samedi 17 septembre 2022

chroniques politiques des années 30 Par Maurice Blanchot

 Quand l’État est devenu incapable de travailler en faveur de l’État et en faveur de la nation, le bien public ne peut être défendu que par la résistance aux pouvoirs publics. L’intérêt général est sauvé par des initiatives privées. Chacun a le devoir de dénoncer les lois injustes et de s’y soustraire. Et la révolution commence. 

Nous sommes en révolution. Les incidents de Bray-sur-Somme 1 auraient peu d’importance, s’ils ne soulignaient ce mépris d’une légalité misérable, cette déchéance de l’autorité qui a besoin de la force pour se faire respecter, le profond mouvement de révolte que trop d’excès dans une administration partisane, trop de faiblesse devant le désordre préparent dans le pays tout entier. Hier, les paysans révoltés donnaient leur appui à une action dirigée contre la loi même. Il y a quelques semaines, à Chartres, ils manifestaient contre les représentants du pouvoir l’indignation et le mépris que leur inspire un pouvoir livré à l’arbitraire des coteries électorales. Partout brillent les signes d’un réveil de l’esprit public. Les Français, si dociles, si prompts à s’en rapporter au gouvernement, prennent peu à peu conscience qu’ils ne se sauveront qu’en luttant contre lui et en le contraignant par la force aux réformes nécessaires. Les contribuables, même, ne se contentent plus de manifester. Ils songent à agir 2. Ils envisagent de recourir au moyen révolutionnaire par excellence : la grève, prêts à refuser d’acquitter des impôts excessifs et de consacrer leur travail et toutes leurs forces à un État qui les dépouille.

Enfin, dernier signe. Le gouvernement, impuissant à se défendre par les réformes utiles, cherche à se protéger par des mesures tyranniques. Nous savons que le ministre de la Justice prépare en ce moment un projet de loi qui lui donnera les pouvoirs les plus étendus pour lutter contre la grève de l’impôt. La loi actuelle les lui refuse et accorde aux citoyens même mécontents de justes garanties 3. Aujourd’hui le refus collectif de l’impôt n’est puni que s’il résulte ou s’accompagne de voies de fait, menaces ou manoeuvres frauduleuses. Demain, le gouvernement pourra jeter en prison « toutes les personnes qui, par des moyens quelconques, auront mis ou tenté de mettre obstacle au recouvrement de l’impôt ». Il aura la liberté de considérer comme un délit grave les manifestations les plus innocentes. Il aura le pouvoir de poursuivre selon son jugement tous ceux qui voudraient se défendre contre lui. Il montrera enfin le premier caractère de toute autorité affaiblie qui est d’être tyrannique et arbitraire.

C’est là une tentative imprudente qui pourra bien précipiter sa fin. Il n’est pas sûr que le Parlement assume la responsabilité d’une pareille mesure. Il n’est pas sûr que le gouvernement ose utiliser ce pouvoir qu’il réclame et qui lui servira surtout d’épouvantail. Mais ce qui est certain, c’est que les Français n’ont jamais eu une plus belle occasion d’imposer leur volonté et de faire sentir leur puissance à un État défaillant.

Dès maintenant, quoi qu’ils fassent, l’épreuve de fond est commencée et elle ira jusqu’au bout. Entre l’État et eux, c’est une question de force et c’est une question de décision. S’ils ont assez de fermeté pour être unis et s’ils ont assez de courage pour recourir aux moyens nécessaires, ils verront que les menaces du gouvernement n’étaient que paroles impuissantes et ils retourneront contre lui un pouvoir trop fort pour lui.

Le jour où quelques milliers de Français résolus refuseront de payer l’impôt, l’État sera bien incapable de prendre des sanctions, il abandonnera en hâte ses armes ridicules et, sous la pression de la crainte et de la violence, il commencera les premières réformes ou, s’il s’y refuse, il périra.

Le Rempart, no 60, 20 juin 1933

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