vendredi 24 décembre 2021

L'insurrection qui vient Par Comité invisible

 "Pour la méthode, retenons du sabotage le principe suivant: un minimum de risque dans l'action, un minimum de temps de risque dans l'action, un minimum de dommages. Pour la stratégie, on se souviendra qu'un obstacle renversé mais non submergé - un espace libéré mais non habité - est aisément remplacé par un autre obstacle, plus résistant et moins attaquable.

Inutile de s'appesantir sur les trois types de sabotage ouvrier: ralentir le travail, du "va-y-mollo", à la grève du zèle; casser les machines ou en entraver la marche; ébruiter les secrets de l'entreprise. Elargies aux dimensions de l'usine sociale, les principes du sabotage se généralisent de la production à la circulation. L'infrastructure technique de la métropole est vulnérable: ses flux ne sont pas seulement transports de personnes et de marchandises, informations et énergie circulent à travers les réseaux de fils, de fibres et de canalisations, qu'il est possible d'attaquer. Saboter avec quelque conséquence la machine sociale implique aujourd'hui de reconquérir et réinventer les moyens d'interrompre ses réseaux. Comment rendre inutilisable une ligne TGV, un réseau électrique? Comment trouver les points faibles des réseaux informatiques, comment brouiller des ondes radios et rendre à la neige le petit écran?

Quant aux obstacles sérieux, il est faux de réputer impossible toute destruction. Ce qu'il y a de prométhéen là-dedans tient et se résume à une certaine appropriation du feu, hors tout volontarisme aveugle. En 356 av.J.C., Erostrate brûle le temple d'Artémis, l'une des sept merveilles du monde. En nos temps de décadence achevée les temples n'ont d'imposant que cette vérité funèbre qu'ils sont déjà des ruines.

Anéantir ce néant n'a rien d'une triste besogne. L'agir y retrouve une nouvelle jeunesse. Tout prend sens, tout s'ordonne soudain, espace, temps, amitié. On y fait flèche de tout bois, on y retrouve l'usage - on n'est que flèche. Dans la misère des temps, "tout niquer" fait peut-être office - non sans raison, il faut bien l'avouer - de dernière séduction collective.

Fuir la visibilité. Tourner l'anonymat en position offensive.


Dans une manifestation, une syndicaliste arrache le masque d'un anonyme, qui vient de casser une vitrine: " assume ce que tu fais, plutôt que de te cacher". Etre visible, c'est être à découvert, c'est-à-dire avant tout vulnérable. Quand les gauchistes de tous pays ne cessent de "visibiliser" leur cause - qui celle des clochards, qui celle des femmes, qui celle des sans-papiers- dans l'espoir qu'elle soit prise en charge, ils font l'exact contraire de ce qu'il faudrait faire. Nos pas se rendre visible mais tourner à notre avantage l'anonymat où nous avons été relégués et, par la conspiration, l'action nocturne ou cagoulée, en faire une inattaquable position d'attaque. L'incendie de novembre 2005 en offre le modèle. Pas de leader, pas de revendication, pas d'organisation, mais des paroles, des gestes, des complicités. N'être socialement rien n'est pas une condition humiliante, la source d'un tragique manque de reconnaissance - être reconnu: par qui? - mais au contraire la condition d'une liberté d'action maximale. Ne pas signer ses méfaits, n'afficher que des sigles fantoches - on se souvient de l'éphémère BAFT ( brigade anti-flic des Tartarêts) - est une façon de préserver cette liberté. De toute évidence, constituer un sujet " banlieue" qui serait l'auteur des "émeutes de novembre 2005" aura été l'une des premières manœuvres défensives du régime. Voir la gueule de ceux qui sont quelqu'un dans cette société peut aider à comprendre la joie de n'y être personne.

La visibilité est à fuir. Mais une force qui s'agrège dans l'ombre ne peut l'esquiver à jamais. Il s'agit de repousser notre apparition en tant que force jusqu'au moment opportun. Car plus tard la visibilité nous découvre, plus forts elle nous trouve. Et une fois entré dans la visibilité, notre temps est compté. Soit nous sommes en état de pulvériser son règne à brève échéance, soit c'est lui qui sans tarder nous écrase."

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