jeudi 11 juillet 2019

Lignes N°58 Migrance contre frontières


Reconnaître l'hospitalité

Par François et Yves Cusset

"L'hospitalité est devenue une valeur consensuelle. Au fond quelque chose d'aussi moralement inattaquable, et donc peut-être aussi creux, que la Paix ou le Bien. Ou que ce qu'on appelle l'éthique. Personne - ou presque-  ne peut sérieusement se revendiquer comme inhospitalier. L'hostilité ouverte, dans le sens par exemple d'une xénophobie clairement assumée, n'est le fait que d'une minorité de radicaux, sinon de fanatiques, dans nos démocraties libérales. Il est tout aussi difficile de s'afficher contre l'hospitalité, que contre la liberté, l'égalité ou la fraternité. Bref, contre toutes ces valeurs qui sont si bien partagées que plus personnes ne sait ce qu'elles peuvent bien vouloir dire, et dont tout le sens pourrait bien résider dans la leçon d'éducation civique de Philippe Katerine: "Liberté mon cul !  Egalité mon cul ! Fraternité mon cul !" L'hospitalité, que personne n'attaque, devient ainsi une coquille vide, et finit par se réduire à une sensibilité de façade au malheur d'autrui qui n'aucunement besoin de se traduire par des actes. Aussi utile qu'une émoticône avec des larmes devant une photo d'un naufrage de migrants. Tout le problème est que l'adhésion à la valeur morale de l'hospitalité, au sens de cette sollicitude pour la détresse des exilés qui s'exprime dans la grande majorité des médias, n'implique nullement un choix politique en faveur de l'accueil des migrants. Pour sortir d'une telle hypocrisie, et contrer réellement les forces nombreuses qui s'opposent aujourd'hui à la pratique de l'hospitalité, il faut passer de la valeur consensuelle à l'action politique, du prêche sur l'accueil à l'engagement d'accueillir et, peut-être, de l'échelle nationale - où prévalent les courtes vues démagogiques et les égoïsmes électoraux- à celle de la communauté mondiale."

"Affirmer que le principe d'hospitalité appartient au patrimoine humain tel que légué par l'histoire est d'autant plus crucial aujourd'hui que l'accueil est devenu lui aussi une sélection, un tri, une "tolérance" au sens minimal, et dûment réglementé: le paradoxe est qu'aujourd'hui, non seulement l'adhésion à la valeur de l'hospitalité n'implique aucunement  un tel effort politique pour rendre le monde commun, mais aussi que l'application du droit d'asile lui-même se retourne actuellement contre le principe de l'hospitalité, à travers une politique de tri, repoussée toujours plus en amont, de ceux qui seraient légitimes à le demander. Sous prétexte d'asile , la politique dite d'accueil devient de plus en plus une traque aux "faux" réfugiés. La convention de Genève finit par se mettre au service d'une suspicion généralisée, ainsi qu'une sélection parfois inhumaine, et conduit de plus en plus au fantasme du "réfugié chimiquement pur" et au rejet de tous les autres, classés dans la masse des "migrants économiques" avec l'idée sous jaccente qu'ils n'ont pour seule idée et espoir en émigrant que d'améliorer leur confort matériel ( ce qui par ailleurs ne choquerait pas grand monde s'ils venaient de pays riches). Le droit d'asile, de principe de protection de tous ceux qui n'ont nulle part où aller, est devenu insidieusement un outil au service de la protection de l'immunité du corps politique contre tout ce qui censé le menacer, à commencer par l'afflux des migrants dits économiques. Bref, le contraire de ce qui rend le monde commun. Et tandis que l'hospitalité est sur toutes les lèvres, son application politique concrète s'éloigne de jour en jour."



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