Si l'on excepte les mots
techniques ou désignant quelque objet ou acte incomplexe, la plupart des termes
du langage courant ont des acceptions multiples ou vagues, soit par l'effet des
fluctuations de l'usage, soit en raison de la difficulté qu'il y a à délimiter
le concept qu'ils expriment. Le mot mémoire est au nombre de ces derniers.
Quelle est l'essence, quelle est l'étendue des phénomènes que symbolise le
vocable mémoire ? Dans son sens le plus large, le mot mémoire exprime la
persistance du passé dans le présent, « un effet consécutif d'événements disparus
sur les phénomènes actuels ». (H. Piéron). Mais alors, il faut en doter les
corps bruts. Auguste Comte a écrit : « La faculté de contracter de véritables
habitudes, c'est-à-dire des dispositions fixes, d'après une suite suffisamment
prolongée d'impressions uniformes, faculté qui semblait exclusivement
appartenir aux êtres animés, n'est-elle pas aussi clairement indiquée, pour les
appareils inorganiques eux-mêmes. » En vibrant, les instruments de musique
acquièrent la propriété de vibrer davantage. L'usage les rend plus sonores. Or,
nous dit le professeur Pierre Delbet : « L'habitude (voir ce mot) est une
mémoire. On peut aussi bien dire inversement que la mémoire est une habitude.
Il n'y a pas de différence entre les deux phénomènes. » C'est là l'opinion de
beaucoup de physiologistes qui admettent une forme inorganique de la mémoire. «
Qu'est-ce que la déformation de l'épine dorsale contractée, chez tant de jeunes
enfants, à la suite d'une position vicieuse habituelle ? C'est tout simplement
le signe extérieur, la preuve de la mémoire du rachis. » (Van Biervliet). Une
mauvaise direction pédagogique déforme le corps comme l'esprit, Le magnétisme
rémanent, les transformations moléculaires d'un métal sons l'influence de
vibrations longtemps épétées, l'image photographique révélée longtemps après
exposition sont évidemment le prolongement, dans les réactions présentes d'une
action passée. Si cette extension du mot mémoire au domaine dé la matière brute
est souvent rejetée, on fait moins de difficultés pour admettre la mémoire
biologique. On a vu, dans la mémoire, un phénomène de résonance caractéristique
de la vie (Le Dantec). L'héritage dans une lignée serait un fait de mémoire.
(Richard Semon ; Eugénie Rignano). L'immunité acquise après certaines maladies
ou certaines inoculations serait comparable à un souvenir. Et les expériences
de Pavlov et de ses élèves viennent appuyer cette manière de voir. Voici l'une
des plus récentes. Si l'on injecte une albumine dans le péritoine d'un animal,
ce dernier réagit par une sécrétion qui neutralise les effets de la substance
injectée. Que l'on répète souvent l'épreuve en l'accompagnant de l'émission
d'une même note de musique, il arrivera un moment où le seul excitant musical,
sans injection d'albumine, suffira à provoquer la sécrétion coutumière. Il y a
là un fait de tout point comparable au ravivement d'un souvenir par l'effet
d'une sensation qui lui a été antérieurement associée. La mémoire
psychologique, à son tour, comporte une infinité de degrés dont les premiers se
relient aux formes précédentes. Ce sont des animaux inférieurs qui placés en
aquarium prennent leurs attitudes habituelles à l'heure de la marée dont ils ne
ressentent plus les effets. Ce sont des rythmes qui persistent lorsque la cause
qui leur avait donné naissance s'est inversée. L'homme qui est appelé à
travailler de nuit, conserve, quelques jours, le minimum de température
nocturne que le repos ne motive plus. Cependant. dès que l'on s'élève dans la
série animale, un facteur nouveau apparaît ou du moins devient prépondérant
(car il se manifestait déjà dans les expériences de Pavlov) : c'est la mémoire
associative. « La mémoire associative consiste essentiellement en ceci qu'une
réaction provoquée par un facteur apparaîtra sous l'influence d'une autre
facteur qui aura été plus ou moins souvent associé au premier. » C'est le chien
qui las d'être enfermé manifeste sa joie lorsque son maître et son chapeau.
C'est le bébé qui remue avidement les lèvres lorsqu'il voit allumer le réchaud
sur lequel on fait tiédir sa bouillie. La mémoire humaine ne paraît différer de
la mémoire animale que parce que l'individu prend connaissance de lui-même par
le dedans, c'est-à-dire subjectivement. L'influence du passé dont le
physiologiste (qui l'étudie du dehors, objectivement) reconnaît le caractère
matériel, se manifeste à nous par des images qui semblent insubstantielles.
Nous nous figurons que le passé se représente à nos yeux. Pourtant la mémoire
résulte du jeu d'une fonction comme toute autre ; l'acquisition des souvenirs
se fait suivant une loi semblable à celle qui régit certaines réactions
physicochimiques. En adoptant la définition la plus générale du fait de mémoire
nous ne trouvons pas de solution de continuité entre le monde inorganique et le
spécimen le plus évolué des êtres organisés ; l'application d'une même
désignation à l'ensemble est justifiée. Les psychologues, pour la plupart,
repoussent cette extension. Certains, comme Th. Ribot ont laissé de côté les
faits physiques et les habitudes du monde végétal. D'autres, plus rigoureux ne
veulent comprendre dans le concept mémoire que ce qui est reproduction
spontanée et non simple conservation « alors le souvenir doit être défini, non
plus un état qui dure, mais un état qui renaît. » (Dugas). ‒Où serait-il entre
son origine et sa renaissance ? ‒En outre, il n'est point « le retour fixe, à
intervalle régulier, la persistance rythmique de perceptions passées, mais le
retour incertain, à un moment quelconque, de ces perceptions. » Réaction
appropriée aux circonstances « elle est un phénomène d'adaptation. » ‒Il est
pourtant des souvenirs fâcheux, d'effet nuisible. Il se distinguerait des
habitudes, uniformes, involontaires, car il est variable et conscient ‒et les
obsessions ? ‒Enfin le souvenir est intégré dans notre personnalité. « Un souvenir
c'est un événement qui n'est pas seulement venu à telle heure dans ma vie, mais
qui l'a marquée plus ou moins. » « Le souvenir doit avoir sa localisation dans
le temps et son attribution au moi. » Si subtile que soit cette définition,
qui, à la rigueur, pourrait s'appliquer à des animaux très inférieurs, elle a
son utilité si elle ne tend qu'à circonscrire et à réciser le caractère de la
mémoire humaine, la plus développée, la mieux nuancée, en laissant de côté la
genèse de la fonction. En réalité nous sommes bien en présence d'une série
continue. Au point de départ, la mémoire passive ou inerte, fragmentaire. Au
point d'arrivée, la mémoire active ou vive, systématisée. D'un bout de la
chaîne à l'autre la passivité se réduit et l'activité s'accroît. Mais ni l'une
ni l'autre, n'est jamais totalement absente. Un choc laisse une trace sur la
pierre qui le subit passivement, mais ce choc prolonge activement ses effets :
l'ébranlement moléculaire consécutif, la dégradation de la surface moins
résistante aux agents naturels. À l'opposé, lorsqu'un souvenir paraît surgir
spontanément, entrer en activité au moment favorable pour nous, il faut bien
qu'il ait son origine dans des empreintes, des modifications de la matière
organique dont notre corps est composé. La systématisation, nulle au début de
la série, se développe de même progressivement à mesure que les connexions
cellulaires et nerveuses prennent de l'importance. Il est important de
remarquer que « la mémoire doit être regardée comme une fonction dynamique et
non comme un magasin d'images ». (Von Monakow, Piéron). Il faut se garder de
considérer un souvenir comme un minuscule cliché conservé dans une cellule de
notre cerveau. Celles-ci sont assez nombreuses pour suffire à tous nos besoins
(plus de neuf milliards dans la seule écorce cérébrale), mais toute perception
complexe qui pénètre en nous se décompose en éléments. « La mémoire n'est pas
autre chose que le renforcement, la facilitation du passage de l'influx nerveux
dans certaines voies... La mémoire ne réside pas dans l'image, considérée comme
un ensemble statique, mais dans le pouvoir dynamique de reconstitution de la
perception, dont les éléments ne sont autres que des sensations, sensations
ravivées, sensations suscitées par une excitation d'origine centrale au lieu de
l'excitation périphérique habituelle, sensation qui pourrait aussi bien être
provoquée par une excitation électrique artificielle si nous pouvions limiter
celle-ci aux éléments corticaux utiles. » (Piéron). On a souvent opposé à la
mémoire, l'intelligence et la raison. Assurément, tant qu'il n'y a rien de plus
que la conservation de l'empreinte du passé, qu'il s'agisse de matière
inorganique (cas de la loi de Lenz-Le Chatelier) ou d'êtres vivants
(sensibilité différentielle) il peut y avoir réaction adaptée, mais c'est
seulement quand il y a liaison entre les traces laissées dans l'organisme par
des sensations simultanées que le psychisme peut s'ébaucher et quand des
relations s'établissent entre des ensembles de sensations ou phénomènes
consécutifs, que la raison commence à se manifester. L'intelligence est la
connaissance des rapports entre des phénomènes qui se sont succédé. Il ne peut
y avoir intelligence sans mémoire. Toute opération intellectuelle comporte une
association d'idées et cette association n'est possible que grâce à la
conservation de souvenirs intégrés à notre personnalité. De même que
l'assimilation des éléments par notre corps rencontre une limite, l'intégration
dans notre personnalité mentale de la multitude d'impressions qui nous assaillent
est soumise à des conditions, elle a des bornes, reculées sans doute, mais que
ne sauraient être transgressées sans risque de fourvoiement. Un afflux trop
considérable et trop précipité d'impressions provoque l'affolement de notre
esprit, l'impossibilité d'un classement, d'une élaboration qui ne peut résulter
que d'une fusion des sujets nouveaux avec l'essence des événements passés.
Faute d'un choix parmi les sensations perçues, leur masse confuse sera rejetée
en bloc, sans avoir été digérée, sans avoir nourri l'esprit. C'est le cas des
mémoires brutes, automatiques. Comment s'opère le choix des éléments à retenir
? Il exige d'abord l'attention, l'intérêt porté à une certaine catégorie de
phénomènes. « Quand on ne sait pas ce que l'on cherche, on ne comprend pas ce
que l'on trouve », a dit Claude Bernard. On encombre son cerveau de matériaux
inutilisables qui s'éparpillent après en avoir disloqué le tissu fragile.
Normalement, le plus grand nombre, parmi les collections d'impressions reçues,
ne rencontrant pas de semblables dans le contenu de notre appareil psychique,
passe inaperçu ou tombe presque aussitôt dans l'oubli. L'oubli est la condition
même de la mémoire associative. Parmi les faits retenus, une discrimination
s'effectue. Ceux qui concordent avec des expériences maintes fois reproduites,
qui ont provoqué des réactions constantes de notre comportement, servent
simplement à renforcer ces réactions, à consolider une habitude. Quant aux
autres, après une confrontation immédiate ou différée, suivant les cas, avec
les données antérieurement enregistrées, ils sont incorporés à notre patrimoine
intellectuel. Tout fait qui prend place parmi nos souvenirs a été l'objet d'un
jugement préalable ; à son tour il est le point de départ de nouveaux
jugements. Mémoire, association et raison progressent de conserve. Le fait de
mémoire, nous l'avons dit, n'est pas une image qui se dévoile, le passé qui se
reproduit intégralement. Nous ne vivons que dans l'instant présent, présent qui
est constitué par la synthèse de toute notre vie passée (passé ancestral
compris, au moins pour la partie qui n'a pas été éliminée au cours des
réductions génétiques.) Le souvenir d'un événement passé n'est jamais que le
passé influencé par tout ce qui nous est survenu depuis. Ceci est important
lorsqu'il s'agit d'apprécier la valeur des témoignages. Le témoin le plus
sincère peut, à son insu, dénaturer la vérité. On peut même avancer qu'aucun
témoin ne rapporte la vérité intégrale. Celle-ci ne peut venir, et encore à
grand peine, que de la confrontation d'un grand nombre de témoignages. Testis
unus, testis nullus. La mémoire n'est pas une faculté complètement individualisée.
Elle est d'origine sociale pour une large part ; et cela explique la richesse
comparative de la mémoire humaine. Halbwachs a publié un ouvrage sur « les
cadres sociaux de la mémoire » où sont étudiés « les caractères et les
conditions de ces souvenirs précis, déterminés, localisés et datés, relatifs à
des événements qui n'ont eu lieu qu'une fois et qui ne se sont jamais
intégralement reproduits ». « Ce n'est donc pas de notre mémoire proprement
personnelle que notre passé tient la consistance, la continuité, l'objectivité
en un mot, qui le caractérise à nos propres yeux... il les doit à
l'intervention de facteurs sociaux, à la perpétuelle référence de notre
expérience individuelle, à l'expérience commune à tous les membres de notre
groupe, à son inscription dans des cadres collectifs auxquels les événements se
rapportent au fur et à mesure qu'ils se vivent, auxquels ils continuent
d'adhérer une fois disparus et au sein desquels nous en effectuons non
seulement la localisation, mais même le rappel. » (Blondel). « Comme la
perception générique, le souvenir proprement dit est l'acte d'une intelligence
socialisée et opérant sur des données collectives. » Pourtant l'action du
milieu social sur l'individu ne s'exerce pas toujours dans un sens favorable.
Nous avons vu que dans la série animale le progrès de l'intelligence était
parallèle à celui de la mémoire en voie d'organisation. Il en a été sans doute
de même au début des sociétés humaines. De la haute perfection de la mémoire au
début de la période historique, nous avons la preuve dans la transmission orale
des légendes et des longs poèmes, dans le rôle de la tradition dans l'évolution
des sociétés et la conservation des connaissances techniques. Il semble que
depuis lors la capacité mnémonique se soit restreinte plutôt qu'accrue, du
moins relativement aux exigences de la vie. « Les intelligences individuelles
ne paraissent pas non plus progresser nécessairement dans leur niveau moyen
pour ce qui est des races depuis longtemps civilisées ; le savoir seul est en
croissance. Le progrès mental est incontestable mais il concerne le savoir ; or
le savoir n'est plus individuel ; il n'est pas héréditaire non plus,
semble-t-il, il est social. L'évolution biologique de la mémoire paraît
terminée ; mais il existe en outre une évolution sociale de la mémoire qui, à
notre époque, est déjà singulièrement avancée. » (Piéron). Le volume moyen des
cerveaux reste le même, les bibliothèques s'agrandissent. « Mais le progrès
risque d'être enrayé par la charge de plus en plus lourde des acquisitions
antérieures que doivent traîner les générations nouvelles ; la force excessive
de la mémoire sociale devient réellement dangereuse pour l individu qu'elle
emprisonne et qu'elle stérilise ». (id.) Quelle direction devons-nous donc
donner à l'enseignement théorique et technique pour que le savoir ne porte pas
préjudice à l'intelligence ? Devons-nous tenir pour suspecte une très bonne
mémoire ? Non, Comme le fait remarquer P. Delbet : « C'est une grande force de
pouvoir évoquer d'un coup un nombre considérable de souvenirs, de façon à
envisager les phénomènes au point de vue le plus général. » Il dit encore : «
Pour moi qui fais passer des examens de chirurgie, la question est celle-ci. En
présence d'un malade, le candidat devenu médecin, retrouvera-t-il ses souvenirs
? L'excitation causée par la constatation d'un symptôme sera-t-elle suffisante
pour faire entrer en fonction ses cellules cérébrales ? Si oui, le candidat
sait. Si non, il ne sait pas. Ses connaissances sont pratiquement inutilisables
; elles sont comme si elles n'étaient pas. » Il faut donc cultiver la mémoire.
Et cette culture est à la fois psychologique et physiologique. Les impressions
pénètrent en nous par les sens. Il faut donc développer, aiguiser, fortifier
les sens. Œuvre de détail et aussi d'ensemble, car le fonctionnement des
organes de relation est dans la dépendance de la santé générale. Il faut que
les impressions ne soient pas fugitives, ce qui réclame l'attention, d'abord
sensibilité soutenue de tout l'organisme à tout changement, état qui ressortit
au tonus musculaire et nerveux, puis concentration de cette sensibilité sur un
objet spécialement choisi dans l'ensemble des faits particuliers qui composent
le phénomène total observé. Ceci réclame la mise en jeu de l'énergie psychique
et aussi de l'activité de tout l'être, car il faut analyser le phénomène,
raviver les souvenirs anciens pour établir des relations entre les impressions.
passées et celles du présent, enfin introduire celles-ci dans la personnalité.
Ceci constitue un jugement. L'intégration à la personnalité resterait précaire,
si le souvenir qui vient d'être emmagasiné demeurait inerte. Il faut donc qu'à
son tour il soit le point de départ de processus analogues, qu'il entre
fréquemment en activité. Perfectionnement de la sensation, de l'attention du
jugement, de l'activité, voilà en quoi consiste la culture de la mémoire. Et la
recherche de ces qualités serait compromise si l'état physique de l'individu
n'était pas lui-même l'objet de soins assidus. La mauvaise opinion que nous
avons de la mémoire vient de ce que nous confondons les souvenirs dus à un
travail personnel avec la mémoire paresseuse ou infirme qui consiste à retenir
des jugements tout faits sur des objets que d'autres ont observés, à saturer le
cerveau de reflets de deuxième ordre. Devons-nous aller jusqu'à rejeter
l'expérience de nos devanciers, former les esprits en leur faisant parcourir à
nouveau le cycle d'essais et d'hypothèses qui ont amené la science à son état
actuel ? Cela serait impraticable. D'ailleurs, durant le premier âge, l'enfant
est naturellement conduit à utiliser à la fois l'expérience des adultes qui
l'entourent et la sienne propre ; sa raison naissante a besoin du secoursde
leur raison. Mais c'est à des objets qui sont à sa portée, aux événements de sa
vie même que doivent se rapporter les règles logiques dont on lui montre
l'usage. L'enseignement des sciences devra être accompagné d'un résumé de leur
histoire. La répétition du processus de découverte est même de rigueur pour
quelques lois essentielles. Ainsi, sans surcharger la mémoire de l'enfant, en
fera naître en lui l'ambition de créations personnelles ou tout au moins de
combinaisons nouvelles. On a prétendu soulager la mémoire grâce à des procédés
artificiels dits mnémotechniques. Tout l'exposé que nous avons fait condamne
ces artifices le plus souvent puérils. Le véritable appui de la mémoire est
l'intérêt que porte l'élève au sujet étudié, s'ajoutant à la conscience qu'il
prend des liens logiques qui l'unissent aux connaissances déjà acquises.
L'apprentissage doit s'inspirer des mêmes principes. L'habitude, nous l'avons
vu, n'est qu'une forme de la mémoire. Si celle-ci risque d'être automatique et
bornée, celle-là peut devenir routinière et exclusive. La formation
professionnelle ne doit pas se restreindre à une spécialité unique. Le degré
d'entraînement d'un organe et d'une faculté isolés est limité ; pour gagner un
échelon, il faut faire profiter l'ensemble. Il y a un équilibre obligé dans le
jeu de tous les appareils vitaux ; l'éducation technique est dans la dépendance
de la culture générale, elle requiert une sensibilité étendue, du jugement, une
personnalité puissante. Le développement du machinisme moderne, séparant la
pensée de l'action, uniformisant et disciplinant sévèrement les gestes,
refrénant les initiatives, abolissant la personnalité, met en danger la
civilisation plus encore que l'esclavage antique. Étroite spécialisation,
taylorisation du travail non compensée par la variété des occupations, autant
de menaces pour l'intelligence humaine. ‒
G. GOUJON.
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