"Solution donc parfaite. Il faut pourtant se demander pourquoi, dès qu’on écarte d’elle les alibis de bonne conscience qu’elle nous procure, cette solution du dialogue reste insuffisante et pourquoi Admète aurait eu tort d’y voir une réplique juste à la malédiction du dieu. C’est que le dialogue est fondé sur la réciprocité des paroles et l’égalité des parlants ; seuls deux « Je » peuvent établir une relation dialogale ; chacun reconnaît au second le même pouvoir de parler qu’à soi, chacun se dit égal à l’autre et ne voit dans l’autre rien d’autre qu’un autre « Moi ». C’est le paradis de l’idéalisme bienséant. Mais, d’un côté, nous savons qu’il n’y a presque aucune sorte d’égalité dans nos sociétés. (Il suffit, dans quelque régime que ce soit, d’avoir entendu le « dialogue » entre un homme préjugé innocent et le magistrat qui l’interroge pour savoir ce que signifie cette égalité de parole à partir d’une inégalité de culture, de condition, de puissance, de bonheur ; or, à tout moment, chacun de nous est un juge ou bien se trouve en présence d’un juge ; toute parole est commandement, terreur, séduction, ressentiment, flatterie, entreprise ; toute parole est violence – et prétendre l’ignorer en prétendant dialoguer, c’est ajouter l’hypocrisie libérale à l’optimisme dialectique pour lequel la guerre n’est encore qu’une forme de dialogue.) Mais il faut dire plus. Même si parler également était possible, même si parler assurait cette égalité, travaillait à cette identité, quelque chose d’essentiel n’en manquerait pas moins à la parole. "
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