d'un mot
grec qui signifiait : peinture, trait, ligne, lettre Littéralement,
la grammaire est l'art de tracer des signes qui fixent la pensée.
C’est l'écriture. Elle est le langage écrit et elle est née, non
seulement bien après le langage parlé, mais aussi bien après la
poésie et l'éloquence, qui ont été les premières formes de l'art
de parler. Elle n'en a pas moins été produite, comme l'a dit
Voltaire, par « l'instinct commun à tous les hommes », instinct «
qui a fait les premières grammaires sans qu'on s'en aperçût ».
Les premières écritures, ou grammaires, furent symboliques, créées
par des civilisations qui se bornèrent à l'idéographie,
reproduisant l'image des choses. Ainsi se forma l'écriture
hiéroglyphique ou picturale des Egyptiens, des Mexicains, des
Chinois, insuffisante pour suivre la pensée et la langue dans leurs
modifications et produisant, a dit Ph. Chasles, « une
matérialisation intellectuelle qui pèse toujours sur ces peuples ».
Le même auteur ajoute : « Jamais nation n'est parvenue à un
développement social grandiose et vrai sans décomposer les sons qui
forment les mots, sans transformer ces mêmes sons en caractère,
sans recomposer la parole qui vole et fuit, sans l'immobiliser à
jamais sur une substance solide au moyen de lettres juxtaposées :
immense et incroyable travail. » Le moyen de ces opérations fut
l'alphabet, dont Ph. Chasles dit avec enthousiasme : « Il n'y a
qu'une création dont l'esprit humain doive être fier : l'alphabet.
» Et il l'appelle : « père des sociétés, seul moteur de tout
perfectionnement. » On a cru pouvoir fixer l'époque de la plus
ancienne écriture ; des découvertes nouvelles l'ont toujours
reculée. Les hommes écrivirent sur du fer, du marbre, de l'airain,
du bois, de l'argile. Dans l'Inde, en Scandinavie et ailleurs, des
rochers sont couverts d'inscriptions. On employa ensuite des peaux
tannées, puis des plaques de bois recouvertes d'une couche de cire,
des tablettes d'ivoire sur lesquelles on écrivait avec un crayon de
plomb, des feuilles de plomb où l'écriture se marquait avec un
poinçon de métal. Vinrent ensuite l'usage du parchemin et celui du
papyrus, devenu le papier. L'invention de l'alphabet est généralement
attribuée aux Phéniciens. L'Anglais Isaac Taylor composa, en 1883,
un ouvrage pour démontrer que toutes les écritures alphabétiques
sont dérivées de Phénicie. Mais Taylor était insuffisamment
informé. L'écriture alphabétique ne fut pas la création spontanée
d'un peuple ; elle se forma lentement, chez plusieurs, en suivant le
développement de leur civilisation. Depuis Taylor, on a découvert
des inscriptions alphabétiques plus anciennes que l'écriture
phénicienne et indépendantes d'elle. Les pays du bassin
méditerranéen en possèdent des traces préhistoriques. L'écriture
n'arriva à donner toute sa contribution au développement social que
lorsque l'imprimerie permit de la répandre à l'infini.
L'imprimerie, dont la découverte est attribuée à l'époque de
Gutenberg, était connue des Romains qui employaient des caractères
mobiles bravés pour apprendre à lire aux enfants. Ce qui manquait
pour la répandre, c'était le papier à bon marché, qu'on inventa
au XVe siècle. « L'imprimerie, c'est la mémoire du genre humain
fixée. » (Ph. Chasles). Mais, pour fixer exactement cette mémoire
dans la forme imprimée, il faut d'abord l'étudier et la fixer dans
les formes de la pensée. C'est par ce travail que la grammaire
étendit son premier domaine, celui de l'écriture, à l'observation
de la pensée pour être d'abord l'art de la bien exprimer, dont
Platon a parlé, puis l’ « ars legendi et scribendi » de Diodore
de Sicile, c'est-à-dire l'art de lire et d'écrire, qu'on appela
Grammatistica. après qu'Aristote et Théodecte en eurent donné les
premiers principes. Dépassant la grammatistica, - science
grammaticale, - la grammaire devint l'art du langage dans un sens de
plus en plus étendu. Parmi les sept arts libéraux des anciens, elle
engloba tout ce qui était littérature. Par la suite, en se
développant encore, l'étude du langage se divisa en plusieurs
branches spéciales. La grammaire proprement dite revint à son
premier emploi : l'art de parler et d'écrire selon des règles.
C'est celui qu'elle a encore aujourd'hui. Dans l'antiquité, au
Moyen-Âge et jusqu'au XVIe siècle, on appela grammairiens tous ceux
qui s'occupaient de belles-lettres et étaient savants dans tous
leurs genres, sans même s'intéresser spécialement à la grammaire.
On donnait cette qualité comme un titre d'honneur à tous ceux qui
se distinguaient dans les travaux de l'esprit. En 1580, elle fut
décernée au jurisconsulte italien Thomas d'Aversa, bien qu'il
n'écrivit jamais que sur le droit. Cela n'empêchait pas de railler
les grammairiens étroitement préoccupés des règles, d'autant plus
tyranniques qu'elles étaient plus fausses. L'écrivain satirique
Pontano faisait dire à Virgile qu'il montrait fuyant devant ces
pontifes : « 0 grammairiens, que vos lettres humaines sont
inhumaines ! » Trop souvent les grammairiens, tout en rendant au
langage des services incontestables, se sont montrés ridicules par
des exigences arbitraires et ont justifié la méfiance et la
raillerie. Un auteur écrivait en 1530 : Qui se fie en sa grammaire
S'abuse manifestement. Combien que grammaire profère Et que lettre
soit la grand'mère Des sciences... Il est peu de grammairiens qui
n'aient pas justifié cette méfiance et il faut arriver à Littré
pour en rencontrer un d'un esprit parfaitement objectif, ayant su
dégager les richesses véritables de la langue française et montrer
leur emploi judicieux. Trop souvent, en grammaire, le mauvais usage
l'a emporté sur des vieux principes qui s'accordaient avec la
raison. Trop souvent aussi, le pédantisme a fait sacrifier le bon
sens de l'usage général et condamner la simplicité, la clarté, la
grâce naturelle à des excentricités, des formes artificielles et
des modes éphémères. Le XVIe siècle, qui fut l'époque des études
les plus sérieuses sur la langue française, avant celles du XIXe
siècle, et le temps du plus magnifique épanouissement de cette
langue dans les œuvres des Rabelais, Ronsard, Amyot, Montaigne, vit
aussi les pires horreurs du langage et n'a été en cela dépassé
que par notre époque d'après guerre. (Voir Etudes sur le XVIe
siècle en France, par Ph. Chasles, et voir notre article Langage).
Il y a, entre l'observation rigide des principes et la liberté sans
frein, un juste milieu qu'il est nécessaire d'observer pour ne pas
conduire les principes à une momification et la liberté à une
licence aussi funestes l'une que l'autre. En grammaire, comme en
toutes choses, ce juste milieu a été trop souvent inobservé. Trop
souvent les grammairiens, comme les écrivains de tous genres, ont
oublié que les seules mais véritables fautes, dans l'emploi d'une
langue, sont les locutions qui l'obscurcissent, la rendent équivoque,
incompréhensible, ne lui font pas dire nettement et clairement ce
qu'elle a à dire, même lorsqu'elle exprime les nuances les plus
subtiles des sentiments. Rivarol, occupé à écrire une grammaire,
disait : « Je ressemble à un amant obligé de disséquer sa
maîtresse. « Mais, en même temps, il apprenait à rendre cette
maîtresse plus belle. R. de Gourmont a dit de lui : « Il ne faut
pas oublier que, comme presque tous les écrivains exacts, Rivarol
était grammairien; il n'aimait les idées nues que pour avoir le
plaisir de les couvrir de vêtements beaux, élégants et inattendus.
» A. France n'a formulé qu'une boutade lorsqu'il a écrit : « Je
tiens pour un malheur public qu'il y ait des grammaires françaises.
Apprendre dans un livre aux écoliers leur langue natale est quelque
chose de monstrueux, quand on y pense. Etudier comme une langue morte
la langue vivante : quel contresens ! Notre langue, c'est notre mère
et notre nourrice, il faut boire à même. » A. France est un des
plus purs écrivains de langue française ; il n'a pu le devenir que
par l'observation des règles communes à tous ceux qui parlent cette
langue, mais s'il a pu observer ces règles dans la langue même, en
dehors de l'œuvre des grammairiens, tous ne peuvent s'en passer,
même pour ne connaître que très incorrectement le français. Car
la langue, la mère, la nourrice, ce n'est pas, pour la plupart des
Français, surtout ceux de la campagne, le langage d'A. France ;
c'est le patois local qui est, suivant les régions, plus étranger
au français qu'à l'espagnol, à l'italien, à l'allemand. S’il
n'y avait pas eu des grammairiens pour réunir un vocabulaire commun,
dégager les règles communes du langage dispersées dans les
diverses régions qui ont formé l'unité française, comment se
serait faite cette langue si variée, si riche d'expression, si
harmonieuse et si plastiquement belle, dans laquelle pensent, parlent
et écrivent quarante millions de Français ? Voltaire a raillé fort
justement les « enfileurs de mots » qui prétendent faire, défaire
et refaire la langue ; mais il a reconnu dans la grammaire « la base
de toutes les connaissances », et dans le grammairien, tel qu'on
l'entendait dans l'antiquité, « l'homme de lettres » proprement
dit qui les possédait toutes. A. Karr a pu dire aussi : « Les
grammairiens, en général, manquent d'esprit et, la plupart du
temps, sont des écrivains fruits secs qui sont restés à la
grammaire faute de pou haut. » Mais il n'y a pas de grand orateur ou
de grand écrivain qui n'ait été grammairien, c'est-à-dire qui
n'ait sérieusement étudié sa langue, avant de parler ou d'écrire.
Epicure fut grammairien avant d'être philosophe. Les grands orateurs
et écrivains ont été ces « grammairiens de génie à qui les
hommes d'une race doivent d'avoir gardé un peu le sens de la beauté
de leur langue ». (R. de Gourmont). La grammaire n'est dédaignée
qu'aux temps de décadence du langage. Grégoire le Grand se faisait
gloire de manquer à ses règles. Il n'était pas le seul à son
époque, aussi la langue littéraire était-elle devenue un véritable
jargon. Il en est de même aujourd'hui. Le titre de « grammairien »
est presque péjoratif, surtout auprès de ceux qui auraient le plus
besoin de connaître la grammaire. Les grammairiens sont considérés
comme des Brid'oisons desséchés dans la conservation des formes
désuètes du langage. Ceux qui s'occupent de la langue ont pris, en
renouvelant leur science, les noms plus distingués de philologues,
linguistes, paléographes, lexicologues, etc. Ces titres ronflants
offrent-ils plus de garantie de bon savoir que celle de grammairien ?
Qu'on en juge par ces deux traductions d'un même texte assyrien
données par deux assyriologues différents. La première dit : « O
Eulil, qui, comme le fleuve du pays, te dresses puissamment ; ô
héros, tu leur parles ; ils ont le repos. » Et la seconde : «
Eulil, comme constructeur d'un canal de montagne, mettant des pierres
dans le courant, les a placées au fond. » Les textes assyriens
sont-ils changeants comme ce nuage d'Hamlet qui avait successivement
les formes d'un chameau, d'une belette et d'une baleine ?... La
littérature ne fait plus partie de la grammaire. Elle tend même à
l'ignorer complètement, aussi devient-elle la plus bizarre des
choses, le langage littéraire consistant surtout dans un galimatias
composé de toutes les langues et auquel personne ne comprend rien.
Mais c'est, paraît-il, l'expression de cette « clarté » qui, dans
les temps « réalisateurs » d'après-guerre, oppose l'intelligence
à la sensibilité. Et la littérature française est aujourd'hui
aussi « claire » que la comptabilité d'un profiteur de la guerre.
L'art de lire et d'écrire se développa avec la formation de ses
règles et leur observation, avec la recherche des origines des
langues, avec l'explication des différents auteurs. Il constitua
l'étude du langage qui, dit M. Mondry-Baudouin, a un double but : «
1. Découvrir les lois des faits qui constituent le langage ; 2.
parler, écrire, comprendre les textes écrits dans les différents
idiomes. » (Grande Encyclopédie). La première forme de la.
grammaire, l'écriture, avait laissé des monuments des anciennes
langues disparues. La nécessité de comprendre ces monuments fit
naître de nouvelles formes chez les Indiens, pour l'interprétation
des Védas, chez les Grecs, pour l'explication des poèmes homérides.
Successivement, cette science passa des Indiens chez les Chinois, des
Grecs chez les Romains, les Syriens, les Persans, les Arabes. Chez
les Grecs, après Platon, Aristote et Théodecte, Epicure, Chrysippe
et les stoïciens ajoutèrent à la grammaire. Elle atteignit sa
perfection avec les philosophes d'Alexandrie : Aristophane de
Byzance, Aristarque, Denys de Thrace, Apollonius Dyscole, Hérodien,
« réputés pour bien entendre la grammaire », dit Moreri, et dont
les ouvrages sont demeurés les meilleurs éléments de
l'enseignement du grec. Chez les Latins, l'enseignement de la
grammaire fut introduit à Rome par Cratès Mallote. Ils eurent de
nombreux grammairiens, entre autres Donat, le maître de saint Jérôme
(IVe siècle), et Priscien, professeur à Constantinople (VIe
siècle). Tous les grammairiens du Moyen-Âge ont puisé chez eux. Un
abrégé de l'Ars minor, de Donat, a été en usage jusqu'au XVIe
siècle pour l'enseignement du latin. L'esprit scolastique du
Moyen-Âge s'occupa de l'étude théorique de la grammaire et des
ouvrages qui faisaient autorité plus que de l'art de parler et
d'écrire. La Renaissance, en étendant le champ des études
antiques, rechercha au contraire cet art dans les usages des
écrivains anciens et d'après leurs œuvres. Lorenzo Valla renouvela
ces études suivant la formule de Denys de Thrace : « La grammaire
est la connaissance expérimentale de ce qui se rencontre le plus
communément chez les poètes et chez les prosateurs. » II appliqua
ce principe au latin. Ses traditions, continuées au XVe et au XVIe
siècle, furent utilisées par Lancelot dans sa Grammaire latine de
Port-Royal (1644). Les mêmes traditions furent établies pour le
grec par les grammairiens humanistes : Chrysoloras, Théodore Gazis,
puis Lascaris, continués par le flamand Clénard, le toscan Canini
et les savants du XVIe siècle. De tous ces travaux, Lancelot
s'inspira pour faire sa Grammaire grecque de Port Royal (1655). Par
la suite, les études grecques et latines devenant plus complètes,
les travaux des grammairiens devinrent plus scientifiques. Ils
s'étendirent à la connaissance d'autres langues anciennes, comme le
sanscrit, et des langues modernes étrangères. Ce n'est qu'au XVIe
siècle qu'on se mit à étudier la langue française. Elle n'avait
pas eu de grammairiens au Moyen-Âge ; elle avait été une
luxuriante végétation qui s'était développée en toute liberté,
puisant sa sève dans de nombreuses traditions, mais surtout dans la
terre, le climat et l'instinct populaire. On se mit à l'étudier
d'abord, à la réformer ensuite, pour extraire du parler populaire
le langage académique. La forêt inculte et échevelée devint un
jardin à la française. (Voir Langue). L'étude, commencée par
l'Anglais Palsgrave, en 1530, et le Français Giles de Wez, son
contemporain, fut continuée par Jacques Dubois dit Sylvius, Meigret
qui voulait « renverser toute l'ancienne orthographe et rétablir
entre la parole écrite et le langage parlé une complète harmonie »
(Ph. Chasles), Ramus, Robert et Henri Estienne, du Bellay, Ronsard
qui donna « à la fois une syntaxe et un vocabulaire poétique »
(id.), et tous les grands écrivains de la Renaissance qui
enrichirent la langue et la grammaire. La réforme qui suivit trouva
sa formule classique dans Vaugelas, dont les Remarques sur la langue
française parurent en 1647. Elle fut basée sur le « bon usage »,
c'est-à-dire non sur l'usage fait jusque-là par les écrivains
français qui avaient plus ou moins écrit ou modifié la langue
populaire, mais sur celui des écrivains de cour. Le travail de
Vaugelas fut adopté par ces écrivains réunis dans l'Académie
Française qui publia, en 1604, la première édition de son
Dictionnaire. Vaugelas était un médiocre grammairien ; il négligea
les origines et le développement naturel et historique de la langue
pour établir des règles trop souvent arbitraires. Les académiciens
étaient encore au-dessous de lui sur ce sujet. Ménage essaya bien
de donner à la grammaire des bases plus scientifiques, mais il avait
plus de bonne volonté que de savoir et il échoua. L'Académie fit
de la grammaire, suivant la définition de son Dictionnaire : «
l'art qui enseigne à parler et à écrire correctement »,
c'est-à-dire en respectant le bon usage et d'une manière exempte de
fautes contre les règles et le goût fixés par elle. Par la suite,
la grammaire fut complétée suivant les mêmes directives par
d'Olivet, Dumarsais, de Wailly , Domergue et d'autres au XVIIIe
siècle. GiraultDuvivier, au commencement du XIXe siècle, fit la
Grammaire des grammaires qui les réunissait toutes. L'Académie
Française, malgré ses fonctions qui devraient être celles de
conservatrice de la langue, fut rarement soucieuse de la grammaire.
Le monde et la politique l'intéressent plus que les belles dédain
des grammairiens, espèce d'hommes peu bruyants et insuffisamment
décoratifs qui ne se trouvent pas parmi les maréchaux, les ducs et
les prélats dont elle fait sa parure. Aussi s'attira-t-elle d'assez
dures semonces, entre autres celle de Bescherelle, lui reprochant de
ne voir dans les grammairiens que ceux qui enseignent la grammaire et
d'ignorer leurs travaux : « Nous engageons l'Académie à être un
peu moins irrévérencieuse envers une classe de savants qui ont
rendu de si grands services à la philosophie du langage, et qui,
certes, seraient beaucoup mieux placés à l'Académie que certains
grands personnages que leur inutilité complète peut seule faire
remarquer, et Dieu fasse grâce à tous ceux qui sont dans ce cas. »
Durant le XIXe siècle, des travaux plus complets et plus sérieux
furent faits par les savants qui s'occupèrent de la grammaire dans
ses différents genres, savoir : la grammaire proprement dite, la
grammaire générale, la grammaire comparée et la grammaire
historique. 1° GRAMMAIRE PRQPREMENT DITE. - D'une façon générale,
on appelle grammaire un livre qui formule les règles d'un art ou
d'une science. Au point de vue du langage, la grammaire proprement
dite ou grammaire particulière, est celle qui expose les règles
d'une langue. Elle comprend trois parties : la phonétique, qui
traite des sons et des articulations de la langue et donne les lois
de leurs combinaisons ; la morphologie, qui est l'étude biologique
de la langue dans la forme des mots (étymologie), et leurs
transformations (morphologie proprement dite) ; la syntaxe, qui est
la construction et l'arrangement des mots pour l'expression de la
pensée. La syntaxe est la partie principale de la grammaire, celle
qui est à sa base et d'où sont sortis tous ses développements.
Elle est, dans la grammaire, la véritable grammaire ; elle présente
les règles du langage dans leur ordre à la fois logique et pratique
et les accords des différents genres de mots. C'est elle qui : .....
du verbe et du nominatif, Comme de l'adjectif avec le substantif Nous
enseigne les lois..... MOLIÈRE. La syntaxe s'inspire de
l'orthologie, qui est la manière de bien parler, et de
l'orthographe, qui est la manière de bien écrire ; elle est un de
leurs éléments par l'examen des mots réunis, comme la lexicologie
par l'explication des mots séparés. Alors que la syntaxe et
l'étymologie ont été les premières recherches de la grammaire, la
phonétique et la morphologie n'y ont été introduites que bien
après. Elles ont créé ses formes nouvelles et ont pris une
importance qui ne remonte généralement pas plus loin que le XIXe
siècle. 2° GRAMMAIRE GÉNÉRALE. - Est celle qui s'occupe des
règles communes à toutes les langues, qui les recherche dans leur
essence première, dans leur structure intérieure, pour déterminer
leur rapport avec les opérations de l'esprit. Cette grammaire est
appelée aussi philosophique. La première fut celle de PortRoyal
(1660). Elle s'efforça d'établir que les diverses langues sont
sorties d'un type unique, mais elle s'inspira plus des principes
d'Aristote que de l'observation scientifique. Dans la même voie
continuèrent, au XVIIIe siècle, Dumarsais, Beauzée, Condillac,
Destutt de Tracy, et d'autres. Leur système empirique perdit de plus
en plus de sa valeur devant les découvertes des langues primitives
et orientales, particulièrement du sanscrit, qui firent naître la
grammaire comparée. 3° GRAMMAIRE COMPARÉE. - Son point de départ
fut la connaissance du sanscrit, à la fin du XVIIIe siècle. Elle
recherche les affinités des langues entre elles, leurs ressemblances
et leurs différences pour les classer en groupes ou familles, en
trouver les types primordiaux et suivre l'évolution de chacune. Ce
sont ces études qui ont formé la linguistique proprement dite,
étude scientifique des langues, principalement par la méthode
comparative qui permet de découvrir le fonds commun d'où elles sont
sorties et les transformations particulières qu'elles ont subies.
(Voir Langue). La grammaire comparée a apporté à la grammaire
proprement dite une contribution importante par le développement
qu'elle a donné à la phonétique et à l'étymologie. Franz Bopp
fut le premier qui écrivit une Grammaire comparée du sanscrit, du
zend, du grec, du latin, du lithuanien, du gothique et de l’allemand,
parue de 1833 à 1852 et traduite en français par Michel Bréal en
1865. Elle étudia la commune origine des langues indo-européennes.
Les travaux de Bopp ont été successivement complétés par
Schleicher, Brugmann et Delbrüc. D'autre part, les langues romanes
furent spécialement étudiées par Frédéric Diez, puis par
MeyerLübke. On est beaucoup moins avancé dans les recherches sur
les autres familles de langues, celles des groupes ouralo-altaïque
et chamito-sémitique. On l'est encore bien moins dans celles
relatives aux langues des peuples primitifs. 4° GRAMMAIRE
HISTORIQUE. - A été la forme primitive de la grammaire comparée
appliquée à une seule langue. Elle en est aujourd'hui une des
parties en ce qu'elle étudie les différents moments des langues et
leur enchaînement pendant toute leur durée. Elle se sert de la
diplomatique, science assez restreinte qui examine les documents
officiels de tous les temps pour authentifier les indications qu'ils
fournissent, et de la paléographie, science plus récente et plus
étendue, qui procède à la recherche des anciennes écritures et à
l'art de les déchiffrer. C'est la paléographie qui donne l'histoire
de l'écriture et de ses transformations vers des formes devenues
tellement personnelles que la graphologie prétend révéler le
caractère des individus par leur écriture. La grammaire se complète
de la lexicologie qui s'occupe des formes des mots, de leur
nomenclature selon ces formes et de leur définition dans des
ouvrages appelés vocabulaires, glossaires, lexiques ou
dictionnaires. La lexicographie est la science de la composition de
ces ouvrages. On donne le nom de vocabulaire à des listes de mots
accompagnés d'explications succinctes et qui sont parti auteur. Le
glossaire énumère et explique les mots anciens ou peu connus d'une
langue. Le Glossaire de Reichenau (VIIIe siècle) a facilité l'étude
des langues romanes. Le lexique est un dictionnaire abrégé ou
spécial aux formes rares ou difficiles d'une langue. Il est aussi un
vocabulaire réservé aux locutions propres à un auteur. Des
vocabulaires, glossaires, lexiques ou dictionnaires furent écrits
dès l'antiquité. Trois siècles avant J.-C., Callimaque composait
son Musée. On a encore le lexique Latin de Verrius Flacus (Ier
siècle) d'après l'abrégé de Festus, le lexique grec
d'Harpocration Valérius (IIe siècle), l'Onomasticon de Julius
Pollux (même époque), et d'autres. Au XIe siècle, Suidas fit son
Lexicon et Papias son Vocabularium. La Renaissance vit plusieurs
auteurs de lexiques, latins pour la plupart. Les Estienne, au XVIe
siècle, commencèrent les travaux de lexicographie les plus sérieux
sur les langues grecque et latine. Leur Thesaurus qrœcœ linquœ est
devenu le lexique grec le plus complet avec les additions qu'Ambroise
Didot lui apporta au XIXe siècle. Au XVIIIe, Forcellini composa un
lexique latin très complet aussi, et Du Cange publia, en 1678, un
ouvrage de la plus grande valeur sur le latin du Moyen-Âge. Ce n'est
qu'en 1638 qu'on entreprit de faire un dictionnaire de la langue
française. Ce fut l'Académie Française qui se mit à cette œuvre
sous la direction de Vaugelas. Depuis la première édition (1694),
l'Académie n'a pas cessé de s'en occuper ; plusieurs éditions ont
suivi. Malgré le temps qu'elle y emploie, le nombre et
l'illustration de ceux qui y travaillent, son œuvre est médiocre ;
elle est loin d'avoir, auprès des lettrés, l'autorité qui devrait
être la sienne. Le Dictionnaire de l'Académie Française est fait
avec si peu de sérieux, sans doute par des gens qui ont le sentiment
de la vanité de leur travail, que ses définitions sont, dans la
plupart des cas, incomplètes et insuffisantes, quand elles ne sont
pas inexactes et contradictoires. C'est ainsi qu'en 1878, année de
la 7e édition de ce dictionnaire, ses auteurs n'avaient pas encore
pu s'entendre pour savoir lequel, du chameau ou du dromadaire, n'a
qu'une bosse !... On lit, dans cette édition : « Bosse. - La bosse
d'un chameau, les deux bosses du dromadaire. « Chameau. - Quadrupède
qui a deux bosses. « Dromadaire. - Chameau qui a une seule bosse. »
A côté de l'Académie Française, d'autres firent des œuvres plus
sérieuses : Moreri avec son Grand Dictionnaire historique (1674),
les auteurs du Dictionnaire de Trévoux (1704), mais surtout Bayle
avec son Dictionnaire historique et critique (1696) et, au XIXe
siècle, Littré dont le Dictionnaire de la langue française (1877
1878) est, à tous les points de vue, l'ouvrage le plus par fait.
Dans le dictionnaire de Bayle, Voltaire, qui fit le Dictionnaire
philosophique (1764), voyait non seulement un recueil de littérature
et un ouvrage très savant, mais surtout une « dialectique profonde
» qui en faisait « un dictionnaire de raisonnement encore plus que
de faits et d'observations ». C'est ainsi que l'œuvre de Bayle
renfermait en germe l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert. Citons
encore, parmi les dictionnaires : Le Dictionnaire National, de
Bescherelle (1843-46), qui fut le meilleur avant l'apparition du
Littré. Il est demeuré intéressant à consulter pour certaines
appréciations originales et les très nombreuses citations d'auteurs
qui en font un « ouvrage vivant » et non un « squelette », selon
le mot de Voltaire sur les « dictionnaires sans exemples ». Le
Dictionnaire de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes
du IXe au XVe siècle, par Godefroy (1881). Le Dictionnaire de la
langue française du commencement du XVIIe siècle jusqu'à nos
jours, par Darmesteter, Hatzfeld et Thomas (1889). Nous reparlerons
des dictionnaires au mot Langue. Il y a, enfin, les ouvrages
encyclopédiques qui sont des dictionnaires étendus à toutes les
connaissances humaines. On comprend qu'ils doivent être de plus en
plus considérables pour suivre le développement de ces
connaissances, et il y a longtemps qu'ils n'y suffisent plus. Les
encyclopédistes ne peuvent que se borner à une oeuvre
d'enseignement général et de vulgarisation plus ou moins étendue,
même lorsqu'ils se spécialisent dans une science ou un art pour
faire, par exemple, une encyclopédie du droit, de la médecine, de
la peinture ou de la musique, etc. Au Ve siècle, il y avait déjà
une certaine présomption dans l'idée de Marcianus Capella de réunir
en un seul ouvrage toutes les connaissances humaines. D'autres
suivirent avec la même prétention et on eut Les Etymologies ou
Origines, d'Isidore de Séville (VIIe siècle), le Dictionarium
universale, de Salomon de Constance (IXe siècle). Vincent de
Beauvais fit, au XIIIe siècle, un ouvrage semblable. Au XVIIe
siècle, plusieurs tentatives encyclopédiques se produisirent. Les
travaux de Mathias Martins, d'Alsted, de Bacon, furent d'utiles
éléments que Chambers employa pour son Cyclopedia ou Dictionnaire
des arts et des sciences, publié en 1728, à Londres. C'est cette
œuvre qui donna à Diderot l'idée de l'Encyclopédie dont l'esprit
fut celui du dictionnaire de Bayle et des philosophes, ses principaux
collaborateurs : Voltaire, Montesquieu, J.-J. Rousseau, etc. Le
Discours préliminaire de l'Encyclopédie, écrit par d'Alembert, est
toujours une belle introduction à une étude raisonnée des
connaissances humaines. L'Encyclopédie méthodique, de Panckoucke,
commencée en 1781, terminée en 1832, suivit. Mais on peut négliger
ce gros ouvrage, et d'autres d'importance quelconque, pour arriver
aux deux plus remarquables du XIXe siècle. Le premier est le Grand
Dictionnaire Universel du XIXe siècle, de Pierre Larousse, publié
de 1866 à 1876. Il a été composé dans un esprit qu'on regrette de
ne plus trouver dans ceux qui sont présentés comme le continuant,
tel le Nouveau Larousse illustré, réduction encyclopédique qui
paraît conçue pour fournir aux gens du monde les notions
conventionnelles et « bien pensantes » qu'ils doivent avoir de
toutes choses. Le second, la Grande Encyclopédie (1885 et années
suivantes), est l'oeuvre encyclopédique française actuellement la
plus complète. Des travaux du même genre et aussi importants ont
été publiés à l'étranger, particulièrement en Angleterre et en
Allemagne. - Edouard ROTHEN.
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