"Cet après-midi, au moment de m'endormir. Comme si le solide couvercle qui enveloppe mon crâne indolore s'était enfoncé plus profondément à l'intérieur, laissant une partie du cerveau dehors, dans le libre jeu des lumières et des muscles".
"Se réveiller par un froid matin d'automne, dans une lumière jaunâtre. Passer à travers la fenêtre presque fermée et, alors qu'on est encore devant les vitres, avant de tomber, planer les bras étendus, le ventre bombé, les jambes repliées en arrière comme les figures de proue sur les vaisseaux de jadis".
"Avant de m'endormir.
Il semble que ce soit affreux d'être célibataire et, en vieillard gardant à grand peine sa dignité, de demander accueil aux autres quand on veut passer une soirée en compagnie, de porter soi-même son diner chez soi dans une main, de n'avoir personne à attendre en flânant avec une tranquille assurance, de ne pouvoir faire de cadeaux à quelqu'un qu'avec effort ou dépit, de dire au revoir devant la porte des maisons, de n'être jamais jamais à même de grimper les escaliers aux côtés de sa femme, d'être malade et de n'avoir pour consolation que ce qu'on aperçoit de la fenêtre si l'on peut s'assoir sur le lit, de n'avoir dans sa chambre que des portes de communication s'ouvrant sur les appartements des autres, de se sentir étranger aux membres de sa famille avec lesquels on ne peut conserver des liens que grâce au mariage, au mariage de vos propres parents d'abord, puis au vôtre quand l'effet de celui-ci commence à faiblir, d'être obligé d'admirer les enfants des autres sans avoir le droit de répéter sans cesse: je n'en ai pas, d'éprouver un sentiment immuable de son âge, parce qu'il n'y a pas de famille qui croisse en même temps que vous, de se composer une apparence et un maintien calqués sur un ou deux célibataires surgis de nos souvenirs de jeunesse. Tout cela est vrai, mais nous porte facilement à commettre l'erreur d'étaler si loin devant nous les souffrances futures, que le regard est obligé de les dépasser largement et ne revient pas en arrière, alors qu'en réalité on sera là, tant aujourd'hui que plus tard, avec un corps et une tête réelle, par conséquent aussi avec un front pour cogner dessus avec la main".
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