dimanche 21 août 2022

Moi encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 

Reconnaissons la valeur, à la fois considérable et relative, de la personne humaine ; comprenons qu'amour de soi et amour d'autrui coexistent, plantes voisines, dans le champ de notre pensée. Pour chacun le moi s'avère centre, il est l'unique portion de l'univers dont nous ayons conscience précise et possession entière ; au regard du Tout, il n'est que l'élément d'un ensemble, le maillon d'une chaîne ininterrompue. Ces points de vue sont divers, sans être opposés ; les harmoniser serait facile, si la société, troublant l'ordre de la nature, ne sacrifiait le grand nombre à l'égoïsme de quelques uns. Hiérarchie légale, classements admis par le code créent ides 'intérêts factices, contraires à l'intérêt simplement humain.

L'existence de parasites engendre un bien des exploiteurs contraire au bien des exploités. Mais dans une classe sociale, dans une profession, le bonheur de chacun reste lié au bonheur de tous ; l'ouvrier pâtira, dans l'ensemble, si le coût de la vie augmente, alors que ne croît pas le salaire moyen. À l'intérêt individuel, résultat des aptitudes ou de la situation personnelle, s'ajoute un intérêt collectif indéniable.

Quand la raison enfin maîtresse aura débarrassé le globe des artificielles cloisons qui séparent ses habitants, quand les peuples ne travailleront plus pour des paresseux inutiles, le bien collectif sera celui que la nature assigne à notre espèce prise dans sa totalité. Pour maitriser les énergies hostiles, améliorer leurs conditions de vie, reculer les bornes de l'ignorance, il sera bon que les hommes continuent d'associer leurs efforts. En évitant au moindre de leurs frères toute douleur inutile, ils rempliront leur tâche spécifique et seront les dieux de demain...

Point de vie collective possible lorsque chacun se désintéresse du bien général pour ne songer qu'à soi ; une solidarité vraiment juste implique réciprocité des services rendus. Mais, quand auront disparu les désoeuvrés de l'aristocratie qui consomment beaucoup sans rien produire, le travail des autres sera singulièrement allégé. Des réformes seraient faciles. dans ce sens, si les chefs ne s'y opposaient ; car les faits sociaux, résultats de vouloirs humains, n'ont pas la fatalité des phénomènes cosmiques. En attendant, seule la solidarité pleinement consentie devient règle d'action aux yeux du sage ; des contraintes imposées du dehors il se libère avec joie. Et toujours, il se penche avec tendresse sur les cerveaux sans lumière ou les coeurs ulcérés de ses frères malheureux.

 

– L. BARBEDETTE.

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