"Ce qui devait être écrit ne l'a pas été. Ce qui l'est ne l'aurait pas dû. Ce n'était peut-être pas inévitable. On ne répare pas l'horreur d'avoir survécu par celle de dire comment. Il n'y a plus pour moi, depuis, de livres qui ne trichent".
C'est en vain que je cherchais toute cette nuit à ne pas croire qu'une telle phrase ait du être jamais écrite; à prétendre ensuite qu'elle ne concernait qu'Edouard Adler ( j'en refusais avec véhémence le caractère de généralisation); à tenter enfin de l'oublier (à me persuader que je ne l'avais pas lue). Au matin, mon état d'esprit ne devait pas être différent de celui qu'on prête aux extatiques: j'étais tout près de me prosterner et, quoique devant aucun Dieu, je n'atteignais pas à de moins improbables profondeurs".
"Jamais, cependant, je n'eus peur au point de donner raison à la prévenance que Pierre-Louis Adler disait être celle de son frère: si celui-ci désire si fort que ces textes innombrables disparaissent, c'est pour des raisons qui n'appartiennent à lui, aucunement pour que quiconque en soit protégé. j'en fus d'abord convaincu. Ce qu'ensuite je corrigeai ainsi: nul n'en doit être protégé. Nul ne doit l'être pour lui-même ni pour Edouard Adler. Quitte à ne pas pouvoir être supportés, quitte à ce qu'ils menacent d'asphyxie qui les lit, ces textes doivent être lus. C'est donc à tort qu'Edouard Adler les détruit (nous soustrait à la possibilité d'une suffocation aussi nécessaire), à tort que je l'y aide. Sa prévenance est moins feinte que fausse. Enfin, je pensai: il a peur que se propage la peur. Il a peur qu'entrant dans sa peur, celle-ci s'empare de tous, au point qu'ils reculent comme lui-même a reculé.
Je n'étais plus sûr, à force de dormir mal ou, certaines nuits, de ne plus dormir du tout, de rien comprendre. Tout était à certains moments si confus qu'il me fallait me forcer: à me souvenir qu'Edouard Adler était hospitalisé et qu'il l'était pour avoir tenté de détruire tout, et à l'aveugle. A me souvenir qu'il me fallait le faire à sa place si je ne voulais pas moi-même l'entrainer dans cette tricherie qu'il tentait de fuir ( que de ne plus le pouvoir avait rendu fou)."
"Certainement, je n'ai jamais connu un plus intime accord avec moi-même que les jours qui suivirent.
Ma solitude à V. était entière et pénible, mais je ne désirais pas que rien m'obligeât à la quitter; je m'attachais étroitement à un homme que j'allais perdre, mais je ne désirais pas que rien l'empêchât de disparaitre; je détruisais une oeuvre parmi celles que j'avais le plus admirées, mais je n'aurais rien supporté qui m'y fit renoncer..
Un tel accord pourrait bien avoir été au moins "morbide"."
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