état d'une femme mariée à un seul homme, se rapporte exclusivement au sexe féminin ; Monogamie (du grec gamos, mariage), état de la femme mariée ou unie à un seul homme ou de l'homme marié ou uni à une seule femme s'applique à l'un comme à l'autre sexe.
Monogame s'entend également de
l'état d'une personne qui n'a été mariée qu'une seule fois. La Grèce et Rome,
polythéistes, n'ont jamais attribué qu'une 'importance relative à la monogamie
et toujours dans un sens favorable à l'élément masculin du couple.
À Rome, le concubinat,
admis en dehors du mariage, jouissait d'un statut légal. Les dieux de l'Olympe
donnaient de si fréquents coups de canif dans le contrat matrimonial qu'il
aurait fallu à leurs sectateurs une dose de naïveté peu commune pour prendre la
monogamie au sérieux.
On trouve dans notre
code une allusion à cette légalisation du concubinat, puisque le fait
d'entretenir une concubine hors du domicile conjugal ne constitue pas un délit.
D'ailleurs, alors que la femme convaincue d'adultère est passible d'emprisonnement
de trois mois à deux ans (C. pén. § 337), le mari qui aura entretenu une
concubine dans la maison conjugale s'en tire avec une amende de 100 à 2.000
francs (C. pén. § 339).
Il fallut le christianisme
– monothéiste – pour faire apparaître la monogamie comme un idéal religieux et
social. Selon la thèse chrétienne, le mari est censé aimer son épouse comme le
Seigneur aime l'Église – c'est la définition paulinienne des rapports entre
conjoints ; des enfants sont la suite de l'union conjugale et la famille qui en
résulte est une reproduction en miniature de la communauté chrétienne. Dans ces
enfants, le couple chrétien se voit et se sent continué, en attendant de
poursuivre spirituellement, au-delà du tombeau, l'union commencée charnellement
ici-bas, il est vrai, mais sanctifiée par un sacrement. De l'autre côté de la
tombe, les parents retrouvent également leurs enfants. Comme il est entendu que,
dans la Cité céleste, il n'y a pas de différenciation sexuelle, cela résout
bien des difficultés.
Dans la société
chrétienne (et la société civile lui ressemble beaucoup en ce domaine), la
femme et les enfants obéissent au mari comme l'Église obéit à son chef spirituel
: l'hérésie, c'est-à-dire l'affirmation d'une volonté autre que celle de
l'époux ou du père – n'est pas plus admissible dans la famille que dans
l'Église.
Domestiques, soyez
soumis à vos maîtres ; femmes, soyez soumises à vos maris ; enfants soyez
soumis à vos parents – tel est l'idéal chrétien, celui du moyen âge et celui de
la société moderne, dont tous les codes, malgré certains adoucissements de détail,
reflètent cette conception religieuse des conséquences de l'union monogame. Voici
quelques articles du Code Civil qui suffiront à convaincre tout lecteur impartial
de la corrélation existant entre la conception canonique du mariage et la notion
laïque. Si l'article 214 exige que le mari protège sa femme (comme le Seigneur
le fait pour l'Église), la femme doit obéissance au mari ; elle est obligée
d'habiter avec son mari et de le suivre partout où il juge à propos de résider
; Un arrêt de la Cour de Cassation (9 août 1826) a décidé que le mari dont la
femme refuse d'habiter avec lui peut l'y contraindre manu militari ; un
autre arrêt (26 juin 1878) a décidé que les juges peuvent prononcer une
condamnation à des dommages-intérêts contre la femme pour la contraindre à
réintégrer le domicile conjugal.
Quant à l'enfant issu
du mariage monogamique, voici le statut qui le régit : il reste sous l'autorité
de ses père et mère jusqu'à sa majorité ou son émancipation ; le père seul
exerce cette autorité durant son mariage ; l'enfant ne peut quitter la maison paternelle
sans la permission de son père, si ce n'est pour enrôlement volontaire, après
l'âge de 18 ans (art. 372, 373, 374 du Code Civil). Le père a même le droit d'interdire
à ses enfants toute communication avec les membres de la famille ; il faut
qu'il s'agisse des ascendants pour que les tribunaux puissent intervenir et autoriser
de simples visites (Cour de Cassation, arrêts du 28 juil let 1891 et du 12février
1894).
Bien plus, si l'enfant
est âgé de moins de seize ans, le père peut, s'il en est gravement mécontent,
le faire détenir pendant un mois au plus, sans que le président du tribunal
d'arrondissement puisse refuser de délivrer l'ordre d'arrestation (C. civ. § 376).
Pour en revenir à la
conception chrétienne du mariage, il convient de remarquer ici que le
christianisme ne faisait que répéter et accomplir le mosaïsme – autre religion
monothéiste – qui prescrivait un châtiment très rigoureux pour l'adultère de la
femme. Jésus n'a jamais sanctionné l'adultère. S'il s'est refusé à condamner la
femme adultère (et ce récit manque dans les missels les plus anciens), c'est
parce que ceux qui voulaient lapider la malheureuse faisaient, en secret, la chose
qu'ils lui reprochaient. Dans son entretien tout spirituel avec la Samaritaine,
Jésus lui fait bien remarquer que l'homme avec lequel elle vit n'est pas son
mari (Jean, VI). D'ailleurs, il est de toute évidence qu'il s'agit uniquement
ici d'une relation symbolique : puisque les juifs orthodoxes ne veulent pas du
message divin, il sera porté aux hétérodoxes, tels les Samaritains, et même des
femmes aux mœurs dissolues l'entendront.
Il suffit de lire le
XIXème chapitre de Matthieu et le Xème de Marc – deux évangiles les plus
imprégnés de l'esprit mosaïque – pour se rendre compte que Jésus était hostile
au divorce ou à la répudiation, sauf en cas d'adultère. Dans le chapitre précité
de Marc, il déclare nettement : « Celui qui répudie sa femme et en épouse une
autre commet adultère à son égard ; si une femme quitte son mari et en épouse un
autre, elle commet adultère ».
Il va sans dire que
pour examiner le problème de la monogamie, les individualistes anarchistes se
placent à un tout autre point de vue que la société actuelle, toute saturée
d'esprit judéo-chrétien. On peut considérer comme cellule fondamentale d'un
milieu social donné la famille – le couple – l'individu. Si l'on considère
l'unité humaine, prise isolément et personnellement, comme la cellule initiale
du groupe, on y relativera la forme de vie sexuelle qui s'y pratiquera à
l'individu, envisagé à part toute cohabitation, toute limitation à son
expansion sentimentale ou sexuelle, tout sentiment de propriété affective ou
corporelle, toute entrave à sa recherche de désirs ou de sensations.
Le problème de la
monogamie consiste à savoir si cette expression de la vie sexuelle, même
pratiquée temporairement, est restrictive ou non de la liberté personnelle dans
le domaine sexuel – si elle favorise ou non les possibilités d'expérience et
d'initiative individuelles dans tous les domaines – si elle est bonne conductrice
de sociabilité – si, en un mot, les avantages qu'elle procure compensent les
pertes qu'elle occasionne. Lorsque Edward Carpenter fait remarquer qu'à force
de cohabitation et de fidélité ou d'exclusivisme sexuel ou sentimental, les
éléments du couple finissent par se ressembler non seulement moralement, mais
encore physiquement, il énonce, sans en tirer toutes les conséquences, une
constatation qu'aucun individualiste ne saurait enregistrer sans frémir en son
for intime. Il n'est pas question ici de débauche ou de laisser aller sexuel,
la question est bien plus haute. Que du fait de l'exercice de la monogamie, un
individu puisse se fondre tellement dans un autre qu'il en perde sa faculté
propre de raisonner, de chercher, d'apprécier, de choisir –voilà qui ne peut
s'admettre dans un milieu basé sur l'ego, l'unique.
Même s'il n'y avait pas
absorption, s'il y avait simple amputation des attributs personnels de l'un des
éléments du couple par suite de la supériorité ou de l'influence de l'autre
élément, le milieu individualiste y perd nécessairement. Les désirs, les
initiatives, les espoirs refoulés sont autant de pertes sèches pour lui, puisqu'il
ne saurait jouir des conséquences que tout cela pourrait provoquer. Pour un milieu
basé sur le fait individuel, l'accaparement ou l'exclusivisme monogamique est
un rapt ou un vol : il ne peut pas être un facteur de sociabilité. Là où un des
composants du milieu individualiste aliène son autonomie sentimentale ou
sexuelle à un seul de ses coassociés, il devient comme un étranger, un
hors-du-camp par rapport aux autres, dans ce domaine tout au moins et nous
savons quelle est l'étendue de son rayonnement.
La monogamie est-elle
productrice d'autonomie individuelle, toute question sentimentalo-sexuelle mise
de côté ? Favorise-t-elle davantage les possibilités d'expansion individuelle,
de liberté de choix d'expérimentation, de conclure des contrats. Voilà le
problème posé au point de vue individuel et il n'est pas ailleurs. On ne peut
nier que la monogamie tende sans cesse à sacrifier à l'autre l'un des éléments
du couple – tantôt l'un, tantôt l'autre dans les circonstances les plus favorables.
L'un des éléments s'abstiendra de passer certains contrats parce que l'une ou
plusieurs de ses clauses déplaisent à l'autre élément ; ce dernier s'interdira,
mû par le même motif, certains, déplacements certaines tentatives, certaines aspirations
même ; il renoncera à fréquenter certaines personnes. Tout cela parce que ces
contrats, ces tentatives, ces aspirations, ces fréquentations risquent de troubler
l'harmonie sans laquelle la monogamie cesse d'être praticable. De sorte que les
individualistes anarchistes n'ont pas tort de reprocher à la monogamie d'impliquer
abstention, restriction, refoulement, résignation.
Que ce soit au point de
vue intellectuel, éthique, sentimemtalo-sexuel, la fréquentation simultanée de
plusieurs individualités ne peut que profiter à l'ego. Il en est de
cette fréquentation comme d'un voyage à la découverte : faire connaissance
d'autres coutumes que celles auxquelles on est habitué, fouler d'autres sols,
contempler d'autres panoramas, s'assimiler de nouveaux dialectes, enrichit inévitablement
l'explorateur. La connaissance intime de plusieurs autruis peut faire jaillir
des profondeurs du moi des aspects nouveaux de la personnalité, aspects qui seraient
à jamais demeurés ensevelis et stériles sans cette occasion.
Ces considérations
diverses – et on pourrait les étendre – indiquent pourquoi les individualistes
anarchistes, ne considèrent pas la monogamie comme favorable a l'expansion de
l'unité individuelle ou de tout milieu basé sur le fait individuel. Toute réserve
étant faite pour certains déterminismes particuliers, se révélant à la suite d'expériences
loyalement faites et ayant assez duré pour en tirer une conclusion. Nous
n'ignorons pas que, dans la société actuelle, les conditions économiques permettent
difficilement à la femme de se tirer d'affaire toute seule. Mais on ne, voit pas
pourquoi une association d'ordre économique entre un homme et une femme –qu'elle
soit basée sur l'affinité idéologique, la communauté de vues au point de vue éthique,
un rattachement d'ordre affectueux ou autre – impliquerait fatalement observation
de la restriction à la capacité d'essai, entrave à la saisie des occasions, exclusivisme
monopolisateur. Il ne peut venir à l'esprit d'un individualiste anarchiste,
femme ou homme, parce que, dans le ménage, il apporte tout ou partie des
ressources indispensables à son fonctionnement, de proposer un contrat restreignant
l'amplification individuelle, limitant le champ d'expériences de son ou de ses
coassociés. De tels contrats entre camarade ne peuvent se supposer. Même une
association de camaraderie amoureuse ne saurait interdire a ses membres (sauf lorsqu'il
y a à redouter l'intrusion d'éléments archistes, suspects, un danger d'indiscrétion
ou quelque péril pour l'ensemble) d'entretenir des relations affectives avec
des personnes n'appartenant pas à l'association dont ils font partie. On peut
comprendre et admettre qu'un des membres de l'association économique ou
idéologique veuille être monogame pour son propre compte, mais qu'il l'impose à
un ou plusieurs de ses coassociés, cela ne peut s'imaginer entre gens respectueux
de l'autonomie d'autrui. Parce qu'on fait « bouillir la marmite », tracer des
limites aux possibilités d'expansion de ses cohabitants, ce n'est pas compréhensible
de la part d'un anarchiste, c'est-à-dire d'un humain dont la préoccupation
principale est non la question économique, mais la délivrance de la tutelle
autoritaire. Tout au moins, quand il s'agit de ceux de « son monde », de ceux qui
parlent la même langue que lui.
– E. ARMAND.
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