La grève
est l’acte par lequel tous les travailleurs ou une partie d’entre
eux signifient au patronat, à l’employeur : État ou particulier,
leur volonté de cesser le travail, soit pour obtenir des conditions,
matérielles ou morales, de vie meilleure ; soit pour protester
contre l’arbitraire patronal ou gouvernemental ; soit encore pour
déclencher une action de classe ayant pour but de transformer le
régime par la voie révolutionnaire.
Il y a
plusieurs sortes de grèves. Ce sont : la grève professionnelle, la
grève de solidarité, la grève de protestation, la grève
industrielle et inter-industrielle, la grève générale
insurrectionnelle et expropriatrice.
Chacune de
ces grèves peut revêtir les aspects suivants : local, régional,
national, international, selon le cadre qui est fixé à son
déroulement.
Grève
professionnelle ou de métier
Une grève
de cet ordre est presque toujours locale. Encore qu’elle tende à
disparaître, une telle grève n’englobe souvent que les ouvriers
d’un même métier et travaillant pour un seul patron. Il peut se
faire cependant que la grève professionnelle ou de métier intéresse
la plupart ou tous les ouvriers d’un même métier, d’une même
localité et, parfois, de plusieurs localités voisines.
La grève
professionnelle est, généralement, motivée par une demande
d’augmentation de salaire non satis-faite par le patronat, par une
revendication d’ordre général non accueillie, par la violation
d’une loi de protection ouvrière, par l’inapplication d’un
règlement d’administration publique, etc.
Cette sorte
de grève devient de plus en plus rare et difficile, en raison de la
“cartellisation” et la “trustification” des entreprises
patronales qui créent une solidarité très grande, parfois absolue,
entre les exploitants d’une spécialité ou d’une industrie de
base ou de transformation.
De toute
évidence, la grève professionnelle est en voie de disparition, pour
faire place à la grève industrielle et inter-industrielle.
Grève de
solidarité
La grève de
solidarité est déclenchée par tous les ouvriers d’une localité,
d’une région, d’une industrie, d’un pays, de tous les pays,
pour appuyer l’action qui se déroule dans l’un de ces cadres et
qui intéressent un ou plusieurs métiers, une ou plusieurs
industries, un ou plusieurs pays.
La pression
exercée par les autres ouvriers pour amener le triomphe de leurs
camarades engagés dans la lutte a généralement pour but de hâter
la fin d’un conflit ou de démontrer au patronat intéressé, que
tous les ouvriers sont décidés à lutter aux côtés de leurs
frères des métiers, industries, régions ou pays en conflit.
Les grèves
de solidarité sont le plus souvent limitées 24 ou 48 heures. Elles
peuvent, cependant, être illimitées et ne prendre fin qu’avec le
conflit initial.
Grève de
protestation
La grève de
protestation a pour but de protester contre un acte arbitraire, une
injustice, une iniquité du pouvoir ou du patronat, contre une mesure
draconienne ou une menace dangereuse dirigée contre une partie de la
classe ouvrière ou contre cette classe tout entière.
Comme la
grève de solidarité, la grève de protestation est généralement
limitée à 24 ou 48 heures.
De même,
elle peut être locale, régionale, nationale ou internationale.
Grève
industrielle et inter-industrielle
Prolongement
normal de la grève professionnelle de métier, la grève
industrielle est relativement récente. Elle est devenue une
nécessité par suite de la transformation des entreprises
patronales.
En effet,
sauf en ce qui concerne la petite et la moyenne industrie, les
entreprises patronales de nos jours affectent la forme de firmes à
succursales multiples tant pour l’extraction, la transformation que
pour la vente.
C’est
ainsi qu’une entreprise a des établissements dans toutes les
régions qui dépendent d’un Conseil d’administration unique.
Cette
nouvelle organisation de la production a nécessairement eu pour
conséquences d’élargir, dans une même proportion, les conflits
entre les ouvriers et les patrons. Les uns et les autres, obéissant
à la loi d’association, défendent leurs intérêts au moyen de
syndicats, qui sont à la fois des organismes de défense et
d’attaque sur le terrain local, régional et national, dans le
cadre industriel.
Il n’est
pas rare que le patronat esquisse une bataille dans le Nord pour
lutter dans le Nord, pour tenter de battre les ouvriers du Sud-Ouest
ou de l’Est, et vice-versa. De leur côté, les ouvriers sont
forcément obligés de pratiquer la même tactique.
Pour être
victorieuse, la grève industrielle doit être sérieusement
organisée par les Fédérations d’industrie et leurs Régions
industrielles. C’est une grève de statistiques, de renseignements,
autant que d’habileté et de cohésion !
Il faut,
pour lutter avec chances de succès, qu’une Fédération connaisse
l’ensemble des Firmes qui composent l’industrie, ainsi que toutes
les filiales que ces firmes possèdent sur tout le territoire d’un
pays.
Le temps
n’est pas éloigné, s’il n’est déjà révolu, où les luttes
sociales ne se livreront plus que sur le terrain international.
En effet, de
même que l’industrie a éliminé le métier et donné aux conflits
un caractère national, le cartel et le trust élimineront
l’industrie. Et les ouvriers de Brest, par exemple, pourront avoir
leur sort lié avec ceux de Varsovie ou de Hambourg, dans une même
industrie et plus étroitement que les ouvriers d’une même région
exerçant des métiers différents.
De toute
évidence, une telle évolution du capitalisme, qui lui permet de
faire effectuer ses commandes à tel ou tel endroit, si tel autre est
en grève, - et sans que les ouvriers le sachent, - a complètement
bouleversé toute la tactique des grèves employée jusqu’à ce
jour. De même qu’il faudra - qu’il faut déjà - envisager
l’arrêt des entreprises d’une façon différente en paralysant
la production par l’abandon du travail par les seuls ouvriers
qualifiés et en laissant au compte du patron tout le personnel non
qualifié, il faudra aussi envisager la lutte nationale et
internationale contre le cartel et le trust.
La première
condition du succès sera de connaître la composition exacte de ce
cartel ou de ce trust, afin de faire porter l’action partout et, en
premier lieu sur son entreprise de base, puis de grande
transformation et, en dernier lieu, sur les firmes de finissage et de
vente.
Une telle
conception de la grève s’appliquera parfois sur des bases
régionales ; d’autres fois, sur des régions voisines ou très
éloignées l’une de l’autre ; parfois en des pays différents.
Dans tous
les cas, le but essentiel à atteindre doit être double
1°
Paralyser complètement l’entreprise (cartel ou trust) dans toutes
ses parties, par l’arrêt du travail effectué par les ouvriers
qualifiés qui constituent l’armature du système patronal ;
2° Laisser
à sa charge les frais les plus élevés possibles en ne débauchant
pas les ouvriers et le personnel qui ne peuvent travailler et
produire sans le concours des ouvriers et du personnel qualifiés.
Cette
tactique nouvelle, que l’expérience seule permettra de mettre au
point, suppose que les Fédérations internationales fonctionneront
réellement et seront en mesure de renseigner les industries
intéressées dans chaque pays et de coordonner l’action des
Fédérations nationales.
C’est donc
une véritable révolution qu’il faut effectuer en matière de
grèves industrielles et inter-industrielles. Avec les trusts en
largeur, la tactique pourra être celle que j’expose ci-dessus.
Avec les trusts en profondeur, c’est-à-dire avec les groupements
de plusieurs industries différentes mais dépendant l’une de
l’autre, qui vont souvent depuis le minerai jusqu’à la presse et
la banque, il sera encore plus difficile d’organiser la lutte et
une étude toute particulière de la question doit être, dès
maintenant, envisagée par les organisations ouvrières.
Un
adversaire de cette taille sera presque insaisissable et
invulnérable, si on ne tonnait pas, dans toutes ses parties, son
organisation, son fonctionnement et son point faible.
On voit par
là, quelle besogne gigantesque incombe aux Fédérations nationales
et internationales d’industrie.
Tant quelle
ne sera pas menée à bien, toute méthode ne sera qu’empirique et
tout succès demeurera problématique, presque impossible.
La grève
industrielle peut se transformer en grève générale et englober
toutes les industries d’un pays et s’étendre, même, à
plusieurs pays.
Jusqu’à
ce jour, ces grèves se sont, cependant, limitées à un seul pays,
mais il n’est pas douteux que la forme nouvelle que prend chaque
jour le capitalisme en voie de concentration définitive, sous la
direction de l’état-major bancaire, va obliger les ouvriers à
envisager très sérieusement la nécessité de recourir à des
grèves générales industrielles ou générales internationales.
Il y a là
toute une étude à faire par les organisations intéressées et je
ne puis, au pied levé, aborder ici un tel problème dont l’examen
et les solutions demanderont des années d’efforts et de nombreuses
expériences, au cours desquelles, à la lueur des faits, des
tactiques se modifieront et s’élaboreront.
Les grèves,
les plus importantes furent, en France la grève des postiers en
1909, celle des cheminots en 1910, puis encore des cheminots en 1920,
suivie d’une grève générale déclenchée par la C.G.T. pour la
nationalisation des chemins de fer.
En
Angleterre, la grève des mineurs en 1922, et la grève des mineurs
en 1926, transformée en grève générale par le Conseil général
des Trade-Unions et rendue à sa première destination après
l’abandon des mineurs par les autres corporations.
En Italie,
en 1920, la grève générale aboutit à la prise des usines que les
ouvriers durent abandonner par la suite.
En Espagne,
à Barcelone, les grèves se succédèrent sans interruption de 1918
à 1923. Elles s’étendirent à toute l’Espagne.
En Suède,
en Norvège, aux États-Unis, de très importants conflits eurent
également lieu. Ils sont si nombreux qu’il est impossible de les
relater.
En
Allemagne, la grève générale fut déclenchée par la C.G.T.,
d’accord avec le gouvernement, pour barrer la route aux fascistes
en 1923.
La grève
générale
Examinons
maintenant la grève générale insurrectionnelle et expropriatrice.
Avant tout,
il importe de donner une définition aussi exacte que possible de ce
moyen de lutte.
Donc,
qu’est-ce que la grève générale expropriatrice ?
C’EST LA
CESSATION CONCERTÉE, COLLECTIVE ET SIMULTANÉE DU TRAVAIL PAR TOUT
LE PROLÉTARIAT D’UN PAYS. Elle a pour but :
1°) de
marquer l’arrêt total et la fin de la production en régime
capitaliste ;
2°) de
permettre à ce prolétariat de s’emparer des moyens de production
et d’échange et de propagande ;
3°) de
remettre en marche tout l’appareil de production et d’échange
pour le compte de la collectivité affranchie ;
4°)
d’abattre le pouvoir étatique et d’empêcher l’instauration de
tout pouvoir nouveau.
La grève
générale expropriatrice, premier acte révolutionnaire, sera
nécessairement violente.
Elle peut
être décrétée par les Syndicats soit :
1°) Pour
déclencher eux-mêmes l’action révolutionnaire ;
2°) Pour
répondre à un coup de force politique de droite - ou de gauche ;
3°) Pour
répondre à une tentative fasciste de prise du pouvoir.
La grève
générale expropriatrice est une arme spécifiquement syndicaliste.
Elle ne peut être maniée par aucun groupement politique.
Elle peut
régler décisivement toutes les situations révolutionnaires, quels
qu’en soient les facteurs initiaux.
Elle
s’oppose directement à l’insurrection, seule arme des partis
politiques.
Elle est, de
beaucoup, plus complète que celle-ci. En effet, tandis que
l’insurrection ne permet que de prendre le pouvoir, la grève
générale donne la possibilité non seulement de détruire ce
pouvoir, d’en chasser les occupants, d’en interdire l’accès à
tout parti, mais encore elle prive le capitalisme et l’État de
tout moyen de défensive en même temps qu’elle abolit la propriété
individuelle pour instaurer la propriété collective.
En un mot,
elle a un pouvoir transformateur immédiat et ce pouvoir s’exerce
au seul bénéfice du prolétariat, auquel la possession de
l’appareil de production et d’échange donne le moyen de modifier
radicalement l’ordre social.
La grève
générale expropriatrice, par l’usage forcé de la violence, est
d’ailleurs nettement insurrectionnelle. Son action se fait sentir à
la fois sur le terrain politique et sur le plan économique, tandis
que l’insurrection ne permet d’agir que sur le plan politique.
Ceci suffit
à expliquer que, de tout temps et dans tous les pays, les partis
politiques ouvriers aient constamment tenté d’asservir les
syndicats, afin que ceux-ci, commandés et dirigés par ces partis,
appuient le mouvement insurrectionnel par une grève générale, sans
laquelle toute insurrection est, désormais, irrémédiablement vouée
à l’échec.
Les
tentatives constantes de mainmise des partis sur les syndicats n’ont
pas peu contribué à faire comprendre à ceux-ci qu’elle était la
force qu’ils représentaient et la véritable puissance de cette
force.
C’est
ainsi que les syndicats, force essentielle, seule force véritable du
prolétariat révolutionnaire, se sont trouvés conduits à
revendiquer l’autonomie et l’indépendance du syndicalisme
vis-à-vis dé tous les autres groupements politiques et
philosophiques.
Aujourd’hui,
malgré la réussite partielle et momentanée qui vient de couronner
les efforts des partis socialiste et communiste, les syndicats
révolutionnaires de tous les pays, groupés au sein de
l’Internationale de Berlin (A.I.T.), ne se contentent plus de
réclamer leur indépendance et leur autonomie. Ils affirment leur
doctrine et l’opposent à celle des partis sur tous les terrains.
Il ne s’agit
plus de « mendier » une neutralité plus ou moins bienveillante des
partis vis-à-vis des syndi-cats, mais, pour ces derniers, de
déclarer la guerre aux partis et de réaliser la formule de la 1ère
Internationale, fortifiée par l’expérience : la libération des
travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes.
De même que
les syndicats opposent : 1°) L’action directe des masses au
bulletin de vote ; 2°) L’organisation sociale par les travailleurs
au gouvernement des partis, ils ne pouvaient manquer d’opposer la
grève générale expropriatrice et insurrectionnelle à
l’insurrection.
La grève
générale, arme syndicaliste et seulement syndicaliste, est l’acte
suprême par lequel le prolétariat se libérera
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