"Alors, pour la première fois; nous nous apercevons que notre langue manque de mots pour exprimer cette insulte: la démolition d'un homme. En un instant, dans une intuition quasi prophétique, la réalité nous apparait: nous avons touché le fond. Il est impossible d'aller plus bas: il n'existe pas, il n'est pas possible de concevoir condition humaine plus misérable que la nôtre. Plus rien ne nous appartient: ils nous ont pris nos vêtements, nos chaussures, et même nos cheveux; si nous parlons, ils ne nous écouteront pas, et même s'ils nous écoutaient, ils ne nous comprendraient pas. Ils nous enlèveront jusqu'à notre nom: et si nous voulons le conserver, nous devrons trouver en nous la force nécessaire pour que derrière ce nom, quelque chose de nous, de ce que nous étions, subsiste."
"Au bout de 15 jours de Lager, je connais déjà la faim réglementaire, cette faim chronique que les hommes libres ne connaissent pas, qui fait rêver la nuit et s'installe dans toutes les parties de notre corps; j'ai déjà appris à me prémunir contre le vol, et si je tombe sur une cuillère, une ficelle, un bouton que je puisse m'approprier sans être puni, je l'empoche et le considère à moi de plein droit. Déjà sont apparues sur lmes pieds les plaies infectieuses qui ne guériront pas. Je pousse des wagons, je manie la pelle, je fonds sous la pluie et je tremble dans le vent. Déjà mon corps n'est plus mon corps. J'ai le ventre enflé, les membres desséchés, le visage bouffi le matin et creusé le soir; chez certains, la peau est devenue jaune, chez d'autres, grise; quand nous restons trois ou quatre jours sans nous voir, nous avons du mal à nous reconnaitre."
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