vendredi 10 décembre 2021

Bête et méchant. Par François Cavanna

 Cité par Cavanna dans son livre "Bête et méchant", Cabu parle:

"—Oh, et puis, bon, dit Cabu, on va pas se mettre à regretter, non ? Avant, je faisais la pige[26] , comme les copains, à Ici-Paris, Le Hérisson et toute la merde. J’aimais pas ça. Je revenais du service, j’avais jamais rien vu en dehors de Châlons-sur-Marne, j’ai toujours su que je ferais du dessin et rien d’autre, je suis venu à Paris, j’ai tout fait, même des caricatures-minute place du Tertre avec les faux rapins à touristes–faut pas croire, ils se font du fric, là, un vrai racket, ils ont des places attitrées, il y a des fois des bagarres –, même la tournée des plages en juillet-août j’ai fait, les mères de famille et leurs lardons, deux francs le crobard, ils faisaient la queue, et si c’est pas ressemblant mais en plus beau les morveux font la gueule et maman ne veut pas payer… Je meplains pas, j’aime ça, moi, dessiner, j’arrêterais pas, et puis j’aime bien me balader, mais ça marche seulement deux mois par an, et le reste du temps la place du Tertre, ça, non, à dégueuler, et Ici-Paris et les autres, ouh là là, je broyais du noir, je me voyais, au mieux au mieux, si j’étais bien patient bien sage, devenir un bon petit fonctionnaire de l’humour cucul, châtré, conifé, comme ces pauvres vieux que nous connaissons tous et qu’on voit, à quatrevingts berges, continuer à traîner leur prostate dans les escaliers pour proposer toujours les mêmes éternelles merdouilles… Et si t’es bien vu de la direction, tu auras un jour, récompense suprême, ton coin de page attitré avec ton nom imprimé en gros dans un petit rectangle pour draguer la serveuse de la crêperie… Horrible."

"Sifflement général d’admiration. On sait tout ça, mais on ne manque jamais de rendre hommage àl’organe puissant du géniteur. Cabu rougit encore plus, et puis rit à pleines mâchoires. Une heureuse nature, Cabu. Son rire est toujours là, pas bien loin, prêt à fuser dans des effarements de pucelle chatouillée. Ses yeux de faïence à décor bleu, ses yeux de petit enfant à fossettes. Ils ne guettent que ça : l’occasion d’un fou rire. Il a vingt-trois ans, en paraît quinze, n’en aura jamais davantage, il a jeté l’ancre une fois pour toutes. Il trimbale une dégaine d’escogriffe qui use les fringues du grand frère, superpose les pull-overs tricotés par la tante restée demoiselle. Une tignasse de chien briard taillée au bol lui tombe aussi épais sur les yeux que sur la nuque, va savoir où est le côté de la queue, où est celui de la truffe. Cabu est resté le môme qui traîne son cartable sur le chemin de la communale, n’évitant aucune flaque, fendu jusqu’aux oreilles aux cochonneries que lui débite un copain. Cabu raffole des obscénités, bien énormes et bien grasses. Nous aussi, tiens donc, mais Cabu s’en ferait mourir."

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