mardi 18 juin 2019

L'homme unidimentionnel Par Herbert Marcuse



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Chapitre I :

« A mesure que devient réalisable la libération à l'égard de la misère, contenu concret de toute liberté, les libertés liées à un stade inférieur de productivité perdent leur contenu originel. L'indépendance de pensée, l'autonomie, le droit à l'opposition politique sont privés de leur fonction essentiellement critique dans une société qui, par son organisation, semble chaque jour plus apte à satisfaire les besoins individuels.Une telle société peut exiger l'acceptation de ses principes et de ses institutions ; il faut débattre des alternatives politiques et les rechercher à l'intérieur du status quo , c'est à cela que se réduit l'opposition. Que ce soit un système autoritaire ou un système non autoritaire qui pratique la satisfaction progressive des besoins, ne joue pas beaucoup à cet égard. Dans ces conditions où le standard de vie est croissant, ne pas se conformer au système n'a aucune utilité sociale apparemment, d'autant moins quand cela entraine des inconvénients économiques et politiques sensibles et menace le bon fonctionnement de l'ensemble. Pourquoi la production et la distribution des biens devraient-elles subir la concurrence des libertés individuelles alors que des nécessités vitales sont en jeu ?
Au début déjà la libre entreprise ne constitue pas une réussite complète. La liberté c'était travailler ou mourir de faim et c'était le labeur, l'insécurité et l'angoisse pour la majeure partie de la population. Si l'individu n'avait plus désormais à se produire sur le marché du travail en tant que sujet économique libre, la disparition de cette sorte de liberté représenterait en fait une des plus grandes réalisations de la civilisation. Les processus technologiques de mécanisation et d'uniformisation pourraient ouvrir à l'énergie individuelle un champ de liberté insoupçonné, au delà des besoins. La structure même de l'existence humaine serait transformée ; l'individu serait libéré d'un travail qui lui impose des besoins et des projets aliénants ; il réintégrerait sa vie. Si l'appareil productif pouvait être organisé et dirigé en fonction des besoins vitaux, son contrôle pourrait être facilement centralisé et ce contrôle favoriserait l'autonomie individuelle au lieu de lui porter atteinte.
La « fin » de la rationalité technologique est un objectif qui pourrait réaliser la société industrielle avancée. C'est la tendance contraire qui s'affirme actuellement : l'appareil fait peser ses exigences économiques, sa politique de défense et d'expansion sur le temps de travail et sur le temps libre, dans le domaine de la culture matérielle et intellectuelle. De la manière dont elle a organisé sa base technologique, la société industrielle contemporaine tend au totalitarisme. Le totalitarisme n'est pas seulement une uniformisation politique terroriste, c'est aussi une uniformisation économico-technique non terroriste qui fonctionne en manipulant les besoins au nom d'un faux intérêt général. Une opposition efficace au système ne peut pas se produire dans ces conditions. Le totalitarisme n'est pas seulement le fait d'une forme spécifique de production et de distribution, parfaitement compatible avec un « pluralisme » de partis, de journaux, avec la « séparation des pouvoirs » , etc. »

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