mardi 13 septembre 2022

Défiguration Par Michel Surya

 Il fait dire par E.A. ce qui suit:

"Aucun livre n'est assez anonyme. Aucun des miens. Aucun de tous ceux que j'ai lus, non plus. Il entre beaucoup trop de leurs auteurs dans tous les livres que j'ai lus. Beaucoup trop de moi dans les miens."

et aussi:

"Il faudrait pouvoir se retirer de ce qu'on écrit. Qu'écrire soit l'analogue d'un abandon. Qu'en ce sens, écrire ressemble à l'abandon par lequel on entre dans l'anonymat de la mort."

puis ensuite:

Comme nous y sommes nous-mêmes entrés. Comme nous sommes nous-mêmes entrés en masse, anonymement, dans l'horreur. Pour ceux auxquels cette horreur a laissé un nom, à combien l'é-t-elle retiré? Et n'est ce pas ce qu'elle cherchait: que nul n'eut plus de nom?

Ne pas trahir aurait demandé: être cet anonymat que l'horreur voulait. C'est-à-dire, être soi-même son nom perdu...être soi-même son nom insupportable. L'anonymat d'un livre serait: qu'il soit de telle sorte qu'il ne supporte aucun nom.

J'ai eu trop du mien pour écrire comme il l'aurait fallu. Trop de mon nom, trop de mes yeux. Quand il suffisait - mais comment n'en ai-je pas eu le courage? Mais était-il possible de trahir davantage? - de demeurer jusqu'à la fin  dans l'état auquel nous avions été réduits où nous n'avions plus ni nom ni figure.

C'est pourquoi il fallait détruire. Ces pages d'ébauche, ces notes, ces lettres...Tout. Elles trichaient. Elles empruntaient à mon nom retrouvé l'autorité d'une horreur qui aurait voulu le lui retire".

puis de conclure

"Tout ce que j'ai écrit depuis est tout au plus bon à faire pleurer. N'est-ce pas risible?"

puis, un silence, un silence lourd parce que total et aveugle, aveugle deux fois puisque physiologique puis intellectuellement avant de surenchérir:

"Ce n'est qu'aveugle que j'ai compris. Aveugle, l'anonymat me fut rendu, en même temps que je fus rendu à ma défiguration."


Les parties italiques sont de M.A.


C'est un jeu à trois dans lequel celui qui ne voit plus rien, guide de son silence aveugle, ceux qui cherchent ce qu'est le tout du livre, celui qui n'existe pas encore, celui que chacun cherche pour ensuite abandonner l'écriture, mais être dans la plénitude. Rien qui ne sera à écrire ce doit de l'être dans l'exigence, dans la préméditation. Celui qui doit être écrit doit être l'accident de ce qui n'arrivera plus, à nulle instant. 

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