Biens
transmis par voie de succession. Ce que l'on tient de ses parents,
des générations précédentes, ce qu'on a d'eux ou comme eux.
L'héritage est l'illustration la plus flagrante de la monstrueuse
iniquité du principe de Propriété (voir ce mot). Il suffit
d'étudier à fond l'usage successoral pour reconnaître qu'il n'est
qu'un long enchaînement de vols et de spoliations. Basé sur un
principe foncièrement injuste, il ne peut exister que dans une
société à base autoritaire. Pour que l'héritage subsiste, il faut
que deux classes existent : la classe privilégiée et la classe
pauvre. Il faut que la propriété, la finance, le commerce, le
patronat règnent en maîtres ; il faut que la spéculation
enrichisse d'aucuns au détriment du reste de la population. En un
mot, il faut que la fortune publique s'accumule entre les mains d'une
minorité. L'héritage n'a de raison d'être que dans une société à
base propriétaire. En effet, à quoi peut servir d'hériter soit
d'une maison, soit d'une fortune, soit d'usines ou entreprises? A
pouvoir passer son existence dans l'oisiveté ou dans une aisance
augmentée ; à pouvoir jouir des bonnes choses de la vie ; à ne
plus être ou ne pas être obligé de se livrer à des travaux
pénibles et exténuants ; en un mot, à faire partie de la classe
des privilégiés. Il est évident que son utilité disparaîtrait le
jour où la société actuelle ferait place à un milieu social où
tout serait à la disposition de tous, où la production permettrait
à chacun de satisfaire amplement tous ses besoins. Dans ce milieu
social, hériter ne signifierait pas augmentation de bienêtre, cela
ne permettrait ni de se mieux vêtir, ni de se mieux nourrir, ni de
se mieux loger ; puisque chacun pourrait se nourrir, se vêtir, se
loger comme bon lui semblerait, puisque chaque individu jouirait du
maximum de bien-être adéquat à l'époque à laquelle il vivrait.
Il n'y a véritablement que dans la classe possédante que l'héritage
a de l'importance. Que peut léguer un ouvrier? Rien, si ce n'est
quelques meubles et quelque minuscule épargne. Chez les riches, un
héritage est toujours le produit du vol. La fortune n'est acquise
que grâce à la spéculation ou au bénéfice tiré par le patronat
sur le travail d'ouvriers spoliés et rétribués maigrement. C'est
le fruit du travail d'autrui que le patron lègue à ses héritiers.
C'est quelquefois le produit de véritables crimes et d'abus de
confiance sans nom. L'héritage est le plus grand destructeur
d'amitié et d'affections. Les futurs héritiers attendent, espèrent
et quelquefois provoquent même la mort du parent de qui ils
convoitent la fortune. Entre les héritiers c'est une jalousie, une
haine parfois poussée à son paroxysme, des procès sans fin où
l'on voit les frères essayer de se dépouiller les uns les autres.
Dans les familles riches il n'est pas rare de voir un frère faire
enfermer son frère, un fils faire interner son père ou sa mère
dans un asile d'aliénés, pour posséder plus tôt ou davantage.
L'héritage, c'est le déchainement de la cupidité dans tout ce
qu'elle a de plus abject et de plus vil. Cette sorte d'héritage
disparaîtra avec la société actuelle le jour de la Révolution
sociale. * * * Il y a d'autres héritages que celui-là. La longue
suite d'oppression, d'esclavage, de guerres, de crimes, de
spoliations, d'impitoyable répression que l'avidité, la cupidité,
la licence sans frein des classes possédantes ont fait peser sur les
gueux, nous lègue un lourd héritage de misère qui s'abat pesamment
sur la classe ouvrière. L'ignorance, le mensonge, l'hypocrisie,
l’intolérance que la Religion a fait régner en maîtres durant de
longs siècles, nous vaut un non moins lourd héritage d'erreurs et
de préjugés qui obstruent encore pas mal de cerveaux. Cet héritage
de misères, d'erreurs et de préjugés qui nous vient aussi en
partie de la trop longue résignation du prolétariat ; cet héritage
onéreux, nous nous en débarrasserons par la révolte ct par
l'éducation. Les Babeuf, les Bakounine, les Kropotkine, les Blanqui,
les Varlin, les Malatesta, les Cafiero, les Pini, les Elisée Reclus
et tous les grands révolutionnaires, par leurs écrits ou leurs
actes, nous ont légué l'héritage de révolte qui nous incite à
liquider l'héritage de misère. Les Auguste Comte, les Proudhon, les
Darwin, les Haeckel, et tous les philosophes et les savants, nous ont
légué un héritage de science qui nous aidera à nous débarrasser
de l'héritage de mensonges, d'erreurs et de préjugés. Les
Berthelot, les Pasteur, les Curie et tous les grands savants de la
médecine et de la chimie, nous ont légué un héritage précieux,
et chaque jour amène de nouvelles découvertes qui seront l'héritage
de tous quand la médecine cessera d'être commercialisée. Les
inventeurs, les techniciens, les penseurs, les économistes, par
leurs travaux, amènent chaque jour des perfections scientifiques qui
constituent un précieux héritage qui nous aidera à solutionner les
problèmes de la production dans une société libertaire. Les
théoriciens et les agitateurs anarchistes nous ont légué un
héritage précieux qui nous permettra de nous débarrasser du plus
lourd héritage que nous avons du passé : l'Autorité. L'histoire
des mouvements révolutionnaires de ces trois derniers siècles nous
lègue un héritage riche d'observation, de leçons de faits qui nous
prouve que chaque fois que le Peuple a confié le sort de sa révolte
aux politiciens de quelque parti qu'ils se réclament, le mouvement
tourna toujours au seul avantage des politiciens et au détriment des
révoltés qui se trouvèrent n'avoir fait qu'un changement de
personnel dirigeant mais être restés rivés aux chaînes de
servage. C'est l'héritage légué par les savants, par les
philosophes, par les penseurs, par les théoriciens, par les
révolutionnaires et par l'Histoire de ces derniers siècles que nous
devons apprécier ; car c'est lui qui nous permettra de pouvoir hâter
le jour où, brisant toutes nos chaînes, nous chasserons les
maîtres, ainsi que tous ceux qui rêvent de le devenir. Travaillons
de tout notre cœur, de toutes nos énergies pour la Révolution
sociale ; décrassons les cerveaux, stimulons les énergies,
éveillons dans le peuple l'esprit de révolte, mettons-le en garde
contre les fourbes et les ambitieux qui le veulent dominer, et nous
nous serons nous-mêmes donné un héritage précieux : le Bien-Etre
et la Liberté.
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