Nom
que les Grecs donnaient à leurs grands hommes divinisés. Par
extension, on qualifie de héros, maintenant, beaucoup de gens dont
le moindre défaut est d'avoir accompli des actions tout à fait
dépourvues de valeur morale quelconque. Où l'on applique le plus
souvent le terme de héros c'est en parlant des batailles. « Les
poilus sont des héros. Les morts pour la Patrie sont des héros...
etc., etc. ». En vérité, il n'est pas si facile que cela d'être
un héros. Pour notre part, nous ne croyons pas qu'un homme, quelque
grand fût-il, puisse mériter ce titre. Les humains,
jusqu'aujourd'hui, ont eu et conservent ce grave défaut d'éprouver
le besoin de se créer des idoles. C'est ainsi que les chefs d'Etat,
les chefs d'armée et, par amplification, les membres de l'armée,
furent mis au rang de héros par tout un peuple à qui les prêtres
surent déverser adroitement le mensonge. Pour obtenir du populaire
le respect et la vénération des grands il fallait mettre ceux-ci à
une autre échelle que le vulgaire. L'Eglise en fit des saints, des
envoyés de Dieu, des héros, et le pauvre Peuple, en son éternel
besoin de prosternation, accepta tout cela comme argent comptant.
Ensuite, avec le temps, la légende amplifia les gestes du Passé. Ce
qui n'était qu'un banal fait d'armes devint une bataille
gigantesque, ce qui n'était qu'un acte de volonté passa pour acte
d'héroïsme flagrant. Mais où l'on fit véritablement un abus du
mot, ce fut à partir de Bonaparte. Les soldats qui ravageaient
l'Italie, qui dépouillaient les villes, terrorisaient les
populations transalpines sous les ordres du général ambitieux,
devinrent des héros nationaux. Quand Bonaparte revint d'Egypte, ce
fut le héros du jour, et il accomplit son coup d'Etat sous les
acclamations d'une foule idolâtre. « Les héros de la Grande Armée,
les héros d'Algérie, les héros de 70 et, plus près de nous, les
héros de la Grande Guerre », telles sont les épithètes employées
pour parler des pauvres pantins qui allèrent tuer et se faire tuer
pour la plus grande gloire des chefs et le plus grand profit des
financiers et industriels, Pour développer le chauvinisme au sein
des masses on abusa de ce qualificatif.
Cependant
des écrivains n'hésitèrent pas à dire ce qu'ils pensaient de ces
fameux héros, C'est ainsi qu'à l'occasion du centenaire de
Voltaire, en 1878, un poète qui en son jeune âge célébra la
gloire militaire, Victor Hugo, prononça les paroles suivantes : «
Dans beaucoup de cas, le héros est une variété de l'assassin. Tuer
un seul homme est un crime ; tuer beaucoup n'en peut pas être la
circonstance atténuante. Que l'on soit revêtu de la casaque du
forçat ou de la tunique du guerrier, on n'en est pas moins un
criminel aux yeux de Dieu ». Les chauvins de toutes nations : ceux
qui profitent toujours largement des guerres qu'ils ne font jamais,
entonnent encore des hymnes laudatifs en l'honneur des héros morts.
Pauvres victimes immolées à l'appétit insatiable des grands! Il se
trouve même des anciens combattants qui ne se rendent pas compte du
grotesque dont ils se couvrent en prenant au sérieux le titre de «
héros de la Grande Guerre ». On les appela héros tant que l'on eut
besoin d'eux. Tant qu'il fallut faire de leurs corps un rempart aux
coffres-forts, tant que les grands eurent besoin que des esclaves
aillent se transformer en assassins ou en assassinés, on décerna
aux combattants la palme des héros. Hélas! De combien de milliers
d'existences le peuple a-t-il été privé pour expier ce mot?
Maintenant les « héros » sont rentrés chez eux... et ils paient
les frais de la guerre qu'ils ont faite au profit de leurs maitres.
Le héros? - maintenant c'est toujours une victime. C'est l'homme
transformé en bétail que l'on envoie à l'abattoir. C'est aussi un
criminel : c'est celui que l'on envoie tuer ses semblables. Pauvre
type qui, durant quatre ans, endura la boue, le froid, la vermine,
qui subit en silence tous ses maux, qui devait l'obéissance passive
sous peine de cour martiale, qui voyait chaque minute comme pouvant
être la dernière de son existence ; pauvre type qui était une
véritable loque soumise à tous les caprices du haut commandement ;
que l'on envoyait se faire tuer à heures fixes et que l'on menait
aussi à la ruée meurtrière, qui tuait tout ce qui se trouvait sur
son passage! Le héros? - c'est l'homme que l'on changeait en bête
malfaisante, qui ravageait les champs de culture, qui réduisait le
village en ruines, qui changeait les plaines nourricières en vastes
nécropoles. Le héros? - c'est cette brute malfaisante, dévastatrice
et criminelle : le soldat. C'est l'éternel outil de domination du
maître. Il faut que nous fassions une active propagande dans le
peuple pour arriver à ce que tous les prolétaires refusent
désormais qu'on les transforme en héros. L'homme doit se consacrer
à des œuvres de vie. Par son labeur, par ses études, il doit
travailler à enrichir l'Humanité de ses découvertes et de sa
production. C'est au prix d'efforts pénibles et de recherches ardues
que l'œuvre de vie se perfectionne un peu chaque jour. Il faut haïr
le héros, cet être dangereux qui détruit souvent en une seule
journée tout le labeur de plusieurs années. Ce n'est que dans la
paix et par la paix que tous nos efforts peuvent produire leurs
fruits. Quand les grands et les privilégiés, qui ne s'enrichissent
que par la guerre, viendront nous demander d'être des héros,
refusons-leur! Restons des hommes et travaillons de toutes nos
énergies pour que vienne le temps où tous les hommes vivront libres
et heureux dans une humanité fraternelle d'où seront bannis les
maitres et les héros.
-Louis
LOREAL
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