Discussion imaginaire avec
M. Partie
I
M., cette discussion, nous ne l’aurons
jamais…Elle est née morte dans mon rêve de la tenir…Tu as disparu parce que je
t’ai fait disparaitre, j’ai créé la disparition de ma curiosité…
Je voulais te dire, j’aurai voulu te dire,
j’aurais souhaité avoir le courage te l’impudeur de te dire : je t’ai
connu et je vais être obligé d’arrêter d’écrire. J’en suis obligé car j’ai
atteint la fin d’une ligne droite.
Elle a été rapide, directe,
intransigeante, éprouvante, exigeante…mais tellement joyeuse.
Elle a été joyeusement captivante,
désolante, irritante mais je ne pourrais plus jamais écrire sans penser que tu
l’as déjà dit, écrit et tellement mieux.
Je ne vais plus écrire non parce que je
n’aime plus écrire, non, au contraire, je ne vais plus écrire puisque tu as
écrit mieux ce que j’aurais pu écrire si j’avais eu ton talent.
Je ne vais plus écrire, justement parce
que je ne lirais plus ce que j’aurais pu écrire si j’avais eu un jour une
parcelle de ta clairvoyance.
Je vais arrêter d’écrire pour arrêter de
ne plus lire ce que je cherche mais lire ce que je vais découvrir.
Cette discussion, nous ne l’aurons pas,
car tu es déjà parti…
Parti, par ma faute, parti, en tentant de
te retourner, honnêtement, peut-être, sincèrement, sans doute, mais parti.
Tu m’es parti car je n’ai pas su te dire
de ne pas partir.
Et pour te paraphraser : « Je ne
vais plus écrire, non parce que je t’ai rencontré, mais parce que je n’ai plus
à écrire que je t’ai rencontré ».
M.A. 21/08/22
Discussion imaginaire avec M. Partie II
M., tu dis, je le dis aussi
parfois, dans ton dernier roman de pensées, lorsque je ne vais pas
bien, que la révolution, quelle qu’elle soit, est toujours trahie. Comme une
conséquence évidente de son destin, la trahison est le destin de toute
révolution. Mais je peux dire aussi, tu ne le dis pas, ou pas vraiment, ou
peut-être le penses-tu sans le dire, sans l’écrire, seules les révolutions
messianiques sont amenées à être victorieuses.
Pour le malheur de ceux qui n’en veulent
pas de celles-là, pour ceux, à long terme, qui n’en veulent plus après les
avoir amenées à gouverner.
Alors, peut-on encore en vouloir
une ? Cela reste un rêve que l’on peut avoir. Comme quelque
chose qui peut nous aider à tenir, une sorte de béquille. Qui peut encore rêver
d’une révolution alors qu’ils en craignent la trahison, qu’ils savent
assurément que de toute façon la trahison en sera la conclusion ? Tu dis
également, je le pense et je peux l’écrire dorénavant, « la politique est
une malédiction et n’est que malédiction ». Je ne le pense pas parce que
tu le penses, que tu l’écris ; je le pense également parce que je ne l’ai
pas encore écrit mais que je le pense depuis bien longtemps.
M., tu dis que l’on ne peut être que déçu
de la révolution car elle n’est jamais ce qu’on espère. Mais toute une
population peut-elle vouloir la même révolution, sans croire au messianisme,
sans ne plus croire au messianisme religieux ? Peut-on plus croire au
messie de la politique qui est une malédiction ? Le messie de la
malédiction, peut-il être le guide d’un peuple qui ne rêve plus que du malheur
de peur de prendre en main son potentiel bonheur ?
M., tu dis, tu ne le dis jamais assez fort
pour que quelqu’un puisse le croire, tu dis que tu fuis la politique, que la
politique c’est fini pour toi. Pour ne pas le dire suffisamment fort, elle est
dans ton métier, elle traverse tes écrits que tu ne veux plus écrire parce que
tu dis ne plus croire en la politique, elle est dans tes relations, celles-là
même que tu fuis sans les fuir puisqu’ils sont invités à écrire dans ta
collection.
M., cette conversation ne pourra jamais
existée, pour n’être que virtuelle. Je suis mon Dargerman, je suis mon
M ;, je suis celui qui lis et que tu écris ; tu es celui qui écrit
pour celui qui lis mais qui n’écrira plus.
M.A. 22/08/22
Discussion imaginaire avec M. partie III
Cher M.,
Tu me l’as écrit personnellement, et je le lis dans ton roman à penser.
A penser l’avenir ? A penser que la police est partout, même dans des relations
qui sont nées, mortes, nées/mortes, sans conséquences, me laisser pantois de
bêtise, seule avec ma bêtise.
« J’avais noté ceci à ton attention : le
nom n’a rien d’intime puisque sa fonction est sociale. Mais le vérifier relève
en principe de la police. »
Tu es tous ceux qui ont fui quelque chose
ou quelqu’un.
Peut-être t’ai-je posé cette question parce que moi aussi je fuis ? Je fuis
quoi ? Mais moi…Je me fuis depuis que je sais que je ne suis pas celui que je
devrais être…Je suis devenu celui que les autres ont fait de moi, ont pensé que
je devais être…
M., tu sais, tu le sais toi, que jamais tu n’arriveras à te fuir
indéfiniment…Mais tu le sais…C’est pour ça que tu ne peux plus t’arrêter, te
poser, et tu regardes tous ces chemins que tu as parcouru…sans te poser…avec la
crainte de te poser…de poser tout ça…de te dire : « C’est bon, c’est fini…Je ne
peux plus aller plus loin »
Et qu’est-ce qu’il adviendra ce jour-là ?
M., feras-tu l’irrémédiable, l’as-tu déjà fait ? L’as-tu déjà préparé ? Tu n’as
pas encore donné la date mais ce chemin, c’est celui que connaissent tous ceux
qui fuient..
C’est pour cela M. que tu aimes l’horizon
de la mer à F., parce qu’un horizon, on ne peut jamais l’atteindre. Alors, on
peut le regarder, le scruter et se rassurer car, pour le rejoindre, on sait que
la route est longue, inatteignable, comme le but de la fuite..
M., un nom, une histoire, celle de EUX, celle que l’on t’a obligé à porter,
alors que c'est mort qu'il te "voulait".
Mais M., cher M., ta dernière fuite sera
peut-être ton dernier choix...le plus dur…Le plus terrifiant…
Tu ne pourras jamais fuir ceux qui
t’aiment, jamais.
M.A. 23/08/22
Discussion imaginaire avec M. partie IV
M. comme il est curieux, je me dis, que tu veilles à tel point disparaitre que
tu ne veuilles que connaitre la vie de ceux qui t’interroge.
Qui interrogent ta fuite, nos fuites, et
nous les aimons mystère, curiosité non révélée, accrue, ardente, frénésie…
M., ton nom comme une trace indélébile de ton passé. Tu connais les anecdotes
des uns et des autres, tu es l’inspecteur de leurs morts, le biographe de leur
disparition, tu l’exposes, tu expliques que toi tu ne veux pas que l’on
connaisse, que tu refuses que l’on cherche.
M., tu portes fascination à la disparition
brutale, comme celle que tu n’as pas faite, que tu n’as pas brutalement
infligée, à toi, à ceux qui t’aiment, à ceux qui se posent question.
Tu as choisi la disparition lente de la
fuite.
Tu dois l’entendre, je te l’écris, je te
le dis, ta disparition est violence pour ceux qui t’aime, que tu n’aimes pas,
pas forcément, pas forcément puisque pas de volonté d’attache, ou que tu
t'efforces de ne pas aimer.
Tu fuis les attaches, toutes, les
familiales, les amicales, celles que tu as choisi, à un moment, qui,
aujourd’hui t’encombrent.
M., ta fuite est la vision, la trace,
l’absence de ton égotisme. Et, de fait, M. , je te le dis, je te l’écris plus
que je ne te le dis, puisque tu as fui ma question de par ma faute, tu m’as fui
par mon propre choix de ne plus te voir, de te croiser, tu nous exposes à ce
que tu détestes qui n’est pas toi, proche ou lointain.
Autre paradoxe M., pourquoi m’as-tu approché, parlé, jusqu’à la sympathie
apparente, réelle ou feinte ? Toi qui fuis toute relation, toute relation
amicale, et surtout familiale ?
Tu voulais te prouver (m’infliger) que tu
étais encore en capacité de fuir de nouveau…Tu l’as dit, écrit, tu me l’as dit,
tu me l’as écrit…
M., j’ai été, vis-à-vis de toi, le
Dagerman de M., comme Dagerman réel ou double fut celui de Nietzsche. Tu es
Nietzsche et je suis ta Lou ?
Quelle est donc cette construction de
l’approche qui n’en était pas une, pas une réelle, une feinte, une approche
esquive ?
Je te l’ai écrit, faute de te le dire, je
ne connais ni légèreté, ni paix.
Je suis moi qui ait rencontré M., aimé M.
et qui, déjà, depuis même le début, même peut-être avant que je te connaisse
(reconnaisse ?) regrette M., la disparition de M., le regret peut-être même de
t’attendre sans que tu viennes, sans que tu viennes, vraiment. Ou, que tu
viennes mais que tu ne me reconnaisses pas, comme un qui aurait pu, qui aurait
dû…
Peut-être celui qui aurait pu te faire
douter, te faire remettre en cause la fuite, les fuites, toutes les fuites.
M., permets-moi d’avoir cette immodestie puisque nous ne l’avons jamais évoqué,
nous ne l’avons jamais espéré, nous n’en avons peut-être jamais eu l’idée.
Je suis celui aussi qui fuit, qui ne veut
s’attacher, qui ne s’attache pas, mais à quel prix ?
M.A. 24/08/22
Discussion imaginaire avec M. partie V
M., tu n’es que ce que tu écris ? Tu n’existes que parce que tu penses ?
Par ce que tu penses ? Une pensée plus haute que la vie, plus haute que
l’existence.
Mais M., tu existes déjà par tes fuites constantes, tu existes par tes
absences auprès de ceux que tu as fuis, ceux qui, peut-être, espèrent un
retour, et même ceux qui ne l’espèrent plus mais le souhaitent. Tu existes par
ceux que tu vas bientôt fuir de nouveau, ceux qui désespèrent de t’aimer sans
retour, ou alors, faussement, ou alors, ceux que tu aimes mais que tu vas fuir
quand même car ton existence est la fuite. Tu l’écris, tu le dis, tu fuis, tu
fuis, en désespoir de cause. Tu ne te fuiras jamais assez.
Il fut un temps où je ne pouvais plus te parler. Le monde dans lequel tu
t’es enfermé pendant ces quelques pages m’asphyxiait. Je ne pouvais articuler
une pensée et j’ai même eu le culot de penser que tu te trompais. Il ne pouvait
pas être question dans un monde que j’avais désormais décidé de quitter, de
fuir, pour le coup, de fuir définitivement pour justement penser te rejoindre
mais hélas, te rejoindre, aller vers toi, semble me ramener vers mes démons.
M., puis la fenêtre, l’ouverture, la lumière, il y a l’amour, toi qui ne croit
plus en rien, qui semble ne plus croire en rien, dis-tu, écris-tu, mais toi qui
aime l’amour, qui veut croire en l’amour, qui croit en l’amour mais, écris-tu,
pas l’amour vulgaire, non, seulement celui qui rejoint l’universel. M. je pense
que tu l’as trouvé, tu sais que tu l’as trouvé, ne l’écris tu pas comme pour
conjurer un sort, l’écrire serait le perdre, pour le moins le montrer, le
dévoiler, pour le mettre en péril, en lumière qui se ferait agressé. Tout cela
se cache, se tait, tu l’écris pour un autre, celui que tu caches être, celui
qui est ton double, celui à qui tu dis « tu »…Sans doute le dernier recours
après la révolution, après la politique, ces désillusions, dis-tu, écris-tu,
jusqu’à dire, sans hésiter, des malédictions, de réelles malédictions, que ce
ne sont que ça…au nom de ceux qui en sont morts, ou mortellement affectés en
ont-ils fait leurs raisons de suicides ? Ceux que tu as suivis, pas à pas, dans
leur déliquescence, jusqu’à disparaitre de leurs vivants dans leurs morts, dans
leurs inexistences de morts, ceux que l’on ne découvre que tard, par hasard, ou
par erreur, de celles que l’on doit élucider…Cette limite en lame de rasoir que
tu sembles enjamber comme pour une marelle endiablée jusqu’au soleil ? Ton
soleil vers lequel tu sembles revenir à chaque fois, comme pour te ramener vers
la vie, vers la lumière…celle qui te permet d’en apercevoir encore en toi.
M., je t’ai aperçu aujourd’hui, je le devais, c’était écrit, quelque part
entre nous, un pacte silencieux et secret et j’ai souri, cet après-midi je
souriais en te voyant, vivant, heureux parce que deux, heureux parce deux sans
eux, ces ombres, ces nuages, ces obscurités jamais assez lointaines…
M.A. 02/09/22
Discussion imaginaire avec M. partie VI
Ma mère ne s’est jamais absentée de
rien, jusqu’à ce qu’elle existe. Qu’elle existe dans le monde qu’elle traverse,
le monde dans lequel je ne suis pas, pas plus qu’elle n’est mère.
Ma mère, à jamais ne la voir vraiment,
elle n’a jamais perçu que la peur de ne pas comprendre ce que je suis et ce que
je pense.
Ma mère, de ne pas vouloir aimer avant
de comprendre, n’a jamais eu la force, la volonté, la force de la volonté, ou
la volonté d’avoir la force d’aimer avant de comprendre, aimer pour comprendre.
Tu peux le comprendre, M., dans le monde
des « Morts nés/eux », ce que tu décris est ce refus d’amour sans
qu’il n’ait besoin de raison. Peut-on nommer ce qui ne ressemble à rien de ce
peut ressentir un être humain pour un autre, étranger de par la volonté,
étranger car sans volonté de chercher à aimer, aimer c’est s’encombrer, c’est
alourdir le voyage auquel nous n’avons jamais eu le droit de participer. Nous
ne faisions même pas office de bagages encombrants.
M. nous imitons si bien la vie qu’on
arrive à se prendre au jeu.
M.A. 03/09/22
Discussion imaginaire avec M. partie VII
Si nous pouvions revenir à la première
discussion qui n’aura pas lieu, qui n’a jamais eu lieu, que jamais je ne
pensais que tu aurais pu être celui qui m’écoutera, comme tu écoutes,
physiquement, complétement, dont il ne sera plus possible qu’elle existât un
jour ou l’autre, je te lis. Je te lis comme si rien d’autre ne pourra être lu
par moi, comme s’il m’était dorénavant interdit de lire, d’écrire, de penser
même. Je te lis, M., comme la fin de la recherche, de ma recherche, sans
vraiment chercher mais en l’espérant, le souhaitant. Je n’ai plus à rechercher,
j’ai trouvé. Sans savoir qu’on le cherchait, on sait, on sent qu’on l’a trouvé,
comme une plénitude. Mais y ai-je trouvé la paix ? Un apaisement même
momentané ? Et de savoir que je ne devrais plus avoir à écrire, allait-ce
être l’enfer ? Un désespoir insurmontable ? Comme une mission que je
m’étais imposé que je n’aurais plus à subir, à m’imposer, comme l’on s’impose
parfois des plaisirs malsains, sains, heureux, perturbants, savamment
perturbants.
Non, j’étais apaisé, heureux que cela
existât même si je n’en étais pas l’auteur, heureux peut-être parce que je n’en
étais justement pas l’auteur.
Mais vas-tu aussi disparaitre M. ?
Vas-tu aussi vouloir tout détruire comme Kafka ou ou ce fameux mystérieux Adler,
qui a disparu au point de ne pas avoir existé, vraiment existé, que l’on doute
qu’il existât tellement il disparut, comme le prétexte de ce que tu cherches à
nous imposer, un jour, à un moment que tu choisiras ? Car tu es,
malheureusement pour ceux qui veulent t’aimer en toute indiscrétion, comme un
artiste qui peut penser, qui a le droit de penser, que rien ne doit lui
survivre au-delà de notre affligeante présence. Comme tu dis, mourir
entièrement, complétement, plus qu’assez, en tout cas. Rien ne fut, tout passe
qui ne laisse pas d’empreinte.
Il y a des livres que l’on n’a pas envie
de finir, pas le droit de finir, qui sont pleins, libres, aérés, denses. Des
livres qui nous complètent, qui nous enveloppent, qui parcourent nos vies sans
nous lâcher.
M.A.
10/09/22
Discussion imaginaire avec M. Partie VIII
Tu sais M., cet après-midi, j’ai pleuré.
J’ai pleuré en passant devant le rideau
fermé.
Définitivement fermé ? En tout cas
pour moi, il l’est. De par ma seule volonté, de par ma seule erreur. De cette
insurmontable erreur que j’endosse comme un costume trop serré qui m’étouffe,
qui bloque mes mouvements, mes déplacements ; qui laissent des empreintes
sur mes pensées, mes errances littéraires, poétiques ou insomniaques.
M., tu es parti, sans me laisser
l’espoir de te revoir. Je pense que je ne te reverrais même plus.
Ne plus t’apercevoir marchant à côté de
celle qui te côtoie, qui ne te pose plus de questions, (T’en a –t-elle déjà
posé ?), de ne pas te connaitre, de ne pas chercher à te connaitre pour
être encore à tes côtés, pour prévenir une fuite, la dernière avec elle, donc
elle marche, en silence, non dans la confidence, elle t’aime donc elle n’ose
plus te connaitre, ne te questionne pas, elle, elle aime dans l’ignorance comme
tout être qui aime vraiment sincèrement.
Ne t’ai-je pas aimé ?
Non, je t’ai admiré, comme un fan, comme
un groupie qui voulait faire croire à de l’intimité. Mais non M., ce rideau, ne
s’ouvre pas, même ouvert.
Alors, simplement, sans m’y attendre,
sans que l’instant soit issue d’une réflexion ou d’un chemin de réflexions dont
la destination était cette pensée ; non, elle s’est imposée, une évidence,
une fulgurance : et que vais-je devenir de ne plus te voir ? Que
vais-je devenir de ne plus t’apercevoir dans cette petite ville F., devenue
selon tes dires : « qui change trop et devient de plus en plus
une sorte de parc d’attractions pour une population de touristes
infantilisés ».
Et puis, l’instant d’après, lors d’un
moment de paix et de silence, j’ai repris la lecture d’un de tes ouvrages qui
ne parle que de disparition, mais pas forcément la mort, la disparition dans sa
globalité : œuvre, histoire, nom et physique. La mort assez. On ne meurt jamais assez.
J’ai
aussi cette envie que rien ne subsiste de moi, rien.
Mais,
doit-on l’imposer à une famille que l’on s’est construite ? Doit-on ?
Si cette famille l’accepte, peut-être. Mais encore faut-il avoir la vraie
conscience d’un être qui disparait totalement, ce qu’il laisse comme empreinte
de sa plus d’existence. Je vis,
personnellement, depuis ma naissance, presque, avec un être qui a disparu, avec la construction matérielle
de sa disparition : dans le langage, dans les preuves de son existence. De
ne pas vouloir imposer les questions de la non existence, je m’en suis imposé
un traumatisme, celui que je n’ai pas voulu imposer à ceux qui ont vécu cette
disparition.
Pour
conclure M., cet échange, que j’écris, car, de le dire, je n’en aurais pas le
courage, ou le temps de trouver le courage de te le lire, de te l’imposer comme
aujourd’hui, tu t’es imposé à moi, comme une partie de ma vie. De mon esprit.
M. , tu
n’aurais jamais eu à parler de toi, puisque, de toi, je ressens ce que je veux
de toi, et surement pas la vérité
M.A. 13/09/22
Discussion imaginaire avec M. Partie IX
Mon cher M., que fut cette scène que
nous vécûmes cet après-midi ? Cette étrange gêne de deux individus qui
veulent s’éviter ; l’un peut être véritablement comme parce qu’il a
accepté la décision de l’autre tout en tentant vainement de la contrer, d’y
mettre un terme, de rassurer, d’exhorter à surseoir à cette décision, qui n’en
n’était peut-être pas une, juste l’erreur d’un instant de tristesse infinie de
s’être senti comme les autres personnes, celles que l’on méprise, qui jugent,
qui enquêtent, ceux qui ne cessent de mettre des étiquettes, qui perforent les
individualités, et qui s’immiscent dans les intimités.
Oui, tu fus celui-là, le temps d’une
question. Mais tu l’as rejetée, sans attendre une réponse, sans attendre la
sentence de ta punition, sans attendre un instant plus propice pour tenter de
t’excuser, t’excuser de toi-même, cherchant dans quelques réponses celle qui te
permettra de croire qu’il ne s’est rien passé. Mais il s’était passé cette
chose étrange lors de laquelle tu t’es cru autorisé à poser cette question en
forme de couperet.
Et l’autre, l’autre, qui a tenté
vainement de marcher vers lui, ne sachant plus, n’espérant plus, n’y croyant
plus et prenant de pleine face cette décision qui fut la tienne : celle de
changer de route. N’as-tu pas profité que nos yeux se sont perdus pour faire ce
choix, qui n’en était peut-être pas un à ce moment-là mais plus une instinctive
décision, celle de respecter, de ne pas laisser de chance, de ne pas être celui
qui revient, peut-être à tort en passant au-dessus de la décision de l’autre de
ne plus se voir.
Mais tout s’est joué en quelques
secondes, les seules secondes nécessaires pour faire ce choix, qui n’en fut
peut-être même pas un puisque cette situation n’avait sans doute jamais été
évoquée ni par l’un ni par l’autre : que ferais-je si nos chemins devaient
se croiser dans cette ville ? Sans doute n’y avons-nous pas réfléchi car
nous savions que nous déciderions sur l’instant. Ce fut ta décision, tu as été
le seul à la prendre.
Mais qu’en a pensé C. ? Soumise,
complice, elle t’a suivie. T’a-t-elle conseillée de ne pas faire ça et cette
décision fut l’objet de la discussion qui suivie cette rencontre. Sans doute,
M. as-tu su lui expliquer pourquoi il ne fallait jamais laisser de chance
lorsqu’une personne blesse, se croit blesser, se sent rejeter. Ne l’as-tu pas
été tant et tant qu’aujourd’hui, il est hors de question, ne serait-ce qu’une
seconde, que ce soit toi qui soit rejeté une nouvelle fois. Chaque fois
maintenant, tu rejetteras, ou tu fuiras. Mais le rejet est en soi une fuite.
M., lorsque je t’ai vu venir vers moi,
j’ai reçu un double choc. Tu étais encore présent dans cette ville que tu
voulais fuir de ne plus t’apporter le confort de l’anonymat, la sécurité de
l’inexistence. Car, en fait, M., tu fuis la vie. Tu fuis tout ce qui constitue
la vie. Tu marches, errance sans but, tu devises, face à un silence docile, tu
ne peux pas t’arrêter, ne jamais s’arrêter.
Puis, moi, qui ne savait que faire, qui
était presque à accepter de te reparler, c’est-à-dire, revenir lâchement sur ma
décision, sans me préoccuper de ce que tu voulais toi, sans penser à ce que tu
pourrais penser de moi, de ma lâcheté, de ma volonté de bafouer une décision
prise. Presque heureux de ne pas tenir parole, cet engagement que j’ai pris
avec moi-même, en t’excluant comme celui qui sollicite. Tu ne sollicites
jamais, M., ou alors, si peu de temps, que tu ne laisses à l’autre aucune
possibilité de revenir sur ce qui fut un mouvement d’humeur, de honte.
Tu as tourné dans la rue la plus proche
pour que nos chemins ne se croisent pas. Ne se croisent plus.
M., cette fois-là, j’ai véritablement
pris ma punition en pleine face. Avant, ce n’était moi-même qui me l’étais
infligée, sans t’inclure. Mais, aujourd’hui, c’est toi qui me l’as infligé, en
m’excluant.
Ce détour, me l’as-tu infligé car tu
voulais respecter ce que je t’avais dit ? Te heurtant, tout en me
heurtant ? As-tu fait ce choix car tu ne veux plus toi me voir ?
M., finalement, aujourd’hui, je sais que te voir me voir sans te parler, sans
me parler, est une douleur que je ne peux que difficilement supporter.
T’apercevoir à la dérobée, est une petite joie toute sensible mais te voir
m’éviter volontairement m’est une agression que j’ai moi-même orchestrée sans
vraiment en avoir conscience, au moment de la décision, de toutes les
conséquences.
Peut-être que toi partant, toi parti,
ces rues vont-elles redevenir ce qu’elles sont en vérité, des artères vides, ou
presque vides puisque sans humanité.
Mais toi partant, parti, c’est savoir
concrètement que, à ce moment-là, à ces instants où je ne t’apercevrais plus,
ce sera ce définitif qui fait mal.
M.A.
14/09/22
Discussion imaginaire avec M. Partie X
Je suis toujours dans la déshérence.
Je cherche à t’apercevoir sur les artères
que je suppose que tu serais apte à arpenter. Celles qui te procureraient le
moindre mal, qui t’éviteraient de croiser ces êtres qui t’insignifient. Qui te
heurtent. Qui nous heurtent ; dont l’existence nous insupporte.
Pas leurs discours, pas leurs regards,
non, plus ample, plus amplifié : leur simple existence, leur simple
encombrement des espaces. De tous les espaces. Ils insupportent l’air, les
paysages.
M., en te cherchant, je me disais, je
l’écris, reconnaitrais-je C. si elle était seule à se promener ?
D’ailleurs, la laisses-tu seule dans ses
rues, croiser ces personnes qui t’insupportent de par leur simple existence,
l’occupation de quelque espace qu’ils utilisent de leurs présences ? Je ne
te vois pas la laisser seule traverser cette ville quand tu penses ce que tu
penses de l’amour ?
Elle aime parler, elle veut être celle
que l’on écoute, enfin, définitivement. Elle veut être celle qui sera au centre
des discours, des pensées, elle veut être C..
Comment je peux la définir ?
Comment je me la représente ?
Comment je veux qu’elle soit ?
Comment elle peut être pour pouvoir
vivre à tes côtés ?
Comment je pense qu’elle devrait être
pour être un minimum heureuse à tes côtés, dans ton ombre, dans tes pas ?
La vie près de toi, dans ton espace,
dans celui que tu peux lui accorder pour qu’elle ne bloque pas une fuite,
qu’elle ne puisse bloquer une pensée ? Sans qu’elle puisse te déranger ?
Peut-elle exister hors de ce que tu as
envie qu’elle représente pour toi ?
N’existe-t-elle que lorsque tu as besoin
d’elle, de son amour, de son oreille ? Qu’elle acquiesce à ce que tu dis.
Qu’elle ne soit plus que celle qui t’admire, qui te comprenne.
Mais est-elle d’accord avec tout ce que
tu dis ? Tout ce que tu penses ?
Tout ce que tu lui imposes. Et ces
fuites, va-t-elle toutes les subir ? Va-t-elle être toujours à tes côtés
ou cherches-tu à la dégoûter afin qu’elle parte, qu’elle te quitte pour te permettre
enfin de dire : « elle ne m’aimait pas », pour qu’elle te
justifie dans ce que tu penses être la vérité ?.
Et si un jour, elle te disait ce qu’elle
pense réellement ?
M., as-tu toujours raison ?
Penses-tu toujours avoir raison ?
Veux-tu toujours avoir raison ?
As-tu toujours envie d’avoir
raison ?
Pourtant peux-tu avoir toujours envie
d’avoir raison ?
M., cette question que je ne te pose
pas, que je ne te poserais pas, pas comme celle que je t’ai posée qui pourrait
être plus importante que celle qui nous a séparé : aimes-tu C. ?
Je veux dire sincèrement, franchement,
indéfiniment, comme je pense qu’elle t’aime, comme elle te prouve qu’elle
t’aime.
Pourrais-tu lui prouver, si elle te demandait
d’arrêter, de vivre, de ne plus fuir. Es-tu prêt à t’arrêter, à écouter, à
l’écouter ?
M.A.
17/09/22
Discussion imaginaire avec M. Partie XI
Il est étrange, je l’écris, il
est étrange que tu ne sois plus que cet inconnu qui s’éloigne, celui que j’aperçois
brièvement de dos. Aujourd’hui, comme pour me contredire, comme pour me
rejeter, une fois de plus, tu tiens la main de C.. Et puis, tu ne la lâches pas
malgré les embuches du quai.
Je me suis dit, cet après-midi, vais-je être l’accélérateur de ton
départ ? Jusqu’à quel point, je peux en être le prétexte ?
Si oui, aurais-je été si important que ce soit, de quelque importance ai-je
été. Qu’est-ce que mon contact aura déclenché en toi que la fuite ne soit plus
non une décision, mais une opportunité ?
Ces instants, si courts, si
fugaces, sont des traces indélébiles pour moi, uniquement pour moi. Pour toi,
je n’ai été qu’un encombrement que tu peux contourner aisément, mentalement,
physiquement, dorénavant. Ce que je n’arrive pas à me dire, à me convaincre, et
pourtant je sais que je suis le seul responsable, que je ne suis pas que le
seul responsable. Que tu étais en attente d’une opportunité, d’une faille qui
te permette de te glisser dedans, un interstice dans lequel tu peux encore te
faufiler pour t’extraire de ma vue, de ma vie, de toutes celles qui pourraient
chercher à croiser la tienne, de toutes celles qui t’empêcheraient de marcher
seul, toujours seul.
Et, encore, une fois, je me
pose la question de savoir si C. partage toutes tes idées, toutes tes
envies ? Et cette main que tu tiens, il me semble que c’est la première
fois que je te vois ainsi, est-ce pour la retenir car elle veut s’éloigner, un
peu, ou se retourner, ou prendre un élan ?
Parce que cette main tenue
était de celle qui fait mal, qui ne semble pas une volonté mais une nécessité.
Tu n’en a pas le choix. L’empêcher de pouvoir faire une fuite de tes fuites.
M.A. 20/09/22
Discussion imaginaire avec M. Partie XII
Part ! Part M. !!
Je t’exhorte à partir le plus vite possible,
ne reste pas là. A chaque moment si court, si limité, si fugace, la plaie
s’ouvre, celle qui ne se ferme pas car le scalpel n’est jamais très loin, à
portée de plaie sanguinolente.
Ce matin, je t’ai vu la regarder et dans
tes yeux, il y avait l’amour, il y avait un sourire, il y avait la joie de la
regarder sans rien espérer, sans rien attendre, juste la regarder car elle est
regardable, aimable, belle encore, peut-être. Donc, de fait, tu étais beau
également, fatigue partie, visage reposé. Je le dis autrement : la beauté
que tu continues à voir chez elle se reflétait nécessairement, inévitablement
sur ton visage.
Enfin, elle était l’intérêt, le centre
de ton intérêt, à ce moment précis, puisqu’elle venait de souffrir, puisqu’elle
sortait des mains d’un autre, de l’attention d’un autre qui aurait pu voir
cette beauté, reconnaitre celle-ci, que peut-être tu vois moins car proche, si
proche, mais tu ne la regarde pas.
Tu la regardais pour la récupérer, pour
la reprendre, si elle avait cette envie de partir, de s’éloigner, de déplacer
son centre d’intérêt, mais peux-tu comprendre qu’elle n’en avait pas nécessairement
envie.
Ce visage souriant, ce sourire sur un
visage qui ne sourit jamais, jamais.
Je te demande de partir, M.
Aujourd’hui, je mets fin à ce monologue,
je ne te chercherais plus, je ne te verrais plus. Tu es parti. J’attends que tu
partes, je veux que tu partes. Mais il a fallu un moment que tu sois là pour
que je te rencontre, que je te découvre, que tu m’influences.
Je te souffrirais loin mieux que si je
t’aperçois de loin en loin, de savoir que tu es là, ta présence invisible m’oppresse,
me stresse. Peut-être est-elle cette source vive nécessaire à mes inspirations.
Ta disparition va-t-elle la tarir ?
Je te dis adieu physiquement alors qu’intellectuellement,
tu es en moi, ancré viscéralement. Tu es, pour le moment, l’ancrage de mes
inspirations, de mes circonvolutions, je ne peux plus t’échapper. Je ne le
cherche pas forcément.
Mais écrire, souffrir et ne plus
respirer ; ne plus écrire, ne plus souffrir et respirer. De tout cela, qu’est
ce qui m’est le plus vital ?
M.A. 22/09/22
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