jeudi 4 août 2022

Le livre a venir. Par Maurice Blanchot

 Quand onlit les Carnets de HenryJames, ons’étonne de le voir préparer ses romans par des plans très détaillés qu’il modifie sans doute lorsqu’il écrit le livre, mais que parfois il suit fidèlement. Si l’on compare les Carnets à ceuxoùKafka esquissait ses récits, la différence est frappante : dans les Cahiers de Kafka, jamais de plan, nulle analyse préalable ; beaucoup d’ébauches, mais ces ébauches sont l’œuvre elle-même ; parfois une page ou une seule phrase, mais cette phrase est engagée dans la profondeur du récit, et si elle est une recherche, c’est la recherche du récit par lui-même, une voie que le mouvement imprévisible de l’écriture romanesque peut seul ouvrir. Ces fragments ne sont pas des matériaux utilisés par la suite. Proust se sert des ciseaux et de la collé ; il « épingle de-ci de là un feuillet supplémentaire », ces « paperoles » avec lesquelles il édifie son livre, « il n’ose pas dire minutieusement comme une cathédrale, mais tout simplement comme une robe ». Pour d’autres écrivains, le récit ne peut pas se composer dudehors : il perd toute force et toute réalité s’il ne détient pas lui-même le mouvement de progression par lequel il découvre l’espace de son accomplissement. Et cela ne signifie pas nécessairement, pour le livre, une cohérence obscure et irrationnelle : les livres de Kafka sont, par leur structure, plus clairs que ceux de James, moins difficiles et moins complexes que ceux de Proust.



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