" Il arrive qu’on s’entende poser d’étranges questions, celle-ci par exemple : « Quelles sont les tendances de la littérature actuelle ? » ou encore : « Où va la littérature ? » Oui, question étonnante, mais le plus étonnant, c’est que s’il y a une réponse, elle est facile : la littérature va vers elle-même, vers son essence qui est la disparition.
Ceux qui ont besoin d’affirmations aussi générales peuvent se tourner vers ce qu’on appelle l’histoire. Elle leur apprendra ce que signifie la célèbre parole de Hegel : « L’art est pour nous chose passée », parole prononcée audacieusement en face de Goethe, au moment de l’essor romantique et quand la musique, les arts plastiques, la poésie attendent des oeuvres considérables. Hegel qui inaugure son cours sur l’esthétique par cette lourde parole, sait cela. Il sait que les oeuvres ne manqueront pas à l’art, il admire celles de ses contemporains et parfois il les préfère (il les méconnaît aussi), et pourtant « l’art est pour nous chose passée ». L’art n’est plus capable de porter le besoin d’absolu. Ce qui compte absolument, c’est désormais l’accomplissement du monde, le sérieux de l’action et la tâche de la liberté réelle. L’art n’est proche de l’absolu qu’au passé, et c’est au Musée seul qu’il a encore valeur et puissance. Ou bien, disgrâce plus grave, il tombe en nous jusqu’à devenir simple plaisir esthétique ou auxiliaire de la culture.
Cela est bien connu. C’est un avenir déjà présent. Dans le monde de la technique, on peut continuer à louer les écrivains et à enrichir les peintres, on peut honorer les livres et étendre les bibliothèques ; on peut réserver à l’art une place parce qu’il est utile ou parce qu’il est inutile, le contraindre, le réduire ou le laisser libre. Le sort, dans ce cas favorable, est peut-être le plus défavorable. Apparemment, l’art n’est rien s’il n’est souverain. D’où la gêne de l’artiste d’être encore quelque chose dans un monde où il se voit pourtant injustifié".
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