Discussion imaginaire avec M. Partie IX
Mon cher M., que fut cette scène que
nous vécûmes cet après-midi ? Cette étrange gêne de deux individus qui
veulent s’éviter ; l’un peut être véritablement comme parce qu’il a
accepté la décision de l’autre tout en tentant vainement de la contrer, d’y
mettre un terme, de rassurer, d’exhorter à surseoir à cette décision, qui n’en
n’était peut-être pas une, juste l’erreur d’un instant de tristesse infinie de
s’être senti comme les autres personnes, celles que l’on méprise, qui jugent,
qui enquêtent, ceux qui ne cessent de mettre des étiquettes, qui perforent les
individualités, et qui s’immiscent dans les intimités.
Oui, tu fus celui-là, le temps d’une
question. Mais tu l’as rejetée, sans attendre une réponse, sans attendre la
sentence de ta punition, sans attendre un instant plus propice pour tenter de t’excuser,
t’excuser de toi-même, cherchant dans quelques réponses celle qui te permettra
de croire qu’il ne s’est rien passé. Mais il s’était passé cette chose étrange
lors de laquelle tu t’es cru autorisé à poser cette question en forme de
couperet.
Et l’autre, l’autre, qui a tenté
vainement de marcher vers lui, ne sachant plus, n’espérant plus, n’y croyant
plus et prenant de pleine face cette décision qui fut la tienne : celle de
changer de route. N’as-tu pas profité que nos yeux se sont perdus pour faire ce
choix, qui n’en était peut-être pas un à ce moment-là mais plus une instinctive
décision, celle de respecter, de ne pas laisser de chance, de ne pas être celui
qui revient, peut-être à tort en passant au-dessus de la décision de l’autre de
ne plus se voir.
Mais tout s’est joué en quelques
secondes, les seules secondes nécessaires pour faire ce choix, qui n’en fut
peut-être même pas un puisque cette situation n’avait sans doute jamais été évoquée
ni par l’un ni par l’autre : que ferais-je si nos chemins devaient se
croiser dans cette ville ? Sans doute n’y avons-nous pas réfléchi car nous
savions que nous déciderions sur l’instant. Ce fut ta décision, tu as été le
seul à la prendre.
Mais qu’en a pensé C. ? Soumise,
complice, elle t’a suivie. T’a-t-elle conseillée de ne pas faire ça et cette
décision fut l’objet de la discussion qui suivie cette rencontre. Sans doute, M.
as-tu su lui expliquer pourquoi il ne fallait jamais laisser de chance lorsqu’une
personne blesse, se croit blesser, se sent rejeter. Ne l’as-tu pas été tant et
tant qu’aujourd’hui, il est hors de question, ne serait-ce qu’une seconde, que
ce soit toi qui soit rejeté une nouvelle fois. Chaque fois maintenant, tu
rejetteras, ou tu fuiras. Mais le rejet est en soi une fuite.
M., lorsque je t’ai vu venir vers moi, j’ai
reçu un double choc. Tu étais encore présent dans cette ville que tu voulais
fuir de ne plus t’apporter le confort de l’anonymat, la sécurité de l’inexistence.
Car, en fait, M., tu fuis la vie. Tu fuis tout ce qui constitue la vie. Tu marches,
errance sans but, tu devises, face à un silence docile, tu ne peux pas t’arrêter,
ne jamais s’arrêter.
Puis, moi, qui ne savait que faire, qui
était presque à accepter de te reparler, c’est-à-dire, revenir lâchement sur ma
décision, sans me préoccuper de ce que tu voulais toi, sans penser à ce que tu
pourrais penser de moi, de ma lâcheté, de ma volonté de bafouer une décision
prise. Presque heureux de ne pas tenir parole, cet engagement que j’ai pris
avec moi-même, en t’excluant comme celui qui sollicite. Tu ne sollicites jamais,
M., ou alors, si peu de temps, que tu ne laisses à l’autre aucune possibilité
de revenir sur ce qui fut un mouvement d’humeur, de honte.
Tu as tourné dans la rue la plus proche
pour que nos chemins ne se croisent pas. Ne se croisent plus.
M., cette fois-là, j’ai véritablement
pris ma punition en pleine face. Avant, ce n’était moi-même qui me l’étais
infligée, sans t’inclure. Mais, aujourd’hui, c’est toi qui me l’as infligé, en
m’excluant.
Ce détour, me l’as-tu infligé car tu
voulais respecter ce que je t’avais dit ? Te heurtant, tout en me heurtant ?
As-tu fait ce choix car tu ne veux plus toi me voir ?
M., finalement, aujourd’hui, je sais que te voir me voir sans te parler, sans
me parler, est une douleur que je ne peux que difficilement supporter. T’apercevoir
à la dérobée, est une petite joie toute sensible mais te voir m’éviter volontairement
m’est une agression que j’ai moi-même orchestrée sans vraiment en avoir
conscience, au moment de la décision, de toutes les conséquences.
Peut-être que toi partant, toi parti,
ces rues vont-elles redevenir ce qu’elles sont en vérité, des artères vides, ou
presque vides puisque sans humanité.
Mais toi partant, parti, c’est savoir
concrètement que, à ce moment-là, à ces instants où je ne t’apercevrais plus,
ce sera ce définitif qui fait mal.
M.A.
14/09/22
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