Les mauvais médecins sont ceux
qui ont été investis par le jeu des bonnes relations de leurs papas « dorés »
ou qui deviennent médecins pour satisfaire des traditions de famille ou de
caste. Pour ces parents, peu scrupuleux de l'idéal, peu importe la nature de leurs
enfants à diplômer, coûte que coûte, au détriment de ceux sur lesquels ils
s'exerceront sans humanité. Les médecins, ni bons ni mauvais, sont ceux qui
monnayent leur savoir ‒ ceux-là en ont ‒ sans plus s'occuper des causes
pitoyables, nourrissant le mal dont ils vivent le plus largement possible. Les
bons médecins sont ceux qui instruisent le malade, mais seulement jusqu'où leur
industrie commence. Les vrais médecins sont ceux qui n'exercent pas ou n'
exercent plus ou qui n'ayant jamais recherché le diplôme, malgré des études
sérieuses et persévérantes, font de la médecine vulgarisatrice des secrets
d'une santé se passant, à tout jamais, de la médecine, sans vivre de cet
enseignement. La médecine, telle qu'on l'enseigne dans les facultés, ne
s'apprend que sur ce qui meurt et non pas sur ce qui vit. Poursuivre le mal sur
un terrain ensemencé d'éléments favorables à la maladie, à la dégénérescence,
avec la chimie en ampoules, en flacons ou en cachets, alors que l'organisme est
saturé de chimie organique virulente, corrodante, voilà à quoi se résume la
science médicale contemporaine. À l'École de Médecine, c'est comme à l'École
Militaire : on y apprend à combattre, à guerroyer et non pas à secourir ou à
pacifier. Le médecin et le militaire possèdent, chacun, un arsenal et un
laboratoire : deux choses dont la nature saurait se passer ; Quand l'homme
appelle le médecin, déjà la morbidité s'organise en lui, quelque part, où le
mal fait son trou. Le médecin, lui, fera le sien propre dans la vie du «
patient ». Mais, insistons sur ce point : que c'est très probablement le malade
qui a créé le médecin ; ce dernier, lui, a créé le « sens médical », ce qui
fait dire : que n'ont besoin du médecin, que ceux voulant bien se donner la
peine d'être malades ou de se croire tels. Le chirurgien, quand il n'est pas un
sadique de la vivisection et lorsqu'il ne mesure pas le morceau à couper avec
les ressources probables de ses clients, est presque indispensable à
l'humanité. Je dis ressources probables, car il n'y a pas de gens plus experts
pour juger, d'après les « signes extérieurs et intérieurs », de l'état de
fortune des gens, qu'un médecin ou un chirurgien. Quels admirables agents du
fisc feraient ces messieurs ! Quant aux guérisseurs, ce sont des malins dont
toute la... science consiste à savoir déplacer la mal ou à séparer, pour un
instant, le malade de sa douleur. Les guérisseurs procèdent du phénomène qui se
produit, lorsqu'une personne, souffrant atrocement du mal de dent, voit sa
souffrance se calmer, ou disparaître, en saisissant le pied de biche à la porte
du dentiste. C'est ce trouble humoral, ce trouble émotif, que les guérisseurs
provoquent, pour guérir, à la petite semaine, des malades tout spéciaux qui,
pendant le reste de leurs jours, restent de fidèles clients, malgré qu'ils
soient ‒ selon leurs dires ‒ parfaitement guéris ! Quand le malade tient,
consciemment ou inconsciemment, à sa maladie et qu'il a perdu confiance en la
médecine ou lassé l'honnête médecin, quand il ne croit plus aux vaines et
coûteuses « combines » des guérisseurs, on le voit se livrer aux littérateurs
de la médecine qui feront métier de l'embarrasser, de plus en plus, à mesure que
les livres s'ajouteront aux livres, et quels livres ! Livres que l'on achète
sur le conseil intéressé des conférenciers subtils, ramasseurs marrons des
clientèles d'officines d'hypnotiseurs professionnels ; livres qui conduisent de
malheureux malades, pieds et poings liés, aux « psychothérapeutes » se refilant
le client jusqu'à épuisement de ses ressources d'argent, de patience, de vie !
Les livres de médecine soignante ou de vulgarisation de la médecine officielle,
quelle bonne blague... pour eux qui ne tiennent pas à être malades ou ne font
rien pour le devenir ! Dans ces livres, la maladie y est traitée comme si elle
ressemblait toujours à elle-même, cependant que, d'un malade à un autre, elle
différencie de nature, d'intensité même, d'une heure à une autre. Devant ce
fait, à quoi sert toute cette littérature, dite de vulgarisation médicale ? Un
médecin est appelé au chevet d'un malade et diagnostique une affection toute
autre que celle dépistée par un premier médecin appelé la veille ; cela
s'explique facilement. Ces deux médecins ont raison tous les deux.
Confrontez-les, ils ne s'entendront que si le consultant les garde tous les deux.
Deux raisons s'offrent à expliquer cette attitude : la première, c'est qu'en
quelques heures, ainsi que nous le disons plus haut, le mal peut changer de
nature, se déplacer ; la seconde, c'est qu'un médecin qui revient d'une erreur,
en face d'un client, est perdu vis-à-vis de ce dernier. On croit trop
facilement que le médecin ne peut jamais se tromper et, de même, que la maladie
ne le trompe pas. Un médecin-naturiste (pourquoi pas des pharmaciens naturistes
aussi ?) a demandé que chacun fasse son apprentissage de malade, pour être
capable de se choisir un bon médecin ! C'est absolument comme si l'on demandait
à quelqu'un de se faire cordonnier pour acheter de bonnes chaussures. Chacun
sait combien de défaites cela vaut, pour un électeur, de chercher à avoir un
bon député ! Si, pour savoir se choisir un médecin, il fallait passer son existence
à être malade, se laisser transformer en écumoire par les piqûres et les
vaccins et s'ivrogner de médicaments jusqu'à se faire interner, les rôles de
malade et d'électeur s'identifieraient, dans le plus grand supplice de la
compréhension humaine. Ce serait peut-être un moyen conduisant l'humanité vers
la sagesse qui sait se passer de députés et de médecins ‒ ils sont souvent les
deux à la fois ‒ par motif de suppression de leur nécessité, même quand ils se
disent « naturistes ». Laissons le médecin aux malades, plus ou moins
volontaires et voyons l'hygiéniste à son rayon ; car, là encore, on tient
boutique. L'hygiéniste, quand il ne nous a pas indiqué cent produits de sa
signature, avec des noms bizarres où il se reconnaît du reste à peine lui-même,
nous aura comblés de littérature (lui aussi !) et de conseils, admettons-le,
sages et désintéressés. Il nous a dit : « Respirez profondément, ouvrez vos
fenêtres la nuit, lavez[1]vous,
chaque matin, le corps entièrement nu, à l'eau froide, portez des vêtements
légers, fréquentez la campagne, la mer, la montagne, autant que vous le pourrez
». Mais, la consultation terminée, notre éminent hygiéniste s'entoure de
plusieurs épaisseurs de flanelles (de sa marque), de tricots « spéciaux », de
paletots, de pardessus, de trench-coats, puis s'engouffre dans le métro, ou
dans sa limousine plus souvent, pour, de la journée, de la semaine, d'un mois à
un autre, y être enfermé pour courir les adresses de ses clients ‒ de plus en
plus nombreux ‒ entre deux bains de vapeur ! Sur ses conseils, vous achetez ‒
chez lui ‒ un spiroscope, des instruments à singer le travail utile, des
haltères de toutes natures, des cordes à nœuds, et une foule d'attirails qui
feront ressembler l'endroit où on les resserre, à un coin de tribunal sous
l'Inquisition ! Notre hygiéniste aura sa gymnastique « spéciale », condamnant
toutes les autres. Il excellera dans l'art de créer, de toutes pièces, un
régime excluant tout ce que ses confrères auront permis et recommandant tout ce
qu'ils auront interdit. Et tout cela, avec force théories qui lui vaudront
d'être la véritable « Sorbonne » d'une foule de sociétés, dites savantes.
Quelquefois, un établissement spécial ‒ le sien ‒vous est plus particulièrement
imposé et l'on vous y soigne en « ami » pendant tout le temps... nécessaire. La
maladie a ainsi créé ses commerces, ses industries, ses politiques, ses modes,
ses arts, ses sciences, ses intrigues et ses poètes ! Dénoncer tout cela, ce serait
soulever un monde, et quel monde ! Nous ne voulons pas, ici, nous spécialiser
dans cette partie, quelque belle œuvre de salubrité que ce soit. Nous en avons
juste assez dit pour que soient avertis ceux qui ne sont pas tout à fait
inaptes à la santé du corps et de l'esprit. ‒
L. RIMBAULT
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