La morale est l’ensemble des règles dont s’inspirent les moeurs, dans un groupement social quelconque, en vue du bien commun. Elle est forcément en rapport, non seulement avec les aspirations intellectuelles et sentimentales du groupement qui lui a donné naissance, mais encore avec ses besoins économiques, et les conditions particulières qui lui sont faites par le milieu naturel dans lequel il est appelé à se développer. La morale est, pour l’harmonie dans le groupement, ce que l’hygiène est pour la préservation des maladies dans la collectivité. Elle tend à éviter ce qui, dans la conduite de chacun, serait susceptible d’entraîner, pour les autres et pour soi-même, de la souffrance inutile, des dissentiments graves, la déchéance et la ruine. Elle se propose de favoriser, au contraire, ce qui est de nature à développer dans le groupement la concorde, l’estime mutuelle, le bonheur et la prospérité. Elle éclaire, complète, et cultive ce que la pratique millénaire de l’entr’aide, parmi les générations successives, a placé en nous d’instinct de sociabilité.
Mais, précisément parce
que le contenu et la portée de chaque morale sont conditionnés par les degrés
d’intelligence, de savoir, et de culture du groupement dont elle est
originaire, il ne s’ensuit pas que toute morale soit forcément rationnelle,
largement humaine et respectable en ses préceptes, les milieux sociaux superstitieux,
ignorants et cruels étant encore, hélas, les plus nombreux. Il est évident,
d’autre part, que la morale étant appelée à tenir compte des exigences du milieu
naturel et des nécessités de la vie pratique, elle ne peut comporter en toute région,
comme en tout temps, des indications absolument identiques, sinon quant a son
principe même, du moins quant à ses modalités d’application. Ainsi, tout en répondant
au même objet, les précautions d’hygiène ne sauraient-elles être complètement
les mêmes pour l’homme, selon qu’il vit en Norvège ou sous l’Equateur.
Se déclarer amoraliste,
ou même immoraliste, simplement parce que l’on répudie les moralités
officiellement admises dans la société qui nous environne, est une erreur
grave, quand ce n’est pas une boutade dangereuse, parce que cela peut donner
lieu dans l’enseignement, et non sans raison, à des interprétations inexactes, aux
suites regrettables.
Être amoral, en effet,
c’est être totalement dépourvu de directives quant à ce que doivent être les
relations nécessaires dans la vie de société ; se laisser aller à toutes ses
impulsions, sans aucun souci des conséquences que notre conduite pourrait avoir
pour autrui et, par répercussion fréquente, pour nous-même. C’est une des formes
de l’inconscience. Être immoraliste, c’est avoir conscience de ce qu’est la morale
mais, par orgueil, scepticisme, ou misanthropie, s’en faire l’adversaire sous toutes
ses formes, même les plus séduisantes et les plus raisonnables.
Quand on reconnaît que
certaines règles, dictées non par l’arbitraire, mais par l’utilité, sont
indispensables à la vie en société ; lorsqu’on admet qu’il est – ne serait-ce
qu’à l’égard de nos proches amis - des manières de se comporter qui sont bonnes,
et d’autres, par contre, qui sont méprisables, on est, qu’on le veuille ou non,
partisan d’une morale, même si, considérant les choses sous un angle très personnel,
il se trouve que cette dernière n’a rien de commun avec celle qui est enseignée
dans les écoles.
D’ailleurs, à la
vérité, personne n’est totalement immoraliste. Ceux qui se prétendent tel, et
le sont en effet, ne sont en réalité immoralistes que lorsque ceci favorise
leur intérêt propre. Cependant les reproches amers, voire les invectives, dont
ils accablent autrui, chaque fois qu’autrui se permet d’agir à leur égard avec
la même désinvolture, prouvent surabondamment qu’ils ne sont dépourvus de sens
ni du bon et du mauvais, ni du juste et de l’injuste. Mais ils réservent pour
les autres les obligations que cela comporte, et s’accordent licence de ne
faire que ce qui leur convient.
Le banditisme le plus
vulgaire a sa morale, très estimable à certains points de vue. Ne pas livrer à
la police les amis ; assister les prisonniers ; ne pas les dépouiller de leur
part de butin. Quand, sous prétexte de liberté, on ne veut même pas se plier à des
données aussi élémentaires, la vie en commun devient une triste chose, une sorte
de suicide collectif, le profiteur malhonnête de la veille étant appelé à
devenir la victime du lendemain. Comme perspective, on n’a pas devant soi
l’harmonie rêvée, mais les brutalités de la jungle.
La liberté de l’amour
elle-même, lorsqu’elle n’est pas recherchée pour soi uniquement, comporte une
morale : celle de la réciprocité dans la tolérance à l’égard du compagnon ou de
la compagne choisis, dût-on, sans une plainte, en souffrir cruellement.
L’idéal d’une
transformation sociale, lorsqu’il n’est point pur prétexte à controverses
philosophiques, comporte, lui aussi, une morale : ce n’est pas forcément de
s’offrir en holocauste a son entourage, en pratiquant à son profit un communisme
unilatéral. Mais c’est ne négliger rien, dans l’ordre de nos possibilités pratiques
immédiates, de ce qui serait susceptible d’en hâter l’avènement.
Quant au communisme
anarchiste, il est, jusque dans ses moindres détails, toute une doctrine de
morale sociale qui peut être résumée ainsi : - Ne te crée pas du luxe aux dépens
de la misère de ton prochain, mais renonce à exploiter son labeur pour te procurer
des biens. - Rends-toi utile suffisamment pour n’être point à charge, mais veille
à rendre à la société en bienfaits ce que tu as reçu d’elle sans effort. Ne
fais point violence à autrui pour le contraindre à servir tes desseins, mais
respecte sa vie privée et ses opinions, même lorsque tu ne les partages point.
Cependant exige pour toi-même les avantages que tu admets pour autrui, et dont
tu lui as permis de bénéficier, car il n’est pas dû au despote la tolérance, au
parasite le bien-être, à l’autocrate la liberté.
Jean MARESTAN.
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