, les décorations, les places, les fournitures pour les assassins ; — ce serait juin 1848 ; — ce serait décembre 1851 !
Délibéré par l’Union Républicaine Centrale, dans sa séance du 14 avril 1871.

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