"En France, nos bureaucrates socialistes les plus exaltés ne furent jamais que d'austères noyauteurs d'assemblées, des pisse-froid responsables. Ici, tout concourt plutôt à annihiler la moindre forme d'intensité politique. Ce qui permet que l'on puisse toujours opposer le citoyen au casseur. Et puiser dans un réservoir sans fond d'oppositions factices: usagers contre grévistes, antibloqueurs contre preneur d'otages, braves gens contre racailles. Une opération quasi linguistique qui va de pair avec des mesures quasi militaires. Les émeutes de novembre 2005 et, dans un contexte différent, les mouvements sociaux de l'automne 2007 ont fourni quelques exemples du procédé. L'image des étudiants à mèche de Nanterre applaudissant aux cris de "allez les bleus" l'expulsion de leurs condisciples par la police, ne donne ainsi qu'un mince aperçu de ce que l'avenir nous réserve."
"Certains mots sont comme des champs de bataille, dont le sens est une victoire, révolutionnaire ou réactionnaire, nécessairement arraché de haute lutte. Déserter la politique classique signifie assumer la guerre, qui se situe aussi sur le terrain du langage. Ou plutôt sur la manière dont se lient les mots, les gestes et la vie, indissociablement. Si l'on a mis tant d'efforts à emprisonner pour terrorisme quelques jeunes paysans communistes qui auraient participer à la rédaction de l'insurrection qui vient, ce n'est pas pour un "délit d'opinion", mais bien parce qu'ils pourraient incarner une manière de tenir dans la même existence des actes et de la pensée. Ce qui n'est généralement pas pardonné. Ce dont on accuse ces gens, ce n'est ni d'avoir écrit quelque chose, ni même de s'être attaqués matériellement aux sacro-saints flux qui irriguent la métropole. C'est qu'ils s'en soient possiblement pris à ces flux, avec l'épaisseur d'une pensée et d'une position politique. Qu'un acte, ici, ait pu faire sens selon une autre consistance du monde que celle, désertique, de l'Empire. L'antiterrorisme a prétendu attaquer le devenir possible d'une "association de malfaiteur". Mais ce qui est attaqué en réalité c'est le devenir de la situation. La possibilité que derrière chaque épicier se cachent quelques mauvaises intentions, et derrière chaque pensée les actes qu'elle appelle. La possibilité que se propage une idée du politique, anonyme mais rejoignable, disséminé et incontrôlable, qui ne puisse être rangée dans le cagibi de la liberté d'expression."
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