On appelle
groupement un ensemble d'individus partageant les mêmes opinions ou
liés par les mêmes intérêts. Un groupement politique ; un
groupement industriel ; un groupement social. De plus en plus, à la
faveur des événements, par l'étude et par l'observation, et cela
dans toutes les branches de l'activité humaine et sociale, les
individus se rendent compte que l'isolement leur est néfaste et que,
seule, l'association peut leur permettre de soutenir et défendre les
intérêts qui leur sont propres. Que ce soit politiquement,
socialement ou économiquement, l'individu est sacrifié à la
collectivité et, à mesure que se développeront les progrès de la
science et de l'industrie, cette immolation s'accentuera et
s'intensifiera démesurément. Nous n'en sommes plus à l'époque
légendaire où l'homme partait seul à la conquête du monde. L'âge
est passé où l'individu, travailleur, négociant ou artisan,
pouvait, dans une certaine mesure, vivre entouré uniquement de sa
famille, détaché de toute l'ambiance. Le siècle du travail
individuel est passé. Les découvertes nombreuses qui ont enrichi
l'humanité depuis une centaine d'années, leur application à
l'industrie, le développement du commerce, ne permettent plus à
l'individu d'ignorer ses semblables. Il est obligé, à moins de se
laisser écraser, de rentrer dans la grande association humaine et de
participer au concert collectif. Le capitalisme, le premier, fut
obligé d'avoir recours au groupement pour se développer. Quel
serait, aujourd'hui, l'homme assez puissant, assez riche, pour
financer à lui seul les immenses réseaux de chemins de fer qui
sillonnent le monde ; où trouverait-on le Crésus qui serait
susceptible d'entreprendre l'exploitation de toutes les richesses
souterraines : charbon, fer, pétrole, dont l'intensité de la vie
moderne a développé les besoins ? Les grandes compagnies, les
sociétés anonymes, ont remplacé le patronat isolé, le patronat
individuel, car aucun homme n'est assez grand pour entreprendre seul,
et à son seul profit, l'exploitation de toutes les richesses
sociales. Nous savons que la situation économique d'une puissance
influe directement sur sa situation politique ; nous avons dit,
d'autre part, que les parlements n'étaient que des institutions
subordonnées à la ploutocratie financière et industrielle d'une
nation, et de même que le capitalisme fut obligé de se former en
groupements, le parlement se divise en groupes, chacun d'eux
représentant une fraction du Capital. Cette situation de fait a
automatiquement déterminé tous ceux qui souffrent de l'ordre social
établi à rechercher les moyens propres à lutter contre les forces
d'exploitation qui ne se présentaient plus sous le même angle que
dans le passé. On ne bataille pas contre le patronat organisé et
groupé, de la même façon qu'on bataillerait contre un patronat
individuel. A une force organisée, il faut opposer une force
organisée, et c'est ce qui a entraîné le prolétariat à fonder
sur le terrain économique, c'est-à-dire dans les cadres de la
corporation, des syndicats groupant, à quelque tendance qu'ils
appartiennent, les travailleurs qui, individuellement, seraient
incapables de se dresser contre les prétentions de ceux qui, non
seulement détiennent la richesse économique, mais qui dirigent
aussi tous les rouages des sociétés modernes. Nos lecteurs
trouveront par ailleurs (voir Confédération générale du Travail,
etc., etc.) tout ce qui peut les intéresser et les initier sur les
différentes formes de groupements de travailleurs. Nous ne pouvons,
une fois de plus, que déplorer que les divisions politiques, qui
sont nées au sein de la classe ouvrière, ne permettent pas l'union
de toutes les forces travailleuses en un vaste groupement unique,
capable de résoudre en une formule lapidaire les buts qu'il se
propose et les moyens dont il dispose pour les atteindre. Le
groupement, en une seule organisation, de toutes les forces
prolétariennes, n'empêcherait du reste pas l'existence d'autres
groupements d'avant-garde, luttant pour un but précis et bien
déterminé. Pour les libertaires communistes, qui considèrent le
syndicalisme comme un moyen et non comme un but, l'unification des
forces ouvrières ne serait pas une raison suffisante pour dissoudre
leurs groupements. Nous avons, à maintes reprises, déclaré que les
groupements syndicaux ne pouvaient s'étendre et se développer que
s'ils ne se couvraient d'aucune étiquette politique et
philosophique, de façon à ce que chaque adhérent se sente bien
chez lui, quelles que soient ses opinions politiques ou
philosophiques. Chaque travailleur, s'il est exploité et, par
conséquent, victime de la forme économique arbitraire de notre
société, a sa place dans le groupement syndical. Le syndicalisme, à
nos yeux - et nous l'avons déjà dit - est d'essence réformiste ;
il devient révolutionnaire à la faveur des événements, parce que
les événements sociaux sont déterminés par la situation
économique qui évolue de façon méthodique ; quant à donner une
couleur révolutionnaire, un esprit révolutionnaire au syndicalisme,
ce fut une erreur qui se perpétue encore de nos jours et qui entrave
le développement du syndicalisme mondial. Et c'est précisément
parce que nous ne prêtons aux groupements syndicaux aucun principe
révolutionnaire, mais seulement une valeur révolutionnaire, que
nous sommes des anarchistes communistes et que nous considérons que,
quelle que soit l'activité bienfaisante du syndicalisme, il nous
faut intensifier notre propagande pour former, plus nombreux
toujours, des groupements d'anarchistes. Il en est de l'anarchisme
comme de toutes les autres opinions philosophiques, économiques,
politiques ou sociales. Il fut un temps où certains paradoxes
trouvaient chez nous une oreille sympathique. La formule : « l'homme
fort, c'est l'homme seul », ne fera plus maintenant de ravages dans
nos rangs. Les anarchistes qui, plus que tous autres peut-être,
étudient les problèmes de la vie, se sont rendu compte que ce
n'était que par le groupement de leurs forces qu'ils pouvaient
espérer exercer une influence, et ils ont entrepris, ces dernières
années, de s'organiser sérieusement et méthodiquement.
Certes, il y
a un certain flottement qui se manifeste encore au sein des
groupements anarchistes. L'anarchisme sort à peine de son stage
philosophique et idéologique ; il a cherché sa voie ; il s'est
trouvé en butte à une foule de difficultés qu'il a cependant
réussi à surmonter et, maintenant, il n'est pas un mouvement
d'avant-garde qui ne soit obligé de compter avec les forces de
l'anarchisme qui s'organise. La peur des mots et des formules nuit
encore présentement au développement des groupements anarchistes.
Ceux qui n'ont rien appris de la catastrophe de 1914, les « en
dehors », ceux qui perpétuent la confusion et se refusent à
reconnaître à l'anarchisme un rôle social et révolutionnaire,
rendent difficile la besogne à laquelle se livrent les libertaires
communistes, en interprétant d'une façon erronée leurs gestes et
leurs paroles. On prétend que l'organisation est une forme de
l'autorité et qu'il ne peut y avoir organisation s'il n'y a pas
autorité. Cela est une profonde erreur et tous les anarchistes
communistes se refuseraient à participer à un mouvement élaboré
sur des bases unitaires. Mais nous pensons cependant qu'un groupement
anarchiste ne peut pas être le refuge de tous les dévoyés, de tous
les mécontents, de tous les rebuts de la société bourgeoise, vomis
de toutes les autres organisations. La vie d'un groupement n'est
possible que si chacun accepte un minimum de discipline sans laquelle
il est matériellement impossible de faire œuvre utile. Nous avons
cru, un moment, qu'un groupement composé d'éléments anarchistes de
différentes tendances était viable ; nous nous sommes trompés et
nous reconnaissons notre erreur. Que les anarchistes se groupent; une
fois bien déterminé le genre d'action et de propagande auxquelles
ils veulent se livrer, que rien ne les arrête, puisque les décisions
sont prises en commun. Est-ce là faire de l'autorité ? Nous ne le
pensons pas. Personne n'est contraint par la force d'entrer dans un
groupement anarchiste ; mais une fois qu'un membre adhérent a pris
un engagement, il est de son devoir de le tenir, ou de se retirer de
l'organisation, du groupement avec lequel il n'est plus en accord.
Personne ne conteste plus aujourd'hui l'utilité du groupement, et le
plus farouche individualiste se trouve lui-même désorienté
lorsqu'il est seul. Le groupe est le pilier sur lequel reposent les
sociétés autoritaires, parce que les puissants ont compris qu'il
était de leur intérêt de s'unir pour retarder le plus possible le
démembrement et l'écroulement de la société bourgeoise. Il nous
faut, si nous voulons vaincre, et si le révolutionnarisme n'est pas
qu'un vocabulaire utilisé par les politiciens pour tromper le
peuple, que nous nous groupions pour organiser la société de
demain. L'individu libre dans son groupe et le groupe libre dans la
société, ce n'est pas, que nous sachions, une formule autoritaire ;
mais pour pouvoir réaliser cela demain, il nous faut aujourd'hui
avoir le moyen de diffuser nos idées, de les faire comprendre, de
les faire admettre par le plus grand nombre d'individus, et c'est
pourquoi il est indispensable que les anarchistes communistes se
groupent, pour trouver, en joignant leurs efforts, les ressources
financières et morales que nécessite un tel travail. Ayons
confiance en l'avenir ; les groupements anarchistes deviendront de
plus en plus nombreux, de plus en plus féconds. A mesure que la
faillite des partis politiques se développe, que les politiciens
perdent la confiance que le peuple leur accordait, l'anarchisme gagne
en surface et en profondeur et sera demain maître du monde, parce
que seule la forme communiste anarchiste d'une société peut assurer
à l'humanité la stabilité et la paix. - J. CHAZOFF.
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