dimanche 12 décembre 2021

MÉDECIN, MÉDECINE, MÉDICASTRE... encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 


Les mauvais médecins sont ceux qui ont été investis par le jeu des bonnes relations de leurs papas « dorés » ou qui deviennent médecins pour satisfaire des traditions de famille ou de caste. Pour ces parents, peu scrupuleux de l'idéal, peu importe la nature de leurs enfants à diplômer, coûte que coûte, au détriment de ceux sur lesquels ils s'exerceront sans humanité. Les médecins, ni bons ni mauvais, sont ceux qui monnayent leur savoir ‒ ceux-là en ont ‒ sans plus s'occuper des causes pitoyables, nourrissant le mal dont ils vivent le plus largement possible. Les bons médecins sont ceux qui instruisent le malade, mais seulement jusqu'où leur industrie commence. Les vrais médecins sont ceux qui n'exercent pas ou n' exercent plus ou qui n'ayant jamais recherché le diplôme, malgré des études sérieuses et persévérantes, font de la médecine vulgarisatrice des secrets d'une santé se passant, à tout jamais, de la médecine, sans vivre de cet enseignement. La médecine, telle qu'on l'enseigne dans les facultés, ne s'apprend que sur ce qui meurt et non pas sur ce qui vit. Poursuivre le mal sur un terrain ensemencé d'éléments favorables à la maladie, à la dégénérescence, avec la chimie en ampoules, en flacons ou en cachets, alors que l'organisme est saturé de chimie organique virulente, corrodante, voilà à quoi se résume la science médicale contemporaine. À l'École de Médecine, c'est comme à l'École Militaire : on y apprend à combattre, à guerroyer et non pas à secourir ou à pacifier. Le médecin et le militaire possèdent, chacun, un arsenal et un laboratoire : deux choses dont la nature saurait se passer ; Quand l'homme appelle le médecin, déjà la morbidité s'organise en lui, quelque part, où le mal fait son trou. Le médecin, lui, fera le sien propre dans la vie du « patient ». Mais, insistons sur ce point : que c'est très probablement le malade qui a créé le médecin ; ce dernier, lui, a créé le « sens médical », ce qui fait dire : que n'ont besoin du médecin, que ceux voulant bien se donner la peine d'être malades ou de se croire tels. Le chirurgien, quand il n'est pas un sadique de la vivisection et lorsqu'il ne mesure pas le morceau à couper avec les ressources probables de ses clients, est presque indispensable à l'humanité. Je dis ressources probables, car il n'y a pas de gens plus experts pour juger, d'après les « signes extérieurs et intérieurs », de l'état de fortune des gens, qu'un médecin ou un chirurgien. Quels admirables agents du fisc feraient ces messieurs ! Quant aux guérisseurs, ce sont des malins dont toute la... science consiste à savoir déplacer la mal ou à séparer, pour un instant, le malade de sa douleur. Les guérisseurs procèdent du phénomène qui se produit, lorsqu'une personne, souffrant atrocement du mal de dent, voit sa souffrance se calmer, ou disparaître, en saisissant le pied de biche à la porte du dentiste. C'est ce trouble humoral, ce trouble émotif, que les guérisseurs provoquent, pour guérir, à la petite semaine, des malades tout spéciaux qui, pendant le reste de leurs jours, restent de fidèles clients, malgré qu'ils soient ‒ selon leurs dires ‒ parfaitement guéris ! Quand le malade tient, consciemment ou inconsciemment, à sa maladie et qu'il a perdu confiance en la médecine ou lassé l'honnête médecin, quand il ne croit plus aux vaines et coûteuses « combines » des guérisseurs, on le voit se livrer aux littérateurs de la médecine qui feront métier de l'embarrasser, de plus en plus, à mesure que les livres s'ajouteront aux livres, et quels livres ! Livres que l'on achète sur le conseil intéressé des conférenciers subtils, ramasseurs marrons des clientèles d'officines d'hypnotiseurs professionnels ; livres qui conduisent de malheureux malades, pieds et poings liés, aux « psychothérapeutes » se refilant le client jusqu'à épuisement de ses ressources d'argent, de patience, de vie ! Les livres de médecine soignante ou de vulgarisation de la médecine officielle, quelle bonne blague... pour eux qui ne tiennent pas à être malades ou ne font rien pour le devenir ! Dans ces livres, la maladie y est traitée comme si elle ressemblait toujours à elle-même, cependant que, d'un malade à un autre, elle différencie de nature, d'intensité même, d'une heure à une autre. Devant ce fait, à quoi sert toute cette littérature, dite de vulgarisation médicale ? Un médecin est appelé au chevet d'un malade et diagnostique une affection toute autre que celle dépistée par un premier médecin appelé la veille ; cela s'explique facilement. Ces deux médecins ont raison tous les deux. Confrontez-les, ils ne s'entendront que si le consultant les garde tous les deux. Deux raisons s'offrent à expliquer cette attitude : la première, c'est qu'en quelques heures, ainsi que nous le disons plus haut, le mal peut changer de nature, se déplacer ; la seconde, c'est qu'un médecin qui revient d'une erreur, en face d'un client, est perdu vis-à-vis de ce dernier. On croit trop facilement que le médecin ne peut jamais se tromper et, de même, que la maladie ne le trompe pas. Un médecin-naturiste (pourquoi pas des pharmaciens naturistes aussi ?) a demandé que chacun fasse son apprentissage de malade, pour être capable de se choisir un bon médecin ! C'est absolument comme si l'on demandait à quelqu'un de se faire cordonnier pour acheter de bonnes chaussures. Chacun sait combien de défaites cela vaut, pour un électeur, de chercher à avoir un bon député ! Si, pour savoir se choisir un médecin, il fallait passer son existence à être malade, se laisser transformer en écumoire par les piqûres et les vaccins et s'ivrogner de médicaments jusqu'à se faire interner, les rôles de malade et d'électeur s'identifieraient, dans le plus grand supplice de la compréhension humaine. Ce serait peut-être un moyen conduisant l'humanité vers la sagesse qui sait se passer de députés et de médecins ‒ ils sont souvent les deux à la fois ‒ par motif de suppression de leur nécessité, même quand ils se disent « naturistes ». Laissons le médecin aux malades, plus ou moins volontaires et voyons l'hygiéniste à son rayon ; car, là encore, on tient boutique. L'hygiéniste, quand il ne nous a pas indiqué cent produits de sa signature, avec des noms bizarres où il se reconnaît du reste à peine lui-même, nous aura comblés de littérature (lui aussi !) et de conseils, admettons-le, sages et désintéressés. Il nous a dit : « Respirez profondément, ouvrez vos fenêtres la nuit, lavez[1]vous, chaque matin, le corps entièrement nu, à l'eau froide, portez des vêtements légers, fréquentez la campagne, la mer, la montagne, autant que vous le pourrez ». Mais, la consultation terminée, notre éminent hygiéniste s'entoure de plusieurs épaisseurs de flanelles (de sa marque), de tricots « spéciaux », de paletots, de pardessus, de trench-coats, puis s'engouffre dans le métro, ou dans sa limousine plus souvent, pour, de la journée, de la semaine, d'un mois à un autre, y être enfermé pour courir les adresses de ses clients ‒ de plus en plus nombreux ‒ entre deux bains de vapeur ! Sur ses conseils, vous achetez ‒ chez lui ‒ un spiroscope, des instruments à singer le travail utile, des haltères de toutes natures, des cordes à nœuds, et une foule d'attirails qui feront ressembler l'endroit où on les resserre, à un coin de tribunal sous l'Inquisition ! Notre hygiéniste aura sa gymnastique « spéciale », condamnant toutes les autres. Il excellera dans l'art de créer, de toutes pièces, un régime excluant tout ce que ses confrères auront permis et recommandant tout ce qu'ils auront interdit. Et tout cela, avec force théories qui lui vaudront d'être la véritable « Sorbonne » d'une foule de sociétés, dites savantes. Quelquefois, un établissement spécial ‒ le sien ‒vous est plus particulièrement imposé et l'on vous y soigne en « ami » pendant tout le temps... nécessaire. La maladie a ainsi créé ses commerces, ses industries, ses politiques, ses modes, ses arts, ses sciences, ses intrigues et ses poètes ! Dénoncer tout cela, ce serait soulever un monde, et quel monde ! Nous ne voulons pas, ici, nous spécialiser dans cette partie, quelque belle œuvre de salubrité que ce soit. Nous en avons juste assez dit pour que soient avertis ceux qui ne sont pas tout à fait inaptes à la santé du corps et de l'esprit. ‒

L. RIMBAULT

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