I.
DÉFINITION
DE LA MORALE.
On a donné de multiples
définitions de la morale. Voici l’une de ces définitions, que nous cueillons
dans « Les Annales de l’Enfance » (mars 1928) : « De même que la santé peut se
définir : l’adaptation parfaite de l’organisme au milieu dans lequel il vit (la
maladie étant la réaction de cet organisme aux modifications survenant dans ce
milieu, qu’il s’agisse de modifications physiques, traumatiques, toxiques ou
infectieuses), de même on peut définir la morale, l’adaptation de l’individu au
milieu familial, professionnel ou social dans lequel il devra vivre. Enfin au
stade supérieur auquel ne parvient que le sujet déjà éduqué, se situe le sens moral
envers soi-même, qui n’est, en dernière analyse, qu’une synthèse faite des éléments
précédents et dont le résultat sera encore une plus parfaite adaptation au milieu
». (Dr Robert Jeudon.) Cette définition n’est peut-être pas parfaite, mais elle
a au moins les mérites suivants : 1° elle tient compte de ce fait primordial :
la morale est un produit de la vie sociale ; 2° elle distingue sans les opposer
la morale individuelle et la morale collective ; 3° elle permet de comprendre
qu’il n’y a pas qu’une morale puisque les milieux sociaux diffèrent dans
l’espace et dans le temps.
II.
ON
PEUT MORALISER. LIBERTÉ, VOLONTÉ ET FORCE DES IDÉE
La variabilité de la
morale dans l’espace et son évolution dans le temps (examinées déjà dans les
études qui précèdent) sont des faits tellement indiscutables que nous n’en
reparlerions pas s’ils ne corroboraient pas cette vue de notre esprit : « La morale
de demain ne ressemblera pas entièrement à la morale d’aujourd’hui » et ne venaient
ainsi justifier notre position vis-à-vis de l’éducation morale. Mais la
moralité humaine ne changera-t-elle pas uniquement sous l’influence des transformations
des conditions naturelles et économiques ? S’il en était ainsi, il serait vain
de vouloir modifier la moralité humaine et bien inutile de remuer des idées
morales. Toute discussion sur la morale, tout effort moralisateur sont vains pour
qui n’admet pas que les idées sont aussi une force et qui ne croit pas que les individus
possèdent une certaine liberté, une certaine volonté et une certaine responsabilité.
Pouvons-nous modifier
la moralité humaine ? Certains se réclament du marxisme pour le nier. C’est
oublier que le « Manifeste communiste » est venu à un moment où régnait un
spiritualisme sociologique, où le sentimentalisme régnait en maître et où les
théoriciens socialistes faisaient appel aux bons sentiments de la bourgeoisie au
lieu de vivre plus intimement avec le prolétariat. Que Marx ait voulu réagir contre
une idéologie sentimentale ne fait nul doute et c’est une erreur de juger sa pensée
par quelques extraits de ses oeuvres sans tenir compte de toute son action politique,
de ses pamphlets et de ses circulaires. Comme nous avons montré par ailleurs
(voir : Éducation) que liberté et déterminisme ne se contredisent pas, nous
pouvons conclure : il nous est possible de contribuer à la modification de la
moralité des individus.
III.
CONNAISSANCE
DES RÉALITÉS. MARCHE DU PROGRÈS. EGOÏSME ET ALTRUISME.
Mais, pour agir
utilement, il faut savoir, et plus d’un utopiste pourra méditer utilement ces
paroles de Lévy-Bruhl : « Lorsque la connaissance des réalités psychologiques
et sociales est rudimentaire, l’imagination n’est pas retenue et il lui est
aisé de construire un ordre idéal qu’elle peut opposer à ce qui est ou lui
parait tre du désordre. Par contre, plus de connaissance nous évite de
considérer comme souhaitable ou obligatoire ce qui est impossible, de
poursuivre une chimère en croyant s’efforcer d’atteindre un idéal ».
Tout d’abord, il est
utile d’avoir quelques notions sur la marche du progrès. Le progrès paraît
consister en une différenciation et en une concentration de plus en plus
grande, ce qui, au point de vue des moeurs, se traduit par de plus en plus d’individualisme
et de plus en plus de solidarité. Suivant Kirckpatrick, écrit Rouma dans sa
Pédagogie sociologique, la sympathie réelle n’apparaît que lorsque l’enfant, non
seulement éprouve ce que les autres éprouvent, mais se représente consciemment
les autres comme ayant des sentiments identiques aux siens ; cette représentation
consciente apparaît au cours de la troisième année. « A cet âge, l’enfant
sympathise avec toute la nature. L’enfant augmentant en expérience, il arrive à
faire une distinction entre son propre moi et celui des autres, entre ses expériences
personnelles et celles d’autrui. La tendance individualiste reprend alors le
dessus et l’enfant apparaît comme profondément égoïste et indifférent aux sentiments
des autres. En réalité, il est complètement dominé par ses propres expériences,
par ses sensations présentes. Pour sympathiser avec la douleur de quelqu’un il
faut se retrouver en lui, il faut revivre des sensations éprouvées en ce moment
par lui. Il faut donc un fonds d’expérience et de douleur que l’enfant ne possède
pas, il faut également assez d’imagination productrice pour se représenter l’état
émotionnel éprouvé par la personne avec laquelle nous sympathisons... « ...II y
a lieu de distinguer entre deux groupes de manifestations altruistes. Les premières
sont le résultat d’une compréhension plus ample de la vie en société, elles constituent
une extension raisonnée et rationnelle de l’égoïsme ; elles demandent pour être
comprises et pratiquées une forte culture intellectuelle... Les secondes sont plus
spécialement d’ordre sentimental et émotionnel, elles sont par cela même moins
solides, moins durables, et dominées par l’impulsivité et la suggestibilité... L’enfant
est essentiellement égoïste et individualiste, et cet égoïsme ne doit pas effrayer,
car il constitue une phase importante du développement de l’enfant et une nécessité
biologique. »
Kirckpatrick affirme
également : « L’utilité de chaque individu dépend de ce qu’il est, des
connaissances et de la puissance (corporelle ou autre) qu’il possède et de l’usage
qu’il en fait. Il est donc nécessaire que la première loi de la vie soit un appel
à l’accroissement et au développement personnel ».
Tout comme l’enfant, le
primitif a une conscience confuse. « La conscience, dit Lévy-Bruhl, est
vraiment celle du groupe ; localisée et réalisée dans chacun des individus » ;
« il est permis de parler de conscience collective et de prendre le groupe pour
le véritable individu ». Selon le même auteur, « les individus ont dû prendre
une conscience d’eux-mêmes de plus en plus nette, bien que la «socialisation »
de chaque esprit n’ait fait que croître ».
En résumé : 1° au début
de l’enfance, comme au début de l’humanité, on ne trouve i égoïsme, ni
altruisme, mais un état d’amoralité qui se différencie, par la suite, en égoïsme
et en altruisme ; 2° la personnalité de l’individu est due à la vie en société et
c’est par les contacts, les heurts de son moi avec le moi d’autres individus
que chaque homme prend conscience de son moi et le développe, par suite
l’opposition de l’individu à la société ne se justifie pas et un idéal
anti-individualiste est aussi un idéal anti-social ; 3° la forme supérieure de
l’altruisme étant aussi la forme supérieure de l’égoïsme, l’égoïsme actuel ne
peut être considéré comme un excès du développement de l’individualité, mais
comme une insuffisance de ce même développement.
IV.
SCIENCE
ET RAISON.
La science des moeurs
est encore dans un état embryonnaire et s’appuie principalement sur deux
sciences presque aussi jeunes qu’elle, en tant que sciences :la psychologie et
la sociologie. De plus, même si ces sciences étaient parfaites elles ne
pourraient nous imposer un idéal moral incontestable.
« Si, disait Henri
Poincaré, en 1910, les prémisses d’un syllogisme sont toutes deux à
l’indicatif, la conclusion sera également à l’indicatif. Pour que la conclusion
pût être mise à l’impératif, il faudrait que l’une des prémisses au moins fût
elle-même à l’impératif. Or les principes de la science, les postulats de la
géométrie sont et ne peuvent être qu’à l’indicatif ; c’est encore à ce même
mode que sont les vérités expérimentales, et à la base des sciences, il n’y a,
il ne peut y avoir autre chose. » «Le moteur moral, disait-il encore, ce ne
peut-être qu’un sentiment. »
Mais dans la même
conférence, H. Poincaré montrait que la science peut cependant jouer un rôle
utile à la morale, ainsi que le montrent les deux exemples suivants : «Les psychologues
nous expliqueront pourquoi les prescriptions de la morale ne sont pas toujours
d’accord avec l’intérêt général. Ils nous diront que l’homme, entraîné par le
tourbillon de la vie, n’a pas le temps de réfléchir à toutes les conséquences
de ses actes ; qu’il ne peut obéir qu’à des préceptes généraux ; que ceux-ci
seront d’autant moins discutés qu’ils seront plus simples et qu’il suffit, pour
que leur rôle soit utile et pour que, par conséquent, la sélection puisse les
créer, qu’ils s’accordent le plus souvent avec l’intérêt général. »
« Les historiens nous
expliqueront comment des deux morales, celle qui subordonne l’individu à la
société, et celle qui a pitié de l’individu et nous propose pour but le bonheur
d’autrui, c’est la seconde qui fait d’incessants progrès, à mesure que les sociétés
deviennent plus vastes, plus complexes, et, tout compte fait, moins exposées
aux catastrophes. »
A côté de la science,
ou plus exactement des sciences, la réflexion philosophique a été utile au
progrès moral. « La pratique morale, dit Lévy-Bruhl, enveloppe toujours des
contradictions latentes, qui se font sentir peu à peu, sourdement, et qui se
manifestent enfin, non seulement par des luttes dans le domaine des intérêts, mais
par des conflits dans la région des idées. L’effort conscient pour résoudre ces
contradictions n’a pas peu contribué au progrès moral. »
En résumé : ni la
science, ni la raison ne peuvent nous fournir des lois morales impératives et
cependant l’une et l’autre pourront nous aider dans la détermination de notre
idéal moral.
V. MORALE ET
SATISFACTION DES BESOINS.
Pratiquement, malgré
toutes les discussions théoriques, il est des fins morales tellement
universelles et instinctives qu’il n’est guère besoin de la science ou de la raison
pour les fixer. I1 est même une fin générale que l’on retrouve au fond de toutes
les morales et qui est imposée aux individus par les nécessités biologiques et sociales.
On peut ainsi, en un certain sens, parler de la fixité de la morale : les buts particuliers
et les moyens varient dans l’espace et dans le temps, mais la fin générale
demeure.
Cette fin n’est-elle
point - ainsi que le prétendent certains moralistes - le bonheur ? Evidemment
les hommes recherchent leur bonheur, mais ceux qui le cherchent le plus consciemment
ne l’atteignent pas toujours le plus sûrement. En réalité, on obtient le
bonheur quand on atteint un but poursuivi : le bonheur est un produit surajouté
de notre activité, le but réel est toujours la satisfaction d’un besoin, d’une
tendance. C’est donc la satisfaction des besoins qui formera la base de notre
morale.
Sans doute le principe
de la satisfaction des besoins est moins généralement apparu dans la
littérature morale que le principe de l’utilité. Les religions ont même d’ordinaire
posé à la base de leur morale l’utilité et la non-satisfaction des besoins. Mais
nous ne nous inquiétons pas d’une utilité future en vue d’un paradis céleste auquel
nous ne croyons plus et si les lois religieuses ont prêché, pour les pauvres et
les esclaves, la non-satisfaction des besoins et des tendances, il n’empêche
que, dans la pratique humaine, toujours et toujours, les hommes se sont
efforcés de satisfaire leurs besoins et leurs tendances et que les sociétés
humaines n’ont progressé que dans la mesure où elles n’ont pas tenu compte de
cette loi religieuse soi-disant morale et soi-disant divine.
A chaque instant le
prêtre catholique se dresse devant nous et prêche son idéal : supprimer des
besoins ou ne les satisfaire que maigrement. Supprimer les besoins, mutiler
l’être, tel ne saurait être notre but ; nous voulons, au contraire, que la vie soit
vécue pleinement et nous croyons que nous devons satisfaire nos besoins dans la
mesure où cette satisfaction, n’est pas contraire à notre idéal égalitaire
nécessaire à l’harmonie sociale. Notre idéal est un idéal d’harmonie : harmonie
dans l’individu, par la satisfaction des besoins utiles de cet individu ;
harmonie sociale, par la satisfaction des besoins utiles de tous les individus.
V.
MORALE
ET CRÉATION DE BESOINS NOUVEAUX.
Tenant compte de la loi
de différenciation du progrès, nous croyons même que nous devons nous créer des
besoins nouveaux et plus particulièrement des besoins intellectuels. Se créer
des besoins nouveaux peut paraître un idéal peu enviable, si l’on songe à certains
besoins que les individus se sont précédemment créés : au besoin de l’alcoolique,
par exemple. Mais lorsque l’on veut juger de l’utilité ou non de la création de
nouveaux besoins, il est peu logique de ne tenir compte que de quelques
besoins artificiels et
anormaux qui, la plupart du temps, n’ont pris naissance que parce que les
individus ont cherché un dérivatif à la non satisfaction de besoins utiles. Constatons
que, conformément à la loi du progrès, le nombre des besoins des individus n’a cessé
de croître et qu’en définitive il est né plus de besoins utiles que de besoins
inutiles.
VII. DOUBLE ROLE DES
ÉDUCATEURS : BUTS ET MOYENS.
Le rôle des éducateurs,
parents ou pédagogues professionnels, est double : d’une part, convaincus de la
possibilité d’une action moralisatrice efficace, ils doivent fixer les buts de
cette action, c’est-à-dire s’efforcer de déterminer pour eux un idéal moral qui
ne soit pas chimérique et qui n’aille pas à rencontre du progrès ; d’autre part,
il leur faut rechercher et employer les moyens qui conviennent aux buts poursuivis.
Nous avons consacré quelques pages à la première partie de ce rôle et nos
lecteurs pourront s’aider également des diverses études consacrées ici à la morale.
Il nous reste à parler des moyens.
VIII POURQUOI
L’ÉDUCATION MORALE EST NÉGLIGÉE.
CONNAISSANCE DE
L’ENFANT.
Pour exercer une action
moralisatrice efficace, il faut d’abord le vouloir et le bien vouloir. Or, on
ne le veut pas, ou on le veut mal, lorsqu’on sacrifie l’éducation morale à l’instruction.
Cette négligence de l’éducation morale est générale et tient à des causes
diverses.
En premier lieu, pour
moraliser autrui, il faut se moraliser soi-même. Il le faut, si nous voulons
prêcher d’exemple et vaincre, notre propre égoïsme, qui est peut-être le plus
important obstacle qui se présente à nous. N’est-il point égoïste celui qui néglige
de consacrer quelque temps à l’étude des questions éducatives ? Egoïste encore
celui qui laisse ses enfants agir à leur fantaisie pour être tranquille. Egoïste
aussi le père despote pour qui ordres, défenses, punitions sont des moyens commodes
de gouvernement familial. En second lieu, l’éducation morale est négligée,
parce qu’on ne sait pas. « Ne confondons pas, écrit Binet, les méthodes de
l’éducation avec le but de l’éducation. Le but est de faire des hommes libres,
mais la méthode ne peut pas consister à traiter un enfant en homme libre, ni a
faire appel à sa raison, quand il est encore à un âge où il n’a pas de raison.
» « On peut, écrit Benoit Bouché, enseigner avec de réels résultats sans
connaître l’âme de son élève, on ne peut éduquer dans la même ignorance. »
Ce dernier pédagogue
écrit encore ; « les enfants et les adolescents de même âge ont des caractères
généraux ou communs et des caractères individuels. » Tous les enfants normaux
de six ans, de huit ans, de dix ans, de douze ans, de quinze ans, sont aux
mêmes stades successifs du développement et les lois de cet accroissement
physique, mental, affectif, jouent pour tous les individus. Mais tous les enfants
normaux considérés ont en propre des hérédités congénitales et des hérédités
acquises ou éducations différentes d’un sujet à l’autre. Il en résulte que cette
double évolution vitale de l’enfant, des enfants, l’une spécifique et l’autre individuelle,
est une indication de première importance pour l’éducateur. Celui-ci doit avoir
égard pour chaque enfant à cette double évolution spécifique et individuelle
qui fait que chaque enfant ressemble à tout autre et en diffère. » Pour faire
l’éducation morale des enfants, il faut donc apprendre à connaître l’enfant, en
général, et on y parviendra surtout par l’étude, puis apprendre à connaître chaque enfant par une observation
attentive et sympathique. Nos lecteurs voudront bien se reporter au mot «
Enfant » pour l’étude de l’enfant normal moyen, aux divers stades de son
développement. A ce mot (comme aussi à : Éducation, Liberté, École,
Coéducation, etc...) ; ils trouveront déjà de nombreuses indications relatives
à l’Éducation morale qui nous permettront d’abréger les conseils que nous voulons
leur donner maintenant.
IX. EXTENSION DU BESOIN
D’ATTACHEMENT.
S’il ne faut pas
confondre le but de l’éducation morale et les moyens éducatifs, il ne faut pas
non plus perdre de vue ce but au commencement de l’oeuvre éducative. Rappelez-vous
qu’il s’agit tout à la fois de développer chez l’enfant l’aptitude à la vie en
société et la personnalité. « Le grand précepte, qu’il ne faut jamais perdre de
vue jusqu’aux environs de la septième année, écrivait A. Baumann, peut se
formuler ainsi : fortifier assez la nature morale de l’enfant pour que, chez
lui, le besoin d’attachement se sépare de l’instinct conservateur et s’étende à
d’autres êtres que la mère, celle-ci demeurant tout de même le point central de
son affection.
De là, dans la
pratique, une double tâche. D’abord il faut habituer le tout petit à supporter
l’éloignement de la mère. Elle se mettra loin de lui en restant visible. Puis elle
deviendra invisible, mais fera entendre sa voix. Finalement, elle s’absentera pour
une durée progressivement accrue, et l’enfant devra en arriver à se sentir
relié moralement à elle, même pendant une absence prolongée. Le point délicat
consiste à mesurer ce que les forces de l’enfant lui permettent de supporter en
fait de séparation. Le danger serait que l’instinct conservateur ne s’affolât
chez lui... D’un autre côté, l’affection maternelle, par sa, vivacité, éveille
toujours un mouvement éciproque chez le petit et, si cette réciprocité venait à
manquer trop, l’enfant ne sortirait pas assez vite de la pure animalité... La
deuxième partie de la tâche... consiste à étendre l’attachement à d’autres
êtres que la mère... Comme l’habitude de supporter l’absence de la mère, celle
de se trouver en compagnie de gens autres que celle-ci ne s’acquiert que par
étapes successives. Les divers membres de la famille, les amis, les voisins se
trouvent naturellement désignés pour cet apprentissage. Mais une condition
indispensable est à observer. Pour que l’instinct conservateur ne s’alarme
point, il faut, surtout au début, surtout si l’enfant s’annonce craintif, le
rassurer par beaucoup de douceur dans l’attitude et le ton de voix. »
II faut que, peu à peu,
l’enfant s’habitue à la société de ses égaux (ses petits camarades), des
grandes personnes qui doivent « se faire elles-mêmes un peu enfants » et des
animaux. « Tous ceux qui ont observé de jeunes enfants savent que ceux-ci
prêtent aux animaux une âme semblable à la leur, qu’ils leur adressent des discours
remplis de conviction, et que ces mouvements de sympathie se trouvent souvent
payés de retour. Pareils jeux me semblent très favorables à cette extériorisation
de la personnalité, où je vois le premier résultat qu’il faille se proposer
d’atteindre. Mais on fera en sorte que l’enfant se comporte avec douceur...»
X. IL FAUT CRÉER DES
HABITUDES MORALES. AUTORITÉ ET EXEMPLE. QUELQUES CONSEILS.
La culture et
l’extension du besoin d’attachement n’est pas seulement la première préparation
de l’enfant à la vie sociale, elle est encore un moyen d’agir sur l’enfant avec
un minimum de contrainte. L’enfant n’est pas un être totalement mauvais qu’il
faut corriger mais sa nature n’est pas non plus foncièrement bonne et il ne
faut pas trop s’en rapporter à la vie et aux sanctions naturelles - souvent
dangereuses - pour sa formation morale. Il y a, en tout enfant, des tendances
naturelles qui sont mauvaises, au moins sous la forme où elles se présentent,
il faut modifier ces tendances si l’on veut obtenir quelques changements dans
la manière d’agir de l’enfant.
« L’éducation morale,
dit Binet, ne consiste pas seulement à suggérer des idées justes, larges et
humaines ; elle ne consiste pas seulement à faire naître, au moyen de paroles
appropriées, des sentiments louables. Ni les idées, ni les sentiments ne suffisent
; il faut encore que l’action s’ensuive. Un être bien éduqué moralement est celui
qui agit d’une manière morale... L’action isolée ne suffit pas... Il faut que l’action
se répète qu’elle s’organise, qu’elle devienne une manière d’agir qui n’exige
point d’effort, qui se fait naturellement. Le résultat n’est pas atteint tant qu’on
n’a pas créé une habitude. » (LesIdées Modernes sur les Enfants, pp. 309- 310.)
L’emploi des idées,
l’utilisation de la sensibilité enfantine, sont sans doute des moyens de
parvenir à ce résultat, mais ils ne conviennent pas avec des jeunes enfants : «
l’enfant, avant sept ans, écrit M. Prevost, ne saurait discuter, ni comprendre
ces mystérieuses règles morales qui déroutent parfois la réflexion des adultes
eux-mêmes».
L’enseignement moral
aux petits enfants n’a que deux procédés efficaces : L’un est l’affirmation.
L’autre est l’exemple. ... L’enfant s’accroche volontiers à une main solide ;
il se laisse emporter joyeusement dans des bras fermes. Mais il se méfie des
mains qui tremblent ; il pleure quand des bras débiles veulent le lever de
terre. L’enfant respecte et chérit la force physique, dès qu’il sait que cette
force est coalisée avec sa propre faiblesse. Pareillement, dans le domaine moral,
l’enfant apprécie la netteté, la fermeté, la décision, la force de ceux qui le gouvernent.
Son instinct lui révèle qu’avec de tels gouverneurs, il a plus de sécurité...
... Les deux préceptes
essentiels qui contiennent toute la morale enfantine, c’est : 1°« Il faut obéir
» ; 2° « II ne faut fias mentir. »
... Ces deux préceptes
contiennent bien toute la morale enfantine, car ils sont la condition
essentielle de l’éducation, c’est-à-dire du perfectionnement moral de l’enfant.
Si l’enfant désobéit ou s’il ment, vos moyens d’agir sur lui seront paralysés...
... L’exemple. Ce
second agent de l’éducation morale des enfants... est assurément le plus
énergique. Seulement, la paresse éducatrice de bien des parents, une paresse qui
mérite ici le nom de lâcheté, en rend l’usage moins commun. Trop souvent même
l’exemple contredit l’affirmation. » (Lettres à Françoise, maman.) Tout ce que
nous venons d’extraire des « Lettres à Françoise maman » nous paraît fort
juste, mais nous n’en saurions dire autant des moyens employés par le même auteur
pour combattre la désobéissance et le mensonge. Plus utiles aux parents éducateurs
seraient les conseils de D. C. Fisher (Les enfants et les mères), et ceux que
nous avons trouvés dans une brochure publiée par le Comité national suisse d’hygiène
mentale : « Comment l’enfant prend ses habitude »
« Les habitudes, chez
l’enfant, y écrit-on, dépendent beaucoup des influences que le milieu ou les
circonstances ont sur son esprit. En effet, sa mentalité est extrêmement
formable plastique et prompte à accepter des suggestions ainsi qu’à imiter ce
qu’il voit et entend. C’est pourquoi l’enfance est le meilleur moment pour tacher
d’établir les habitudes désirables et changer ou éliminer les tendances qui, dans
la vie ultérieure, pourraient se révéler désavantageuses. La plasticité de l’esprit
humain diminuant rapidement avec les années, c’est donc dans l’enfance qu’il
faut prévenir l’éclosion des mauvaises habitudes. »
De cette brochure,
extrêmement riche en conseils, nous allons extraire presque tout ce qui a trait
à l’obéissance, non seulement parce que le problème de l’obéissance est l’un
des plus importants qui se posent à qui veut faire l’éducation des jeunes enfants,
mais encore parce que nos lecteurs anarchistes risquent de confondre la liberté
et le développement de la personnalité, qui sont des buts, avec les moyens éducatifs
appropriés, puis, à la suite d’un échec, de revenir à des moyens de pure contrainte
également mauvais.
« I. - Vous employez
peut-être une mauvaise méthode pour vous faire obéir.
— 1° Observez-vous si
l’enfant fait attention à ce que vous dites quand vous lui donnez un ordre ? Un
enfant occupé à jouer peut parfaitement ignorer que vous lui parlez.
2° Lui donnez-vous des
ordres sans avoir l’intention ferme de les faire exécuter ? L’enfant s’en
aperçoit bien vite et ne se donne plus la peine de les écouter.
3° Lui permettez-vous
aujourd’hui une chose pour laquelle vous le punirez demain ? Si l’enfant ne
sait pas exactement et toujours ce qu’il doit faire, il sera fortement tenté
d’essayer la chose défendue.
4° Promettez-vous à
l’enfant des récompenses pour le faire obéir ? Si vous avez cette habitude,
c’est une bonne affaire pour lui que de ne pas obéir et de se faire payer
toujours plus cher son obéissance.
5° Essayez-vous
d’effrayer l’enfant pour lui faire exécuter ce que vous commandez ? Au début il
est possible que la peur le fasse obéir vivement, mais, ou bien il s’habituera,
assez vite à l’objet de sa peur et n’y fera plus attention ou bien il deviendra
un enfant timide et nerveux.
6° Rendez-vous la désobéissance
intéressante par l’excitation des conséquences éventuelles que vous évoquez ?
Les enfants désobéissent quelquefois « pour voir » ce qui adviendra.
7° Donnez-vous des
ordres auxquels la nature même de l’enfant l’empêche d’obéir. Grondez-vous, par
exemple, constamment l’enfant qui se trouve à l’âge où l’on a un besoin absolu de
mouvement ? A chaque instant, vous criez : « Tiens-toi donc tranquille » ; « Ne
fais pas de bruit » ; « As-tu fini », etc., etc. Sachez que son système nerveux
a autant besoin d’activité que son corps a besoin de nourriture. Vous feriez
mieux de lui donner l’occasion de jouer ou d’être utilement actif. »
II. Vous êtes-vous
demandé ce qu’il faut faire pour mériter l’honneur que vous fait un petit
enfant en vous obéissant ou. en ayant confiance en vous ?
— 1° Tenez-vous
toujours vos promesses ? Pourquoi l’enfant aurait-il confiance en quelqu’un qui
le trompe ? Et quand la confiance s’en va, l’obéissance s’en va également. Si
l’enfant continue parfois à obéir, c’est parce que vous êtes plus grand et plus
fort que lui.
2° Prenez-vous garde de
ne pas favoriser l’un ou l’autre de vos enfants, de ne demander à chacun d’eux
que ce que ses capacités lui permettent de faire et de donner à chacun suivant
ses besoins particuliers ?
3. Vous gardez-vous de
donner des ordres et de punir dans la colère ? La colère est contagieuse : si
vous êtes furieux, il y a des chances pour que l’enfant le devienne ou soit
terrorisé et fasse alors des choses qu’il ne ferait pas de sang-froid.
4° Donnez-vous
quelquefois des ordres inutiles, simplement pour montrer votre autorité ? Un
enfant sait très bien quand on abuse de l’autorité contre lui et se révolte. 5°
Vous donnez-vous la peine de considérer les motifs des actions de l’enfant ou
le punissez-vous simplement parce que son acte a des conséquences fâcheuses ?
Exemple : Un enfant qui a fait une maladresse ou casse quelque chose en
essayant de rendre service n’est pas méchant pour autant. 6° Exposez-vous
l’enfant à des tentations auxquelles il peut difficilement résister à son âge ?
Et si vous le punissez trop sévèrement, ne sera-t-il pas tenté de mentir pour
échapper à la punition ? Si vous
laissez traîner des
choses dont vous savez qu’il a envie, n’est-ce pas être un peu trop exigeant
que de s’attendre à ce qu’il ne les prenne pas ? Les parents doivent aider
l’enfant à bien agir et non lui rendre facile de mal faire.
III. Vous êtes-vous
demandé POURQUOI les enfants doivent obéir à leurs parents ?
— Il y a des parents
qui obéissent à leurs enfants. Aussi ces enfants sont-ils habitués à penser que
la vie leur donnera tout ce qu’ils demanderont. Et quand ils apprennent, à
leurs dépens, que ce n’est pas le cas, cela leur est très dur... Il y a aussi
des enfants qui obéissent trop bien. On ne leur permet ni de penser ni d’agir pour
leur propre compte. Adultes, ils sont des hommes, des femmes incapables de se
diriger eux-mêmes et ayant besoin toujours de quelqu’un qui leur dise ce qu’ils
ont à faire. »
Les autres conseils de
cette brochure ne sont pas moins précieux, mais, pour ne pas allonger
démesurément notre étude, nous nous contenterons de glaner ceux qui nous
paraîtront les plus
utiles.
« Comment faut-il
traiter les crises de colère chez l’enfant ? Le traitement doit être adapté à
chaque enfant (chaque enfant est différent d’un autre). Il faut donc tenir compte
de la cause des crises de colère. Si les crises sont causées par l’habitude qu’a
l’enfant d’imposer sa volonté, cessez de la lui accomplir. Si c’est pour
attirer l’attention sur lui, ne faites plus attention à ses crises. Par contre,
essayez peut-être de faire attention à lui quand il fait quelque chose de bien.
S’il a ses crises pour obtenir un avantage, cessez de lui accorder ces
avantages. Si les crises sont dues à des causes physiques, comme manque de
sommeil, manque d’exercice, efforcez vous de faire cesser ces causes. Si la
cause est en vous-même il vous faudra évidemment du courage pour renoncer à vos
propres mauvaises habitudes... Tâchez de contrôler vos colères et vos
habitudes... »
« Comment pouvez-vous
favoriser le développement intellectuel de vos enfants ?
1°Leur donnez-vous
l’occasion de jouer avec des camarades de leur âge ?... Quant un enfant vit
trop exclusivement avec des adultes qui le cajolent, il ne trouve pas dans cette
société la stimulation dont il a besoin. Si ces adultes sont au contraire
stricts et sévères, il prendra l’habitude d’une trop grande dépendance. S’il ne
joue et ne se plaît qu’avec des enfants plus jeunes que lui, il n’aura pas
assez de peine à se donner pour jouer un rôle important ;
2° Essayez-vous
d’encourager leur sens d’initiative et de responsabilité ? On ne naît pas avec
un sens de responsabilité. Donnez-leur l’habitude de tâches qui exigent du
jugement et laissez-leur trouver tout seuls les moyens de s’en tirer. » « Il
faut aider l’enfant jaloux à surmonter la jalousie qui est une forme
particulière d’égoïsme.
1° Apprenez-vous aux
enfants à prêter leurs jouets et à respecter les droits des autres enfants ?
2° Les encouragez-vous
à aimer et protéger leurs petits frères et soeurs ?
3° Ou bien, au
contraire, trouvez-vous amusant qu’un enfant soit jaloux de son cadet.
Essayez-vous de l’exciter à ce propos, de le mettre en colère ou de le faire
pleurer en cajolant l’autre devant lui ?
4° Vous pouvez aussi stimuler
la jalousie en vantant d’autres enfants devant les vôtres et en les citant
constamment comme modèles, surtout si vos enfants ont déjà tendance à être
jaloux.
5° Avez-vous des
favoris et vous montrez-vous partial ? » Voici quelques conseils donnés aux
parents pour leur permettre « d’éviter les fautes les plus fréquentes :
1° Vous faites-vous des
soucis exagérés à propos de la santé de vos enfants ?...
2° Dorlottez-vous
excessivement vos enfants ?...
3° Vous empressez-vous
de satisfaire les désirs de vos enfants tout simplement parce qu’ils veulent
qu’il en soit ainsi ?...
4° Croyez-vous qu’on
peut dire n’importe quoi aux enfants, leur raconter des mensonges, leur faire
des menaces illusoires pour les amener à faire ce qu’ils doivent ? Mentir aux
enfants est une chose très sérieuse. Il ne faudra pas vous étonner plus tard
s’ils perdent leur confiance en vous ou s’ils mentent eux-mêmes.
5° Enlevez-vous toute
initiative à vos enfants ? Comment voulez-vous alors que leur volonté se
développe ? Comment apprendront-ils à décider les choses par eux-mêmes quand
ils seront grands ?
6° Mettez-vous constamment
des freins à l’activité de l’enfant ? Un enfant qui est arrêté à chaque instant
par des observations, des ordres, des défenses, est un peu dans la situation d’un
individu auquel on a lié les mains. Ce n’est pas en s’attachant les mains qu’on
apprend à s’en servir.
7° Etes-vous trop
ambitieux pour vos enfants ?...
8° Etes vous trop
raides, sévères, grondeurs avec vos enfants ? Repoussez-vous leurs confidences
en leur disant de ne pas vous ennuyer avec leurs bêtises ? Et pourtant, leur
esprit leur sentiment désirent que vous, parents, soyez un peu leurs camarades.
Ils voudraient un papa qui soit aussi leur ami et une maman qui comprenne
tout..» Voici trois choses importantes à retenir :
1° Gardez votre
sang-froid.
2° Le bon sens et la
bonté sont les meilleurs facteurs de l’éducation.
3° Apprenez tous les
jours davantage à être de bons parents. Ne pensez pas que vous savez tout ce
qu’il faut pour cela : il y a toujours quelque chose à apprendre. Si l’on vous
révèle une vérité un peu dure pour vous, parce qu’elle vous montre vos fautes
d’éducation, ne permettez pas à votre vanité offensée de vous empêcher de
devenir de meilleurs parents. »
Les auteurs, après
avoir parlé de certaines anomalies de conduite, terminent ainsi leurs conseils
: « Dans tous ces cas, faites de votre mieux pour comprendre l’enfant et gagner
sa confiance absolue. Vous pourrez alors, en suivant les principes que nous
avons donnés, entreprendre de réformer ses mauvaises habitudes. Mais, si vous e
réussissez pas ou ne savez pas comment vous y prendre, ne vous obstinez pas, par
fausse honte, à garder votre souci pour vous seuls. Consultez quelqu’un qui puisse
vous aider ! »
Ainsi dans leurs «
conclusions », les auteurs de cette brochure ne manquent pas d’insister sur la
nécessité de « comprendre l’enfant », c’est-à-dire de rechercher quelles sont
les tendances qui provoquent sa manière d’agir - et de « gagner sa confiance
absolue », - ce qui est tout à la fois un moyen de le mieux connaître et un moyen
de l’améliorer moralement sans entrer en lutte avec sa propre volonté.
« On n’éprouvera pas de
bien grandes difficultés », dit Baumann, à corriger l’enfant de ses petits
défauts, « si on a pris le soin préalable de développer l’attachement pour la
mère et le milieu familial. Ce penchant va de pair avec cette inclination égoïste
qu’on nomme la vanité et qui nous fait rechercher l’approbation de ceux dont la
société nous agrée. Un enfant sérieusement attaché à ses parents tiendra beaucoup
à leur approbation. Il suffira parfois de froncer les sourcils pour le faire changer
d’attitude ; comme il suffira de l’inviter à « faire plaisir » pour qu’il obéisse...
Mais il faut bien se mettre ceci en tête : tous ces moyens et tous les moyens
similaires n’aboutiront que dans la mesure où on aura donné au besoin d’attachement
une intensité faute de laquelle les plus habiles resteraient sans prise sur les
jeunes natures ».
« L’acquisition de
bonnes habitudes constitue, dit Claparède, la part peut-être la plus importante
de l’éducation morale », mais, ajoute le psychologue, elle pose un problème
délicat : « Ne risque-t-on pas, en pliant l’enfant à certaines habitudes, de porter
atteinte à l’indépendance et à l’originalité de son caractère ? « La seule habitude
qu’on doit laisser prendre à l’enfant, disait Rousseau, est de n’en contracter
aucune. » L’auteur d’Émile voulait que l’enfant restât toujours « maître de
lui-même » et qu’on ne portât pas atteinte à ses dispositions naturelles en
leur substituant cette « seconde nature » qu’est l’habitude. Le problème
revient donc à ceci : les habitudes doivent être pour nous des auxiliaires, non
une chaîne. Elles doivent s’harmoniser avec le caractère, non en entraver la libre
expression. Elles doivent faciliter le jeu de la volonté et non le détruire.
Elles doivent rendre plus aisée l’adaptation aux événements habituels, sans
empêcher l’adaptation aux circonstances nouvelles et se transformer en routine.
»
Concluons. L’un des
buts de l’éducation, le plus important jusque vers sept ou huit ans, est la
formation de bonnes habitudes. Cette formation doit être réalisée en tenant
compte des tendances de chaque individu. Il s’agit, tout en respectant la personnalité
de chacun, de préparer les individus a des comportements variés, mais cependant
tous compatibles avec une vie aussi harmonieuse que possible.
XI. FACTEURS DU
COMPORTEMENT. ÉTAT PHYSIOLOGIQUE. FACTEUR AFFECTIF : BESOINS, TENDANCES.
Les conclusions qui
précèdent nous amènent à nous demander quels sont les facteurs du comportement
d’un individu adulte. Remarquons que le comportement n’est autre chose que la
réaction de l’individu à des excitations externes ou internes. Ces excitations
peuvent être physiques, sociales et personnelles. Les instituteurs peuvent
constater que leurs élèves sont plus irritables, plus turbulents lorsqu’il fait
grand vent ou quand le temps est orageux ; qu’ils sont plus nonchalants lorsque
la température est chaude et lourde. « Une névralgie, un rhumatisme, un trouble
intestinal transforment la gaieté en mélancolie, la bonté en méchanceté, la
volonté en nonchalance. » La joie ou la tristesse peuvent résulter du plus ou
moins d’activité sanguine, la colère d’un certain état nerveux, la peur d’un état
de débilité fonctionnelle, etc. L’air que nous respirons, nos aliments agissent
aussi sur notre comportement. L’influence du milieu social : « Dis-moi qui tu
hantes, je te dirai qui tu es », est également indéniable. Enfin, comme nous
l’avons montré au mot « liberté », l’individu adulte est capable de se
déterminer lui-même en une certaine mesure. Mais le comportement de l’enfant
est déterminé par l’hérédité et le milieu. Dans notre pensée nous ne devons
donc pas considérer l’enfant comme responsable de ce comportement. Cependant,
dans nos rapports avec lui il en va tout autrement, car il importe de cultiver
en lui le sentiment de la responsabilité qui est, lui aussi, une cause
déterminante de la conduite. Traitons les enfants comme des êtres responsables
de leurs actes, puisque c’est utile à leur formation morale, mais faisons-le
avec mesure et indulgence en nous disant bien, s’il nous faut réprimander ou
punir, que les réprimandes et les punitions ne doivent pas être des châtiments,
mais des moyens de perfectionnement moral.
Le comportement de
l’enfant dépendant dans une large mesure de son état physiologique (état
musculaire, nerveux, fonctions organiques, système endocrinosympathique,
etc.), rappelons-nous
aussi la vieille maxime : Mens sana in corpore sano (une âme saine dans un
corps sain) Pour corriger ce que nous appelons les défauts de nos enfants, pour
leur faire acquérir de bonnes habitudes il est toujours utile et souvent
indispensable d’agir sur leur corps. On moralise par l’hygiène et aussi par la
médecine. « Chez la plupart des humains, écrit le docteur Decroly, le moteur
par excellence de tout l’appareil nerveux supérieur est le facteur affectif, la
sensibilité comme on dit encore, c’est-à-dire l’ensemble des inclinations,
tendances, appétits, besoins, sentiments, dont l’action est variable d’individu
à individu et chez le même individu d’un moment à l’autre. Lorsque M. Coué, de
Nancy (dont la méthode dite de suggestion par auto-suggestion consciente fait
en ce moment le tour de l’Europe occidentale), dit que la volonté n’est pas le
moteur de nos actes, mais attribue ce rôle à l’imagination, il entend par
imagination ce que le vulgaire exprime le plus souvent par là, c’est-à-dire
l’activité mentale inconsciente ; or, cette activité inconsciente est orientée,
gouvernée par les désirs, les aspirations, la foi, l’idéal, c’est-à-dire par le
côté affectif de l’être. » Ajoutons, avec Vermeylen, - et ceci nous ramène à ce
que nous avons dit du comportement et de l’état physiologique - que : « La vie
affective élémentaire plonge ses racines dans la vie organique dont elle n’est
au début qu’une sorte de transcription psychique. » « A chaque fonction
organique correspond une tendance particulière : à la nutrition la faim, à la
vision le besoin de voir, à la locomotion le besoin d’exercice et chacune de
ces tendances se manifeste lorsque la fonction ne s’exerce pas régulièrement ou
lorsqu’elle s’exerce insuffisamment... » (Traité de Psychologie, de Dumas, p.
431.)
Lorsque les tendances
répondent à des fonctions organiques qui demandent à être satisfaites d’une façon pressante on leur
donne le nom de besoins : besoin de chaleur, besoin de nourriture, besoin
d’oxygène, besoin de repos, besoin de mouvement, etc. Si les tendances
répondent à des fonctions psychiques complexes, elles admettent généralement un
assez long retard dans leur satisfaction ou peuvent même être abandonnées et on
leur donne le nom d’inclinations. « Entre les besoins et les inclinations,
écrit Vermeylen il y a place pour toutes les tendances qui viennent se greffer
sur les fonctions les plus diverses. » On reserve donc d’ordinaire le nom de
tendances à celles qui sont intermédiaires entre les besoins et les
inclinations, ces trois mots expriment donc surtout une différence de degré.
Or, il y a chez tout
individu des tendances favorables et d’autres tendances qui ne le sont pas, non
seulement pour la société, mais aussi pour l’individu lui-même, par exemple la
colère, la peur, etc., et ceci nous explique que le docteur Decroly nous dise
que le but de l’éducation est surtout « de créer de bonnes habitudes,
c’est-àdire de renforcer des dispositions affectives innées quand celles-ci
sont favorables, et d’aider au développement de dispositions affectives
acquises pour combattre celles qui sont défavorables. »
Résumons-nous à nouveau
:
1° Pour moraliser un
enfant il faut surtout lui faire acquérir de bonnes habitudes ;
2° pour faire acquérir
de bonnes habitudes à cet enfant, il faut favoriser le développement harmonieux
de ses tendances utiles et combattre ses tendances nuisibles.
Ceci nous pose de
nouveaux problèmes : Peut-on, vraiment, combattre une tendance
? N’y a-t-il pas danger
à le faire ? « Spontanée ou dirigée, écrit Piéron, l’éducation en vient ainsi à
réprimer certaines tendances naturelles. Il se produit, dès lors, des conflits
entre des instincts, particulièrement l’instinct sexuel ou l’instinct de
conservation et de défense, et des tendances acquises, imposant le respect de
la pudeur. L’inhibition incomplète, le « refoulement » des instincts peut, dans
des organismes mal équilibrés, orienter des désordres mentaux, des
obsessions... » Piéron : (Psychologie expérimentale.) « Les psychanalystes
constatent que les instincts refoulés ne sont pas tués, mais continuent dans le
subconscient une vie souterraine, cause directe de troubles, de névroses et de
psychoses de toute espèce. » Ferrière (Le Progrès spirituel.) « Mais
l’influence éducative, qui ne peut vraiment créer des sources d’énergie, et qui,
en réalité utilise, en les dirigeant, en les dérivant, les forces profondes des
instincts, ne combat réellement certaines tendances innées qu’en leur assurant
une certaine satisfaction, sous des formes compatibles avec l’équilibre social.
» (Piéron). »
Le seul moyen d’éviter
un refoulement, lorsque le libre jeu d’un instinct est rendu impossible pour
une cause péremptoire et inchangeable, d’ordre matériel ou moral, est de lui
trouver un débouché ailleurs, un emploi utile et qui canalise l’énergie inemployée.
Ainsi les jeux sportifs sont une canalisation de l’instinct combatif. Et si l’on
ne peut prévenir le mal, s’il y a refoulement, la méthode thérapeutique sera,
en principe, la même : il faut essayer :
1° de découvrir la
tendance refoulée (c’est affaire au médecin) ;
2° de la canaliser
comme il vient d’être dit ;
3° de mettre le sujet à
même de la « sublimer ». Ce dernier terme... signifie ceci : mettre l’instinct,
jadis refoulé, jadis cause de troubles affectifs ou mentaux, au service d’un
idéal élevé ; en faire, sous cette forme, une partie intégrante, non seulement
de notre vie quotidienne, mais de notre meilleur moi » (Ferrière). Tout
instinct, toute tendance, a un rôle biologique utile, ce qui est mauvais, c’est
’excès, ou l’insuffisance ou l’action hors de propos. « Il faut, dit le docteur
Allendy, seconder l’effort de la Nature qui tend spontanément à la perfection,
il ne faut rien détruire, mais tout conduire, ne rien supprimer, mais tout
utiliser..., ne rien contrarier, mais tout guider. Si un homme est né
violent... il doit transmuer sa violence en élans généreux. »
Mais pour canaliser ou
sublimer les tendances il faut connaître la signification biologique de chacune
d’elles. Laissant de côté les besoins nous pourrons utiliser avec profit la
classification de Decroly-VermeyIen :
I. TENDANCES LIÉES A LA
CONSERVATION DE L’INDIVIDU :
1°
Tendances défensives :
a) colère ; b) prudence ; c) timidité ;
2° Tendances offensives
: a) colère ; b) irritabilité ; c) violence ; brutalité, cruauté ; d)
taquinerie, moquerie ; c) rancune.
II. TENDANCES LIÉES A
LA VIE DE RELATION :
1° Tendances groupales : a) sympathie,
antipathie ; b) esprit de famille, de clan, de parti, de classe etc. ;
2° Tendances éducatives
: a) curiosité ; b) jeu ; c) imitation ;
3° Tendances extensives
: a) amour-propre : orgueil, ambition, vanité, susceptibilité ; b) propriété :
jalousie, convoitise, collectionnisme ; c) concurrence : émulation, envie ; d)
approbation ;
4° Tendances
supérieures : a) intellectuelles ; b) éthiques ; c) religieuses ; d) esthétiques.
III, TENDANCES LIÉES A
LA CONSERVATION DE L’ESPÈCE :
1° Tendances sexuelles.
2° Tendances familiales
et parentales.
Cette classification,
bien incomplète, appelle quelques remarques. D’abord les tendances varient considérablement
d’intensité, par exemple certains auteurs parlent
du besoin de propriété
; ensuite nous constatons, par exemple, que le collectionnisme est une forme de
la tendance à la propriété et ceci nous permet de comprendre qu’une certaine
tendance (ou besoin) à la propriété nuisible à notre idéal social peut être
canalisée vers le collectionnisme. Il y a une échelle de valeur dans les
besoins et les tendances et nous devons être très circonspects dans nos jugements
sur un besoin qui ne nous paraît pas primordial, mais qui est cependant vivement
ressenti par l’enfant, sur la genèse de ce besoin, l’utilité ou non de sa conservation
et, le cas échéant, sur les moyens à mettre en oeuvre pour le canaliser ou le
sublimer.
Un exemple montrera
mieux la complexité des problèmes sociologiques, psychologiques et pédagogiques
que pose l’étude d’un seul besoin.
XII. UN EXEMPLE :
L’ÉDUCATION MORALE ET LE BESOIN DE POSSÉDER CHEZ LES ENFANTS.
Chez le petit enfant on
constate le besoin de posséder. Si nous en croyons le tableau
précédent ce besoin
serait une tendance extensive. Est-ce bien exact ? Ce besoin est-il biologique
ou est-il seulement héréditaire ? Est-il un besoin primordial ou un besoin
secondaire né plus particulièrement du besoin d’alimentation ? Il nous parait impossible
de répondre à ces questions avec certitude. Le sentiment de révolte que nous
éprouvons en présence de l’injustice sociale pourrait nous suggérer des réponses.
Nous nous défions de telles réponses qui, si elles étaient inexactes, justifieraient
des applications pédagogiques dont les résultats ne seraient pas ceux que nous
désirons. Notre société est, à certains égards, une société malade et sous les
apparences il faut trouver le mal réel, profond, tout comme le médecin qui ne considère
la fièvre que comme un symptôme.
Le docteur Boigey écrit
: « Au fur et à mesure de leurs progrès nos ancêtres cherchèrent d’abord à
s’approprier les aliments, ensuite ce qui en fournit, c’est-à dire la terre,
les troupeaux, les armes plus tard, les choses utiles, enfin les choses agréables,
presque aussi nécessaires que celles-ci, plus nécessaires même pour les civilisés.
Cette succession de biens excita les désirs de l’homme et peu à peu une véritable
jouissance fut attachée à leur possession. »
Cette explication est
évidemment vraisemblable, mais est-elle vraie ? Ne nous faut il
pas, pour expliquer ce
besoin, remonter à ces temps lointains de la préhistoire queNiceforo appelle «
cette aurore magique qui éclaire, dans toutes les formes de sa
survivance, notre vie
civilisée d’aujourd’hui ». Ne trouverions-nous pas l’explication des origines
de ce besoin dans l’un des deux principes de la magie que cet auteur énonce
ainsi : « Ce qui a fait partie d’un être ou d’un objet, ou ce qui a été en
contact avec lui continue pour toujours à faire partie de cet être ou de cet objet,
à rester en rapport avec lui et à en présenter les qualités et les défauts. » Peut-être
faut-il rechercher plus loin encore et remonter à ces temps où la conscience
individuelle n’existait pas encore, où l’individu, amoral et alogique, était seulement
une fraction du groupe. Qui nous prouve que dans l’éveil du moi ce moi ne s’est
pas tout d’abord borné à se distinguer des moi qu’il voyait semblables à lui et
n’a pas englobé en lui les objets ou êtres différents avec lesquels il était
plus particulièrement en contact, ayant ainsi à se différencier encore des
objets ou êtres qui continuaient de former un prolongement à son propre
individu, non par suite d’une extension, comme l’indiquent Decroly-Vermeylen,
mais à cause d’une différenciation encore imparfaite.
Cette distinction du «
mien » et du « moi » est-elle maintenant toujours bien établie ? « Au sens le
plus large du mot, dit James, le moi enveloppe tout ce qu’un homme appelle
sien. » Et Ch. Blondel : « Il est tout à fait théorique d’arrêter, sans plus d’examen,
les limites du moi à la surface du corps... Le vrai psychologue ne sait pas si
le mien est ou non la plus noble partie du moi : c’est bien, du reste le
moindre de ses soucis. Pour rattacher provisoirement le mien au moi, il lui
suffit de l’impossibilité où il est de les distinguer clairement. Les rapports
qu’ils entretiennent sont même si constants, si étroits qu’on a pu soutenir que
la conception du moi se dégageait à la longue du concept du mien, né lui-même
au cours de l’expérience infantile du sentiment des pouvoirs que nous avons et
de l’action que nous exerçons sur ce qui nous entoure. » Qui peut nous dire
laquelle de ces hypothèses est la vraie ? N’est-il pas vraisemblable que le
besoin de posséder est un besoin complexe et que ces hypothèses sont toutes
partiellement exactes ? Frappé des maux que cause le régime capitaliste actuel
et désireux de changer ce régime, l’éducateur révolutionnaire, ou même
réformiste, peu au courant des données de la psychologie et de la sociologie et
des incertitudes de ces sciences, n’hésite pas à proclamer la nécessité de
combattre l’instinct de propriété et imagine des moyens de lutte inefficaces ou
même dangereux.
Mieux averti,
connaissant ce que nous venons d’exposer à propos de la genèse de ce
besoin ; n’ignorant pas
que le droit de propriété individuelle est en recul incessant (disparition du
droit de propriété sur les individus, expropriations, droits sur l’héritage,
etc.) ; sachant que la tendance à la possession est un véritable besoin, c’est-à-dire
est particulièrement intense, lors de ces périodes affectives que l’on observe
au début de l’enfance et au début de l’adolescence, il saurait mieux quel est le
but qu’il est possible et désirable de poursuivre, quand il faut agir et
comment il faut le faire.
Précisons. I1 nous
semble utopique de vouloir chasser de l’esprit des individus normaux toute idée
du « mien » ; il ne nous semble pas non plus désirable de le faire puisqu’au
demeurant le « mien » est une étape vers le « moi » et qu’il paraît contradictoire
de vouloir tout à la fois combattre la tendance à la possession et aider à
l’épanouissement de la personnalité ; mais l’histoire et la psychologie nous montrent
que cette tendance à la propriété peut être modifiée dans un sens favorable à.
la vie sociale. Nous pensons qu’il est bon qu’au début de l’enfance l’individu
ait les choses qui soient à lui, bien à lui ; il serait vain d’ailleurs à ce
moment de vouloir combattre le besoin naissant ; l’égocentrisme enfantin
rendrait la chose impossible et l’on ne pourrait obtenir que des refoulements
dangereux. Le début de l’adolescence est aussi une période critique où il
serait mauvais de combattre ce besoin vivement ressenti, mais où l’on peut
préparer sa canalisation et sa sublimation.
Contre le besoin de
possession ou plutôt contre ses.. excès il sera peu efficace d’employer les
sermons, les prêches et les raisonnements. I1 ne sera pas inutile cependant
d’amener les grands élèves de nos écoles à réfléchir aux questions morales. Une
institutrice de Genève, pédagogue au grand coeur, s’est efforcée de savoir ce
que les enfants pensaient de la richesse et de la pauvreté. Son ouvrage : «Ce
que pensent les enfants : Richesse et Pauvreté » (Editions Forum, Neuchàtel et
Genève, Paris, 33, rue
de Seine), pourrait rendre de grands services à tous ceux qui
veulent, par leurs
leçons, combattre l’injustice sociale et magnifier le travail. Mais Mlle
Descoeudres, auteur de l’ouvrage dont nous venons de parler, ne compte pas seulement
sur la parole pour moraliser les enfants, « ce n’est pas, écrit-elle, le moindre
mérite de l’école active, justement parce qu’elle fait agir l’enfant, de le mettre
à même de mieux apprécier tout le talent et l’intelligence des travailleurs anuels
et de vaincre cette sotte manie - vestige elle aussi d’un autre âge - d’un mépris
plus ou moins avoué pour le travail manuel.. »
L’éducateur dispose
encore de deux moyens principaux d’action. D’abord il peut faire dériver la
tendance à la possession vers une voie où elle ne risque pas d’être une gêne
pour la collectivité tout en donnant satisfaction à l’individu. L’instinct du collectionneur,
qui est une forme dérivée de l’instinct de propriété, est un de ces moyens et
il est d’autant plus recommandable que, sagement employé, il peut rendre des
services appréciables a l’éducation intellectuelle.
Dans les classes où
l’on distribue gratuitement des fournitures et des livres, on peut user d’un
autre moyen. Puisque les idées morales naissent surtout des nécessités sociales,
il est possible de combattre la tendance à la propriété individuelle en organisant
les classes de telle façon que les enfants y sentent la nécessité de la possession
collective. Transformer les classes livresques en écoles actives ce sera lutter
contre la tyrannie de la tendance à la propriété individuelle. Faites qu’en ces
écoles les enfants coopèrent, qu’ils aient à se servir d’un matériel à usage
collectif. Par exemple, au lieu de donner à vos élèves des dictionnaires tous
semblables, remettez-leur de petits dictionnaires différents, faites-les leur
échanger parfois pour comparer les définitions des mots - l’éducation
intellectuelle n’aura qu’à y gagner -et permettez-leur de consulter, lorsqu’il
sera utile, un dictionnaire plus complet, et partant plus coûteux, prévu pour
l’usage de tous.
Quelques remarques me
paraissent utiles pour clore cette étude du rôle de l’école à l’égard du besoin
de possession. D’abord c’est que nous avons indiqué seulement les moyens qui
nous paraissaient les plus efficaces. Il en est d’autres, par exemple l’appel
au sentiment à l’aide de lectures ou de récits, etc... Ensuite, c’est que clans
le choix des moyens il faut tenir compte du développement intellectuel et
affectif des enfants : par exemple, ce n’est que vers neuf ans que l’enfant
devient vraiment capable de sociabilité, i1 est donc inutile de vouloir faire
l’éducation sociale des tout jeunes enfants et l’appel à la coopération ne doit
être fait qu’au moment le plus avorable.
XIII. QUELQUES
PRÉCISIONS SUR LE DÉVELOPPEMENT AFFECTIF.
Il faut, comme nous
venons de l’indiquer à propos du besoin de posséder, tenir compte du
développement de l’enfant. Ce n’est, dit Mme Vauzelle qu’à sept ans à peu près
que l’enfant sent l’injustice, et la pitié est beaucoup plus tardive encore. Tout
sentiment compatissant, dit-elle, naît d’une privation, il faut vivre assez longtemps,
c’est-à-dire laisser croître ses muscles et enrichir son intellect de sensations
multiples, avant d’atteindre à la vie sentimentale. « En vain, ajoute telle, la
vieille école multiplie-t-elle les leçons de morale et d’histoire... elle ne
fait autre chose que le bruit d’un grelot, si elle ne suit pas étroitement la
ligne du développement mental des élèves, si elle ne se conditionne pas, en un
mot, à leur vie réelle. »
Le Docteur Crichton
Miller a étudié le développement sentimental des garçons et des filles. D’après
lui, ce développement semblerait passer par les phases suivantes :
1° Pour les garçons :
Jusque vers 7 ou 8 ans : la phase de la Mère. De 8 ans vers 12 ans : la phase
du Père. De 12 ans vers 18 ans : la phase de l’École. A partir de 18 ans : la
phase de la Femme.
2° Pour les filles :
Jusque vers 8 ou 9 ans : la phase de la Mère. De 9 ans vers 15 ans : la phase
de l’École. De 15 ans vers 18 ans : la phase du Père. A partir de 18 ans : la
phase du Mariage.
L’intérêt qui prédomine
à chacune de ces phases n’est pas le seul, mais il importe «que nous veillions
au sentiment prédominant dans chaque phase, car c’est celui-là qui, à ce
moment, déterminera le développement de l’enfant ».
Les observations du
Docteur Crichton Miller, en ce qui concerna la phase de la Mère, justifient les
conseils de A. Baumann, que nous avons indiqués à propos de l’extension du
besoin d’attachement. Lors de la phase du Père, c’est l’exemple donné par
celui-ci qui dirige les sentiments du garçon. Remarquons que cette phase se
produit chez les filles après celle de l’École, à l’inverse de ce qui se passe
chez les garçons. Observons aussi, avec l’auteur, qu’il existe chez les filles
un instinct permanent : l’instinct maternel. (Lire à ce sujet : Alice
Descoeudres : Le sentiment maternel chez la jeune fille, éditions Forum.) « La
petite fille, poussée inconsciemment par l’instinct maternel, parle à ses
poupées des foules d’enfants qu’elle aura plus tard, mais déclare qu’un mari ne
serait qu’une gène. » Plus tard, elle apprend la nécessité du père et d’un acte
physique assez mystérieux et terrifiant. Si alors l’exemple de son père lui
montre que l’homme peut être pour elle un bon compagnon, son développement se
poursuivra normalement jusqu’à la phase du Mariage. Cette terreur peut résulter
aussi d’un manque d’éducation sexuelle » (voir ce mot). « Mme Béatrice Webb,
dans sa brochure : L’Enseignement aux enfants quant à la reproduction de la
vie, nous dit : « Un enfant assez âgé pour une intelligente question, est assez
âgé pour une intelligente réponse. »
« Aussi, répondons, dès
les premiers pourquoi ; à 3, 4 ou 5 ans, l’enfant peut savoir qu’il vient de sa
mère, et il l’en aimera davantage : et puis, ce sera mis de côté, dans
un coin de son cerveau,
pour être retrouvé plus tard. Le principal n’est pas de tout dire, mais de ne
rien dire de faux qu’il faudra démolir par la suite, et qui contribuera à
creuser l’abîme qui éloignera l’enfant de nous, qui fera perdre la confiance
qu’il a en nous. Des quatre périodes de pourquoi, la première est la plus
délicate (3 à 7 ans). C’est là que nous consolidons l’édifice dès la base, ou,
qu’irrémédiablement, nous perdons la confiance de l’enfant. C’est la plus
importante. Vers 12 ou 13 ans, l’enfant doit connaître par nous ce qu’est la
paternité. Nous devons oser avouer la grande et belle loi de la reproduction.
Nous devons commencer à éveiller la conscience hygiénique, le sens de la
responsabilité vis-àvis de la famille, de la descendance, le sentiment de
contrôle et de respect de soimême. Il ne faut pas attendre le tournant de la
puberté, où l’enfant prend conscience de lui-même et devient timide. Tout cela
doit être dit pendant que l’enfant est enfant et qu’il ne voit de mal à rien. »
(Mme B. Weill.) « Toutes ces peurs, dit aussi Mme Guéritte qui résume le
Docteur Miller, persistent dans l’inconscient des petites filles et ruinent
souvent leur vie à l’adolescence ou à la maturité, parce qu’elles ne peuvent
confier leurs craintes à personne, si elles n’ont pas près d’elles une mère, ou
une autre femme, assez intelligente et avertie pour leur donner les explications
voulues et les rassurer. Veillez de près ajoute-t-elle, sur la petite fille qui,
dans ses jeux, prend toujours un rôle d’homme, ou sur celle qui a des allures
de « garçon manqué ». Ce sont les signes de la peur du mariage. »
Le développement
harmonieux du garçon peut être également compromis, quoique pour une cause
différente. Entre les deux phases extrêmes « intervient dans la vie normale de
tout garçon une longue période d’homo-sexualité psychologique où il ne s’occupe
que des individus de son propre sexe, et où le père et les camarades sont es
facteurs prédominants de ses sentiments. Il importe que, pendant cette période,
la mère sache se tenir à l’écart et admette que son influence doit subir momentanément
une éclipse. Si elle veut continuer à dominer la vie sentimentale de son fils,
à y tenir la première place, elle risque de paralyser totalement son développement
; car tant que la mère maintient avec son fils les mêmes relations que pendant
son enfance, il est impossible à celui-ci de transformer son attitude envers
l’autre sexe... Le garçon court alors le danger d’avoir vis-à-vis des femmes dans
l’avenir, l’attitude du petit garçon vis-à-vis de sa mère... Le cas de ces fils
qui adorent tant leur mère qu’ils ne peuvent ni être amoureux normalement, ni
se marier, rentrent dans cette catégorie des garçons dont le développement a
été bloqué par la sollicitude exagérée et pernicieuse de leur mère.
Mais cette faiblesse
maternelle est souvent causée par la sévérité paternelle... Si le père présente
à ses garçons une image de la vie masculine trop dure, ou trop rigide, ou trop
parfaite et trop difficile à atteindre, ceux-ci reculent d’effroi. Si
l’autorité est trop dure pour l’enfant, il devient un mouton docile ou un
rebelle ; si c’est la réalité qui est trop dure, il y échappe en se créant un
monde de rêves ou en se jetant dans la grossièreté matérialiste. »
Les psychologues sont
d’accord sur le point suivant : il ne peut y avoir de morale sans respect de
règles ou respect de celui qui impose des règles. Mais comment l’enfant
parvient-il à ce sentiment de respect, mélange de crainte et d’amour, qui est le
fondement du sens moral ? Un psychologue suisse, Piaget, s’étant efforcé d’analyser
le respect de l’enfant, a reconnu qu’il y avait deux sortes de respects, éveillant
deux attitudes morales différentes : I° le respect unilatéral que l’enfant éprouve
pour son aîné, son supérieur ; 2° le respect mutuel, qui lie deux égaux, «par
exemple deux enfants de 11 ou 12 ans jouant ensemble et respectant chacun les conventions
de leurs jeux. »
Les plus jeunes enfants
en sont au stade du respect unilatéral, c’est-à-dire de l’obéissance envers les
règles qui leur sont imposées. Ils aiment d’ordinaire obéir à ces règles à la
lettre, à la condition cependant que ces règles soient simples et peu nombreuses
; ils trouvent tout naturel d’être punis lorsqu’ils n’ont pas respecté une règle
imposée, mais cherchent beaucoup plus à éviter une nouvelle punition qu’à observer
la règle. Au contraire, parvenus au stade du respect mutuel, ils ont beaucoup
de respect envers de multiples règles qui sont pour eux des conventions mutuelles
qui peuvent être changées par accord de la majorité. Ce qui compte pour les
plus grands, ce ne sont plus les apparences, mais les intentions : il faut
obéir volontairement à l’esprit des règles actuelles. « Nous voyons donc, dit
Piaget, que ceux qui appliquent le plus mal une règle sont ceux qui la
respectent le plus, tandis que ceux qui l’appliquent le mieux considèrent que
cette loi est relative et peut être modifiée...
Nous avons là les deux
sortes de respect : l’un qui est unilatéral et n’a aucune part dans la
conscience morale des enfants, l’autre qui est mutuel et fait partie de leur personnalité.
C’est ici que nous trouvons la véritable obéissance, le vrai sentiment du
bien... Le respect unilatéral engendre le sentiment du devoir, mais il reste extérieur
à l’enfant. D’autre part, le respect mutuel crée l’autonomie morale, le sentiment
du bien » ; il mène à la coopération, à l’indépendance et à une compréhension
de la vie morale meilleure que l’autre.
Cette distinction du
respect unilatéral, qui résulte d’un rapport de contrainte, et du respect
mutuel qui caractérise un rapport de coopération est d’une grosse importance
pour le choix des techniques propres à l’éducation morale. Par suite du développement
mental du jeune enfant, au caractère égocentrique, il faut tout d’abord savoir
se contenter du respect unilatéral, et user de la contrainte en imposant jusque
vers sept ou huit ans des règles aussi peu nombreuses que possible et qui
n’admettent pas d’exception. Ces règles seront d’autant mieux respectées que nous
saurons prêcher d’exemple. Mais il faut aussi que nous comprenions que le respect
mutuel ne peut s’acquérir que par des relations entre égaux. C’est par l’école
active - et non pas seulement les méthodes actives - que l’on peut le mieux permettre
aux enfants de dégager des règles et des habitudes morales, de leurs jeux, de
leurs travaux collectifs, de l’entr’aide qui devrait prendre dans nos écoles la
place qu’y tenait autrefois la concurrence.
Mais l’école active est
une exception et la plupart des maîtres songent bien plus à enseigner et
imposer des règles morales qu’à faire naître de telles règles de la vie scolaire
mieux organisée. « La sagesse, la docilité, l’attention, dit Baucomont, sont pour
le maître les vertus capitales de l’écolier modèle. Ce ne sont pas celles de l’enfant.
Qu’à cela ne tienne : il adoptera, six heures par jour, respectera et pratiquera
une morale de façade pour l’école et pour le maître. Nous avons la paix. Cela
nous suffit si nous n’avons cure de ce qui se passe au fond. « Au fond,
cependant, chaque enfant a édifié peu à peu, à l’insu des adultes, parents et
maîtres, une conception de la morale, une somme plus ou moins riche des règles de
la vie collective. Et cette morale, pratiquée par tous les enfants, dans leurs occupations
et leurs jeux, hors de la présence des adultes, n’est pas tout à fait la nôtre.
Elle n’accorde pas la primauté aux vertus qui nous semblent les plus importantes
: elle en révèle d’autres que nous laissons, à l’école du moins, au second
plan, souvent parce que la pratique de ces vertus troublerait notre tranquillité
ou atteindrait au vif notre orgueilleuse assurance. » Nous ne possédons
actuellement, en France, que des esquisses de l’étude sociologique des groupes
enfantins qui nous permettrait de connaître quels sont les caractères, les
modalités, les constantes de la moralité de fait, pratiquée spontanément par
les enfants et que nous pourrions considérer comme les solides fondements sur
quoi édifier leur moralité future : la morale des société adultes. On trouvera
une amorce de cette sociologie enfantine dans les travaux de G. Varendonck :
Recherches sur les sociétés d’enfants (Misch et Thron, Bruxelles. 1914) ; R.
Cousinet : La Solidarité enfantine (Revue philosophique, 1908) ; Ad. Ferrière :
L’Autonomie des Ecoliers (Delachaux et Niestlé) ; F.-W. Foerster : L’École et
le Caractère (Delachaux et Niestlé). » (Baucomont oublie de citer :Rouma :
Pédagogie sociologique (Delachaux et Niestlé) et M. Lejeune :L’observation du
caractère dans les associations d’adolescents. (Document 9 de l’Union Belge
d’Éducation morale.) « Si peu avancées que soient les recherches en ce sens,
elles permettent néanmoins déjà de déceler quelques-unes des tendances morales
dominantes parmi les groupes d’enfants :
1° L’esprit de
camaraderie et d’entr’aide (aider les autres, au travail et au jeu, leur prêter
les objets dont ils ont besoin) ;
2° L’esprit de justice
(donner raison à celui qui le mérite) ;
3°L’esprit de
solidarité (prendre le parti de son groupe, ne pas le trahir) ;
4° L’esprit de
conformisme (ne pas se distinguer des autres ; ne pas poser) ;
5° L’esprit d’initiative
(savoir se débrouiller, se tirer d’affaire dans les circonstances difficiles) ;
6° La confiance en soi,
l’énergie morale, la volonté (oser, ne rien craindre) ;
7° L’esprit de
conciliation (chercher à accorder ses désirs à ceux des autres) ;
8° L’enthousiasme
(communiquer passionnément ses idées et ses sentiments aux autres). » On
pourrait ajouter :
9° Le respect de la
parole donnée ;
10° L’amour de
l’approbation, etc...
« Ces vertus, ajoute
Baucomont, sont celles que l’enfant apprécie entre toutes, puisque ce sont
celles que l’on trouve le plus souvent réunies chez les meneurs, les leaders et chefs de clans, et ce sont elles
qui assurent leur prestige et établissent leur autorité.
» Or, si ce ne sont pas
là des vertus spécifiquement scolaires, de celles qui conquièrent à l’élève les
louanges, les récompenses et les faveurs du maître, on accordera qu’elles
constituent pourtant les éléments non négligeables d’une morale susceptible
d’orienter d’une façon très élevée et très féconde la conduite de la vie. » Le
rôle de l’éducation morale scolaire peut donc être nettement tracé : pour qu’il
n’y ait pas antagonisme entre la morale du maître et celle des enfants,
l’éducateur, non seulement ne doit pas ignorer ou méconnaître les sentiments,
opinions et jugements moraux des enfants, mais il doit, au contraire, les
utiliser, les laisser pratiquer et les pratiquer pour son propre compte dans
ses rapports avec les enfants. Cette conciliation de la morale des adultes
(celle que nous voulons enseigner aux enfants et leur faire adopter avant
l’heure) et de la morale enfantine ne peut évidemment pas s’opérer par le moyen
d’un enseignement didactique, de prêches et de leçons. Ce ne peut être qu’une
pratique, un mode d’agir et de vivre. »
XIV. LES DÉFAUTS DES
ENFANTS.
L’enfant, dit le
Docteur Gilbert Robin, « n’a pas de défauts : il est mal élevé ou malade ». (Dr
G. Robin : L’enfant sans défauts, Flammarion, édit,). Pour corriger les enfants
de leurs prétendus défauts, il faut d’abord faire l’éducation des parents et c’est
ce que nous allons tenter de faire, aussi brièvement que possible. Tout d’abord
il faut que chacun soit bien convaincu que l’intervention d’un médecin
compétent est souvent utile, qu’elle est même indispensable dans les cas
graves, où il est bon que le médecin soit aussi psychologue. C’est donc au
psychiâtre qu’il faut, si besoin est, demander conseil.
1° Paresse.
- Causes : a) d’origine
physiologique : soit le fonctionnement morbide du cerveau, soit un
ralentissement de la nutrition provenant, le plus souvent d’une mauvaise
hygiène alimentaire, soit maladie du système nerveux (neurasthénie infantile) ;
dans tous ces cas, l’enfant ne peut fournir l’effort qu’on lui demande ;
b) d’origine mentale :
l’enfant, bien portant, se refuse à un travail contraire à ses goûts. Remèdes :
Suivant les cas : meilleure hygiène alimentaire (choisir de préférence des
aliments qui se digèrent facilement) ; exercice physique modéré (la fatigue physique
s’ajoute à la fatigue mentale) ; emploi du temps bien régulier ; emploi de toniques,
après avis du médecin, massages, douches, etc. ; enseignement intéressant,
motivé, aussi peu abstrait que possible, réservant une place aux activités manuelles.
2° Peur. Timidité.
Bouderie. - Causes : a) Constituent souvent des réactions de défense passive.
Parmi les causes de la peur les unes sont externes : obscurité ; animaux ;
hommes ; impression fortes (scènes de famille, etc.) ; imagination surexcitée
(récits et lecture) ; souvenirs de souffrances éprouvées, de peurs antérieures
; sollicitude excessive des parents. D’autres causes sont internes et résultent
d’un état maladif (faiblesse générale), des prédispositions héréditaires, d’une
trop grande suggestibilité (la peur est extrêmement contagieuse). Remèdes : Faire
disparaître les causes ; agir sur le physique en fortifiant l’individu - mais
en évitant les abus alimentaires du soir, causes de bien des terreurs nocturnes
; rechercher l’origine des habitudes de peur, puis raisonner l’enfant à leur
sujet, procéder avec patience et sans brusquerie, utiliser la suggestion.
La vraie timidité est
cependant distincte de la peur ; elle résulte le plus souvent d’une éducation
trop sévère et despotique ; elle est aggravée par la conscience d’une
infériorité (bègues), la tendance à s’analyser et la débilité. On la traite par
un régime fortifiant et une éducation affectueuse, encourageante. Alors que la
timidité est surtout un défaut d’adolescent, la bouderie est fréquente au cours
du jeune âge. « Au cours de la bouderie, l’enfant ne peut changer d’attitude ou
obéir : rien ne peut brusquement modifier son état émotionnel. Abstenez-vous et
ne raisonnez pas. Discutez dans quelques heures ou demain. N’essayez pas de
combattre son émotion, car vous l’amènerez souvent à commettre des actes graves
pour lesquels il est irresponsable et à propos desquels vous ne pourrez
intervenir qu’avec injustice... Observons et intervenons après la crise. »
(Demoor et Jonckheere.)
3° Tristesse. - Les
causes de la tristesse sont à peu près les mêmes que celles de la paresse et de
la peur, partant, les remèdes sont également analogues.
4° Colère. Esprit de
révolte. Brutalité. Cruauté. - Peuvent être le plus souvent considérées comme
des réactions de défenseactive et d’attaque. Causes de la colère. - La colère a
des causes très variées et parfois opposées ; ses causes externes peuvent être
: des contrariétés provenant de réprimandes, punitions (voir ce mot), etc. ;
des blessures d’amour-propre ; la jalousie ; des injustices ; les exemples du
milieu ; l’excès de faiblesse ou l’excès de sévérité ; un temps orageux, etc.,
etc. ; les causes internes résultent soit de tempéraments faibles, mais très nerveux
et facilement irritables, soit d’un excès de vigueur et de tares héréditaires (alcooliques,
etc.).
Remèdes à la colère. -
Dans tous les cas, il faut opposer à la colère de l’enfant la douceur, la
patience et la fermeté. Il faut éviter tous les motifs de crise, et lorsqu’une
crise éclate la limiter autant que possible : s’il se peut ne pas punir et dans
le cas contraire ne jamais menacer d’une punition qui ne pourra être appliquée.
Eviter les punitions corporelles et la répression au cours de l’accès.
Rechercher les causes de la colère pour y adapter les remèdes, par exemple
traiter la colère du débile nerveux par une hygiène alimentaire convenable, un
emploi du temps bien régulier, des fortifiants musculaires et, au contraire,
pour les enfants vigoureux en excès, atténuer cette vigueur par une alimentation
surtout végétarienne, lui permettre de se dépenser dans des exercices physiques
et des jeux, employer des calmants nerveux (bromure de potassium, etc., etc.)
L’esprit de révolte est
le plus souvent une colère légitime de l’enfant contre des éducateurs
maladroits ou trop sévères ou injustes... La cruauté de l’enfant est causée
le plus souvent, par un
défaut de développement intellectuel et affectif, l’enfant est alors cruel par
ignorance. Elle peut aussi résulter de la peur, de la colère, de l’exemple.
Il est d’autres
défauts, mais ceux que nous venons de citer sont, avec la désobéissance, le
mensonge, la jalousie, dont nous avons déjà parlé (X) - voir aussi études
correspondantes, - les plus fréquents et les plus graves.
XV. LES DÉFAUTS DES
PARENTS.
Notre étude des défauts
des enfants nous a permis de montrer que ces défauts résultent fort souvent
d’une mauvaise éducation, c’est-à-dire des défauts des parents.
Beaucoup d’erreurs
éducatives résultent de l’égoïsme des parents éducateurs et de leur sentiment
de l’autorité. Certes, il faut que les petits enfants obéissent, mais il faut
aussi que ce soit dans leur propre intérêt et il est nécessaire également que
les parents, tenant compte de l’évolution de leurs rejetons les préparent peu à
peu à l’indépendance, il faut qu’ils abdiquent peu à peu leur tutelle et
développent l’aptitude de l’enfant à se conduire seul.
Même lorsque les
parents doivent obtenir l’obéissance ils usent trop souvent de moyens qu’ils
devraient éviter : punitions et récompenses, menaces et promesses, crises de
colère et de tendresse, ordres et sermons sont des choses également néfastes
comme aussi la contradiction des deux époux, mais quelle qu’en soit la cause,
l’enfant sait fort bien en tirer parti au grand dommage de son éducation. Il
faut d’abord que les parents pensent que leurs enfants ne sont pas leur
propriété et qu’ils veuillent peu à peu les aider à devenir des individus
libres. Mais l’éducation est une oeuvre de confiance et les parents trop
souvent encore perdent la confiance de leurs enfants par des maladresses dont
voici les plus fréquentes : écarter les enfants de la conversation des grandes
personnes ; ne pas répondre intelligemment aux questions intelligentes des
enfants ou y répondre sans souci de la vérité et sans penser que l’enfant s’il
découvre la tromperie perdra confiance en qui l’a trompé ; railler les enfants
ou les traiter avec dédain pour leurs remarques ou leurs questions naïves,
l’enfant sent que l’adulte veut s’élever en l’abaissant et cherche ailleurs un confident
; être trop sermonneurs, trop critiques ; être d’humeur variable : tolérant aujourd’hui
ce qu’on punira demain, etc. Troisième défaut, non moins important que les deux
précédents : on prêche en parole, mais pas par l’exemple.
Enfin, si les parents
sont généralement, pleins de bonne volonté, s’ils aiment leurs enfants ils
ignorent trop souvent comment ils devraient remplir leur rôle d’éducateurs et,
le pis, c’est qu’ils ignorent leur propre ignorance ; ils supposent que pour
bien élever leurs enfants beaucoup d’amour et un peu de logique suffisent. Or, cela
ne suffit pas toujours. Les parents ont le défaut de ne point consulter assez souvent
ceux qui pourraient utilement les conseiller : médecins, psychologues et pédagogues.
XVI. LES DÉFAUTS DE
L’ÉCOLE.
L’École devrait,
s’efforcer de donner une éducation et une instruction qui assurent à chaque
individu un développement convenable. - Nous renvoyons aux mots : école, éducation,
enfant, instruction, liberté, etc. pour de plus amples explications sur notre conception
de ce rôle de l’École. Elle devrait aussi s’efforcer de préparer les enfants qui
lui sont confiés à la vie sociale. En résumé, son rôle est double ;
1° elle doit éduquer et
instruire chaque individu de façon que chacun puisse développer harmonieusement
sa personnalité ;
2° elle doit développer
chez tous l’aptitude à la vie sociale.
Si nous tenons compte
de ce double rôle nous pouvons faire à l’École actuelle les reproches suivants
:
1° L’École n’accorde
pas une importance suffisante aux besoins, aux tendances, aux intérêts des
enfants et de chaque enfant en particulier. Il faudrait, pour cela. que les éducateurs
:
a) apprennent à mieux
connaître chacun de leurs enfants , fassent place à des travaux individuels
libres. De ceci il résulte que les travaux que l’on exige des élèves ne sont
pas suffisamment motivés pour eux, d’où la nécessité pour le maître de faire
appel à des motifs extrinsèques : récompenses punitions, concurrence. Ces motifs
extrinsèques sont de faible valeur et souvent plus nuisibles qu’utiles ;
2° A l’école on se
préoccupe beaucoup plus de faire apprendre que de développer les pouvoirs
actifs, les facultés créatrices, l’esprit de recherche ;
3° L’École est
naturellement conservatrice. Les dirigeants, veulent que les éducateurs forment
de bons citoyens, adaptés d’avance à la vie sociale actuelle et ne désirant pas
la changer (v. individualisme : éducation). Tout au contraire, l’enseignement
de l’École devrait avoir pour but de procurer aux enfants l’intelligence
sociale, c’est-à-dire la capacité d’observer et de comprendre leur milieu tout
en développant leur esprit critique et leur volonté. Ceci leur permettrait d’être,
plus tard, aptes à concourir utilement aux modifications qu’ils jugeraient utiles
d’apporter à cet état social. Il faudrait, pour parvenir à ce résultat,
modifier les programmes et les méthodes en usage ;
4° L’École ne procure
pas davantage aux enfants l’aptitude à la vie sociale. Tout notre système
scolaire est basé sur l’autorité, la réceptivité et la concurrence, alors qu’il
faudrait, en tenant compte du développement des enfants, réaliser : l’autonomie
scolaire qui formerait des individus libres ; l’école active qui tendrait à se
rapprocher de la vie sociale réelle, ferait une plus large place aux activités manuelles
et à l’entr’aide.
XVII. CONCLUSION.
OEuvre de confiance et
d’amour, l’Éducation morale est aussi une oeuvre de savoir. A cette oeuvre
devraient collaborer les parents et les maîtres qui trop souvent encore s’ignorent.
Les instituteurs pourraient, s’ils le voulaient, mettre bien des parents en garde
contre des erreurs éducatives dont nous avons signalé ici les plus fréquentes. De
leur côté, ils apprendraient, au contact des travailleurs, a mieux comprendre
la vie sociale. Luttant coude à coude contre les forces d’oppression, parents
et instituteurs comprendraient qu’ils ne doivent pas être des oppresseurs ; que
la paternité, ne donne pas un droit de propriété ; que le mot maître ne doit
plus signifier celui qui commande et punit, mais celui qui stimule, conseille
et aide ; que les uns et les autres doivent favoriser l’entr’aide des enfants
et cultiver leur idéalisme. « Donnons aux enfants, écrivait Roorda, un élan
pour la vie. Et si cet élan doit les porter au-delà du point où notre lassitude
et notre prudence nous ont fixés ; si un jour, avec l’ardeur et la liberté
d’esprit qu’ils nous devront, ils attaquent les dogmes de notre imparfaite
sagesse, - tant mieux. » En ce sens, une véritable éducation morale ne peut
être que révolutionnaire.
E. DELAUNAY.
A CONSULTER. - Chez Flammarion,
édit. : Les Idées modernes sur les Enfants (A. Binet) ; Les Enfants et les
mères(Dorothy Canfied-Fisher) ; L’enfant sans défauts (Dr Gilbert Robin). -
Chez A Colin : Le corps et l’âme de l’enfant (Dr Maurice Fleury). - Chez Alcan
: Éducation et hérédité (M. Guyau). – Chez Delachaux et Niestlé : L’École et
l’Enfant (J. Dewey) ; L’école et le caractère (F.- W Foerster) ; Pédagogie
sociologique (G. Rouma), etc. Voir également les bibliographies des sujets
d’éducation et la bibliographie ci-après sur morale.
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