MÉMOIRES
n. pl. Pa
n. pl. Par extension du sens
du mot mémoire qui indique la faculté de se souvenir, on appelle Mémoire, avec
une majuscule, un plaidoyer écrit et Mémoires, au pluriel, des récits
d'événements auxquels l'auteur a été directement mêlé ou dont il a été témoin.
Parmi les Mémoires les plus célèbres pour soutenir des causes devant des juges
ou devant l'opinion publique, il y a ceux composés par Voltaire pour les
défenses de Sirven, de Calas, du chevalier de La Barre, et aussi ceux de
Beaumarchais où l'on trouve de curieuses indications sur les mœurs judiciaires,
celles des juges et des plaideurs, à la veille de la Révolution française.
Proudhon a expliqué qu'en écrivant ses deux Mémoires contre la Propriété, il
avait eu pour but de « refaire toute la législation en substituant de nouveaux
principes aux anciens », et il a défini ainsi le « genre Mémoire » qui lui paraissait
lui convenir : « Moitié science, moitié pamphlet, noble, gai, triste ou
sublime, parlant à la raison, à l'imagination et au sentiment : je crois que je
ferai mieux de me tenir à cette forme. La science pure est trop sèche ; les
journaux trop par fragments ; les longs traités trop pédants ; c'est
Beaumarchais, c'est Pascal qui sont mes maîtres. Mais quel avantage j'ai sur
eux ! Je fais intervenir le monde entier dans mes écrits ; il n'est pas une
question de philosophie, de morale, de politique, que je ne puisse faire entrer
dans ces Mémoires. » (Proudhon : Lettres) Les Mémoires qui racontent les
événements appartiennent a la fois à l'histoire et à la littérature. Pour
l'histoire, ils sont une source de documents des plus précieux, avec les
annales, les chroniques et les archives. En littérature, ils sont un des genres
les plus vivants et, comme tel, ils ont toujours eu la faveur du public, de
préférence aux œuvres d'imagination dont le succès est soumis davantage aux
caprices de la mode. Ce sont eux surtout qui, parmi les matériaux de
l'histoire, la font lire avec plaisir parce que les événements en sont curieux
», disait Mably, et il ajoutait : « Je ne suis plus un lecteur qui lis, je suis
un spectateur qui vois ce qui se passe sous mes yeux ». Ph. Chasles a constaté
qu'en France les Mémoires historiques et littéraires étaient des produits de la
sociabilité particulière formée par la sagacité et l'esprit d'analyse et
d'ironie. Il a écrit : « De cette sociabilité française émana le Mémoire
historique, le seul genre d'histoire qui nous convienne, celui dans lequel nous
avons excellé. Notre histoire véritable, ce sont des lettres, des anecdotes et
des portraits, œuvres de bonhomie et de vanité, où l'amour propre prend ses
aises. La vie en France se compose d'actes et de sensations beaucoup plus
rapides et plus vifs que dans les autres pays de l'Europe ; ces sensations
recueillies par nos gens de cour, d'église ou de cabinet, forment une admirable
galerie d'études sur l'humanité vue dans l'état social. Aux Mémoires de Retz de
Saint-Simon, de Mme de Staël, aux Confessions de Jean-Jacques, les peuples
étrangers ne peuvent rien opposer ; c'est de l'esprit, de l'éloquence, de la
conversation et du drame ». Sainte-Beuve a remarqué que : « Tout homme qui a
assisté à de grandes choses est apte à faire des Mémoires ». Nous verrons plus
loin que les Mémoires ne méritent pas toujours une entière confiance par leur
exactitude. Voltaire disait que « l'histoire est le récit des faits donnés pour
vrais, au contraire de la fable qui est le récit des faits donnés pour faux ».
C'est en produisant à la fois le récit des faits donnés pour vrais et donnés
pour faux que les Mémoires sont de l'histoire et de la littérature. Mais si
tendancieux qu'ils soient, ils contiennent toujours une vraisemblance, sinon
une vérité, que n'ont pas la légende, la fable, le roman. Ils font penser que
si les faits ne se sont pas produits exactement comme ils sont racontés, si les
individus n'ont pas été absolument tels qu'on les a ou qu'ils se sont dépeints,
ils pouvaient se produire ou être ainsi. C'est cette vraisemblance qui a permis
le plutarquisme (voir ce mot) par ses apparences de vérité. Elle manque, malgré
les références de certains livres appelés « historiques » aux fantasmagories
adaptées à l'histoire d'après la mythologie, et il faut les pauvres cervelles
dévoyées par la Bible pour croire aux Samson et aux Jonas transposés des fables
d'Hercule par les Hébreux imitant les Grecs. Il faut de même avoir le crâne
bourré de religion et de nationalisme pour arriver à se convaincre «
historiquement » que saint Denis marcha en portant sa tête dans ses bras, que
l'étendard des rois fut remis par un ange à des moines, que le Saint Esprit
apporta du ciel l'huile dont ces mêmes rois seraient oints à leur couronnement,
que des voix célestes commandèrent à Jeanne d'Arc de sauver la France, que des
immortelles poussèrent à l'île d'Aix sous les pas de Napoléon et que sainte
Geneviève arrêta la marche des Allemands en 1914. Par contre, il suffit que la
plupart des mots historiques soient vraisemblables pour qu'ils soient tenus
pour certains, le plutarquisme aidant. Les annales ont été la première forme de
l'histoire. Elles ont consisté dans l'enregistrement chronologique des
événements dont on voulait conserver le souvenir. Celles des Chinois,
Assyriens, Égyptiens, Grecs, Romains sont du plus grand intérêt pour l'histoire
de la haute antiquité. Leur synonyme fastes visait particulièrement les faits
glorieux chez les Romains. On donne encore le nom d'annales à nombre de
publications qui enregistrent les événements au fur et à mesure de leur
production. Les commentaires sont les notes sommaires écrites par un personnage
illustre sur les faits auxquels il a été mêlé. Ce genre a son modèle dans les
Commentaires de César. On a aussi appelé commentaires des ouvrages qui sont
plutôt des chroniques ou des mémoires comme ceux de Montluc ou de Rabutin. Les
archives sont les collections de titres spéciaux, de chartes, de contrats, et
généralement de tout ce qui était la coutume, le droit coutumier public ou
privé des communautés ou des familles. Les archives nationales sont réunies
dans des bibliothèques spéciales sous la garde d'archivistes. Les annales,
augmentées de commentaires, devinrent les premières histoires. Tacite a appelé
Annales ses récits des faits qui lui ont été antérieurs et Histoires ceux des
faits de son temps. Des annales sortirent les chroniques qui furent l'histoire
écrite au moyen âge. Elles donnèrent plus ou moins de développement aux annales
pour fournir simplement de sèches énumérations de faits ou de véritables récits
historiques. Les plus célèbres, rédigées par des laïques, furent celles de
Villehardouin, de Joinville et de Froissart, mais le plus grand nombre fut
écrit par des religieux. Elles avaient été précédées de la Chronique d'Eusèbe
continuée par saint Jérôme, de celles de Grégoire de Tours, de Frédégaire, de
Flodoard qui sont les documents à peu près uniques sur lesquels l'histoire des
mille premières années du moyen âge a été établie. On a appelé Grandes
Chroniques de France celles rédigées à l'abbaye de Saint-Denis jusqu'en 1350.
Une liste détaillée des chroniques du moyen âge a été donnée dans la
Bibliotheca historica de Potthast. Les bénédictins de Saint-Maur commencèrent.
le recueil des Historiens des Gaules et de la France dont les deux premiers
volumes parurent sous le nom de Dom Bouquet en 1738. Depuis 1834, la Société de
l'Histoire de France publie la Collection de textes pour servir à l'étude de
l'histoire et fait paraître chaque année six volumes d'anciennes chroniques. La
chronique devint les Mémoires lorsque l'auteur prit une place personnelle de
plus en plus importante dam le récit. Elle mêla alors aux faits historiques et
d'ordre général des points de vue particuliers intéressants, surtout quant aux
mœurs et à l'état de la critique. Les Souvenirs de Mme de Caylus, qui seraient
apocryphes d'après M. Funck-Brentano, et les Confessions de J.-J. Rousseau sont
en ce sens des Mémoires. L'histoire a trouvé une mine inépuisable, après les annales
et les chroniques, dans des Mémoires comme ceux de Du Clercq et de Commines
(XVème siècle), d'Olivier de la Marche, de Montluc, de Saulx-Tavaunes, de La
Noue, de d'Aubigné, de la reine de Navarre, de Pierre de l'Estoile (XVIème
siècle). À partir du XVIIème siècle, ils se multiplièrent. Il n'est guère
d'hommes d'État, de guerre ou d'église, de grands seigneurs et de mondains qui
n'aient écrit les leurs, depuis Sully jusqu'aux principaux acteurs de la
Révolution. Il faudrait une longue nomenclature pour les citer tous. Les
Mémoires les plus célèbres sont ceux du temps de la Fronde, ceux de Retz, de
Molé, de Mm. de Montpensier, puis ceux de La Rochefoucauld, de Dangeau, de
Saint-Simon, de l'abbé de Choisy, de La Porte, de Mme de La Fayette, de Duclos,
du maréchal de Richelieu, de Mme du Hausset sur la Pompadour, de d'Argenson, de
Bachaumont, de Mme de Campan sur la vie privée de Marie-Antoinette, de Mme
d'Epinay, de Mme du Deffand, etc... Nombreux aussi sont les mémoires du temps
de la Révolution qui vit en particulier ceux de : Mme Roland d'une si grande
élévation et d'une si sereine pensée. Au XIXème siècle, les Mémoires furent de
toutes sortes, depuis ceux militaires des maréchaux de l'Empire, ceux appelés
Mémorial de Sainte-Hélène auxquels Napoléon collabora pour mettre un dernier
maquillage sur son histoire, ceux politiques de Chateaubriand, de Mme de
Rémusat qui fut un témoin lucide et un juge sévère de la cour impériale, ceux
politiques aussi de Guizot, ceux littéraires d'A. Dumas, de P. de Kock et
autres, jusqu'à ceux de M. Claude qui sont un bas feuilleton policier écrit
dans un style d'une platitude désarmante. Il y eut aussi les Mémoires
fantaisistes ; ceux de Joseph Prudhomme, prototype de Foutriquet, de Bouvard et
Pécuchet, de Tribulat Bonhomet, du père Ubu, de M. Lechat, écrits par Henri
Monnier, sont les plus réussis. La fantaisie se mêla de plus en plus aux
Mémoires pour les transformer en romans généralement inférieurs. Aujourd'hui,
il n'est pas de soliveau ministériel ou académique, de cabotin ou de catin à la
mode, ayant joué un rôle plus ou moins malfaisant, ridicule ou scandaleux, qui
n'écrive ou plutôt ne fasse écrire « ses Mémoires » par quelque plumitif
affamé. On a eu, il n'y a pas longtemps, ceux de Mme Otero qu'une publicité
sans pudeur compara aux Confessions de J.-J. Rousseau !... Diverses collections
réunissent les Mémoires qui ont fourni à l'histoire le plus intéressant des
apports : celle des Mémoires relatifs à l' Histoire de France, par Petitot et
Monmerqué (1819-1829) en 130 volumes ; celle des Mémoires relatifs à l'Histoire
de France depuis la fondation de la monarchie française jusqu'au XIIIème
siècle, réunie par Guizot (1823-1835) en 31 volumes, et sa suite depuis le
XIIIème siècle jusqu'à la fin du XVIIIème, par Michaud et Poujoulat (1836-1839)
en 32 volumes ; celle des Mémoires relatifs à la Révolution Française, par
Berville et Barrière (1820-1827) en 55 volumes, et d'autres. Il faut citer
encore les Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres suivis de
ceux de l'Institut, ceux de l'Académie des Sciences, et la collection des
Mémoires sur l'art dramatique où sont réunis ceux de Goldoni, Collé, Mlle
Clairon, Talma et d'autres auteurs ou acteurs, formant 14 volumes. Citons
enfin, parmi les Mémoires d'auteurs étrangers, ceux de Frédéric II, de
Catherine II, de Franklin, de Mme Elliott, de J efferson, de Rostopchine, et
parmi les Mémoires autobiographiques, ceux de Benvenuto Cellini, Casanova,
Luther, Gœthe, Wagner et Tolstoï. Tous les Mémoires dits « historiques » n'ont
pas la même valeur. Souvent, leurs récits ne doivent être admis qu'avec la plus
grande circonspection et après de nombreuses confrontations. À côté des
tendances particulières aux auteurs et qui dominent chez presque tous sur la
vérité historique, il faut tenir compte de celles des partis, et bien des
jugements sont sujets à caution. Voltaire, comparant les Mémoires qui
paraissaient simultanément en Angleterre et en France, disait : « S'ils
s'accordent ils sont vrais ; s'ils se contrarient, doutez. » Renan a écrit à propos
des Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps, de Guizot : « C'est presque
une obligation pour l'homme qui a tenu dans sa main les grandes affaires de son
pays de rendre compte à là postérité des principes qui ont dirigé ses actes et
de l'ensemble de vues qu'il a porté dans le gouvernement. » Cela serait très
bien, si ces hommes n'avaient pas agi si souvent sans principes et n'étaient
pas surtout occupés, en écrivant leurs Mémoires, a donner le change sur leurs
erreurs pour rechercher des justifications posthumes. On attend toujours les
Mémoires d'un homme d'État qui, faisant loyalement son examen de conscience,
dira : « Voilà comment je me suis trompé. Tirez-en les enseignements
nécessaires !... » Ils sont pourtant nombreux ceux qui devraient s'exprimer
ainsi. Est-il, par exemple, un seul des responsables de la grande guerre qui
reconnaîtra son crime et son impéritie ? Non. La librairie est encombrée de la
masse de leurs Mémoires où ils étalent avec une impudente vanité leur prétendu
rôle dans la direction d'événements qui les avaient dépassés dès le premier
jour. Tous ces apprentis sorciers sont fiers des calamités qu'ils ont déchaînées
et de leur criminelle aberration. Un grand nombre de Mémoires sont apocryphes ;
d'autres sont nettement faux, tels ceux attribués à Mme de Maintenon. Voltaire,
qui a volontiers « plutarquisé » dans son Histoire du siècle de Louis XIV, en
disait : « Presque chaque page est souillée d'impostures et de termes
offensants contre la famille royale et contre les familles principales du
royaume, sans alléguer la plus légère vraisemblance qui puisse donner la
moindre couleur à ces mensonges. Ce n'est point écrire l'histoire, c'est écrire
au hasard des calomnies qui méritent le carcan. » Parmi les Mémoires
apocryphes, il y a des Mémoires de d'Artagnan, des Chroniques de l'Œil de Bœuf,
des Mémoires de Napoléon Bonaparte. Ce genre se retrouve dans celui, fort en
vogue aujourd'hui, des biographies romancées pour continuer à mêler à
l'histoire les fables les plus aventureuses, les fantaisies les plus grossières
et les plus tendancieuses. M. Daniel Mornet, maitre de conférences à la
Sorbonne, a sévèrement jugé ce genre en écrivant fort justement : « Les
biographies romancées sont dangereuses. Elles sont des écoles de truquage ou,
plus poliment, de rhétorique. Elles habituent à « farder la vérité » et à
goûter la vérité fardée. Elles sont à la vie vraie et à la conscience ce que
leur sont le monde où l'on se farde et la conscience de ceux qui s'y plaisent.
» Ce genre ne pouvait que convenir à notre époque où la sophistication s'étend
à tous les domaines pour égarer l'opinion et lui faire accepter,
démocratiquement, le retour à toutes les turpitudes du passé. ‒
Édouard ROTHENension du sens
du mot mémoire qui indique la faculté de se souvenir, on appelle Mémoire, avec
une majuscule, un plaidoyer écrit et Mémoires, au pluriel, des récits
d'événements auxquels l'auteur a été directement mêlé ou dont il a été témoin.
Parmi les Mémoires les plus célèbres pour soutenir des causes devant des juges
ou devant l'opinion publique, il y a ceux composés par Voltaire pour les
défenses de Sirven, de Calas, du chevalier de La Barre, et aussi ceux de
Beaumarchais où l'on trouve de curieuses indications sur les mœurs judiciaires,
celles des juges et des plaideurs, à la veille de la Révolution française.
Proudhon a expliqué qu'en écrivant ses deux Mémoires contre la Propriété, il
avait eu pour but de « refaire toute la législation en substituant de nouveaux
principes aux anciens », et il a défini ainsi le « genre Mémoire » qui lui paraissait
lui convenir : « Moitié science, moitié pamphlet, noble, gai, triste ou
sublime, parlant à la raison, à l'imagination et au sentiment : je crois que je
ferai mieux de me tenir à cette forme. La science pure est trop sèche ; les
journaux trop par fragments ; les longs traités trop pédants ; c'est
Beaumarchais, c'est Pascal qui sont mes maîtres. Mais quel avantage j'ai sur
eux ! Je fais intervenir le monde entier dans mes écrits ; il n'est pas une
question de philosophie, de morale, de politique, que je ne puisse faire entrer
dans ces Mémoires. » (Proudhon : Lettres) Les Mémoires qui racontent les
événements appartiennent a la fois à l'histoire et à la littérature. Pour
l'histoire, ils sont une source de documents des plus précieux, avec les
annales, les chroniques et les archives. En littérature, ils sont un des genres
les plus vivants et, comme tel, ils ont toujours eu la faveur du public, de
préférence aux œuvres d'imagination dont le succès est soumis davantage aux
caprices de la mode. Ce sont eux surtout qui, parmi les matériaux de
l'histoire, la font lire avec plaisir parce que les événements en sont curieux
», disait Mably, et il ajoutait : « Je ne suis plus un lecteur qui lis, je suis
un spectateur qui vois ce qui se passe sous mes yeux ». Ph. Chasles a constaté
qu'en France les Mémoires historiques et littéraires étaient des produits de la
sociabilité particulière formée par la sagacité et l'esprit d'analyse et
d'ironie. Il a écrit : « De cette sociabilité française émana le Mémoire
historique, le seul genre d'histoire qui nous convienne, celui dans lequel nous
avons excellé. Notre histoire véritable, ce sont des lettres, des anecdotes et
des portraits, œuvres de bonhomie et de vanité, où l'amour propre prend ses
aises. La vie en France se compose d'actes et de sensations beaucoup plus
rapides et plus vifs que dans les autres pays de l'Europe ; ces sensations
recueillies par nos gens de cour, d'église ou de cabinet, forment une admirable
galerie d'études sur l'humanité vue dans l'état social. Aux Mémoires de Retz de
Saint-Simon, de Mme de Staël, aux Confessions de Jean-Jacques, les peuples
étrangers ne peuvent rien opposer ; c'est de l'esprit, de l'éloquence, de la
conversation et du drame ». Sainte-Beuve a remarqué que : « Tout homme qui a
assisté à de grandes choses est apte à faire des Mémoires ». Nous verrons plus
loin que les Mémoires ne méritent pas toujours une entière confiance par leur
exactitude. Voltaire disait que « l'histoire est le récit des faits donnés pour
vrais, au contraire de la fable qui est le récit des faits donnés pour faux ».
C'est en produisant à la fois le récit des faits donnés pour vrais et donnés
pour faux que les Mémoires sont de l'histoire et de la littérature. Mais si
tendancieux qu'ils soient, ils contiennent toujours une vraisemblance, sinon
une vérité, que n'ont pas la légende, la fable, le roman. Ils font penser que
si les faits ne se sont pas produits exactement comme ils sont racontés, si les
individus n'ont pas été absolument tels qu'on les a ou qu'ils se sont dépeints,
ils pouvaient se produire ou être ainsi. C'est cette vraisemblance qui a permis
le plutarquisme (voir ce mot) par ses apparences de vérité. Elle manque, malgré
les références de certains livres appelés « historiques » aux fantasmagories
adaptées à l'histoire d'après la mythologie, et il faut les pauvres cervelles
dévoyées par la Bible pour croire aux Samson et aux Jonas transposés des fables
d'Hercule par les Hébreux imitant les Grecs. Il faut de même avoir le crâne
bourré de religion et de nationalisme pour arriver à se convaincre «
historiquement » que saint Denis marcha en portant sa tête dans ses bras, que
l'étendard des rois fut remis par un ange à des moines, que le Saint Esprit
apporta du ciel l'huile dont ces mêmes rois seraient oints à leur couronnement,
que des voix célestes commandèrent à Jeanne d'Arc de sauver la France, que des
immortelles poussèrent à l'île d'Aix sous les pas de Napoléon et que sainte
Geneviève arrêta la marche des Allemands en 1914. Par contre, il suffit que la
plupart des mots historiques soient vraisemblables pour qu'ils soient tenus
pour certains, le plutarquisme aidant. Les annales ont été la première forme de
l'histoire. Elles ont consisté dans l'enregistrement chronologique des
événements dont on voulait conserver le souvenir. Celles des Chinois,
Assyriens, Égyptiens, Grecs, Romains sont du plus grand intérêt pour l'histoire
de la haute antiquité. Leur synonyme fastes visait particulièrement les faits
glorieux chez les Romains. On donne encore le nom d'annales à nombre de
publications qui enregistrent les événements au fur et à mesure de leur
production. Les commentaires sont les notes sommaires écrites par un personnage
illustre sur les faits auxquels il a été mêlé. Ce genre a son modèle dans les
Commentaires de César. On a aussi appelé commentaires des ouvrages qui sont
plutôt des chroniques ou des mémoires comme ceux de Montluc ou de Rabutin. Les
archives sont les collections de titres spéciaux, de chartes, de contrats, et
généralement de tout ce qui était la coutume, le droit coutumier public ou
privé des communautés ou des familles. Les archives nationales sont réunies
dans des bibliothèques spéciales sous la garde d'archivistes. Les annales,
augmentées de commentaires, devinrent les premières histoires. Tacite a appelé
Annales ses récits des faits qui lui ont été antérieurs et Histoires ceux des
faits de son temps. Des annales sortirent les chroniques qui furent l'histoire
écrite au moyen âge. Elles donnèrent plus ou moins de développement aux annales
pour fournir simplement de sèches énumérations de faits ou de véritables récits
historiques. Les plus célèbres, rédigées par des laïques, furent celles de
Villehardouin, de Joinville et de Froissart, mais le plus grand nombre fut
écrit par des religieux. Elles avaient été précédées de la Chronique d'Eusèbe
continuée par saint Jérôme, de celles de Grégoire de Tours, de Frédégaire, de
Flodoard qui sont les documents à peu près uniques sur lesquels l'histoire des
mille premières années du moyen âge a été établie. On a appelé Grandes
Chroniques de France celles rédigées à l'abbaye de Saint-Denis jusqu'en 1350.
Une liste détaillée des chroniques du moyen âge a été donnée dans la
Bibliotheca historica de Potthast. Les bénédictins de Saint-Maur commencèrent.
le recueil des Historiens des Gaules et de la France dont les deux premiers
volumes parurent sous le nom de Dom Bouquet en 1738. Depuis 1834, la Société de
l'Histoire de France publie la Collection de textes pour servir à l'étude de
l'histoire et fait paraître chaque année six volumes d'anciennes chroniques. La
chronique devint les Mémoires lorsque l'auteur prit une place personnelle de
plus en plus importante dam le récit. Elle mêla alors aux faits historiques et
d'ordre général des points de vue particuliers intéressants, surtout quant aux
mœurs et à l'état de la critique. Les Souvenirs de Mme de Caylus, qui seraient
apocryphes d'après M. Funck-Brentano, et les Confessions de J.-J. Rousseau sont
en ce sens des Mémoires. L'histoire a trouvé une mine inépuisable, après les annales
et les chroniques, dans des Mémoires comme ceux de Du Clercq et de Commines
(XVème siècle), d'Olivier de la Marche, de Montluc, de Saulx-Tavaunes, de La
Noue, de d'Aubigné, de la reine de Navarre, de Pierre de l'Estoile (XVIème
siècle). À partir du XVIIème siècle, ils se multiplièrent. Il n'est guère
d'hommes d'État, de guerre ou d'église, de grands seigneurs et de mondains qui
n'aient écrit les leurs, depuis Sully jusqu'aux principaux acteurs de la
Révolution. Il faudrait une longue nomenclature pour les citer tous. Les
Mémoires les plus célèbres sont ceux du temps de la Fronde, ceux de Retz, de
Molé, de Mm. de Montpensier, puis ceux de La Rochefoucauld, de Dangeau, de
Saint-Simon, de l'abbé de Choisy, de La Porte, de Mme de La Fayette, de Duclos,
du maréchal de Richelieu, de Mme du Hausset sur la Pompadour, de d'Argenson, de
Bachaumont, de Mme de Campan sur la vie privée de Marie-Antoinette, de Mme
d'Epinay, de Mme du Deffand, etc... Nombreux aussi sont les mémoires du temps
de la Révolution qui vit en particulier ceux de : Mme Roland d'une si grande
élévation et d'une si sereine pensée. Au XIXème siècle, les Mémoires furent de
toutes sortes, depuis ceux militaires des maréchaux de l'Empire, ceux appelés
Mémorial de Sainte-Hélène auxquels Napoléon collabora pour mettre un dernier
maquillage sur son histoire, ceux politiques de Chateaubriand, de Mme de
Rémusat qui fut un témoin lucide et un juge sévère de la cour impériale, ceux
politiques aussi de Guizot, ceux littéraires d'A. Dumas, de P. de Kock et
autres, jusqu'à ceux de M. Claude qui sont un bas feuilleton policier écrit
dans un style d'une platitude désarmante. Il y eut aussi les Mémoires
fantaisistes ; ceux de Joseph Prudhomme, prototype de Foutriquet, de Bouvard et
Pécuchet, de Tribulat Bonhomet, du père Ubu, de M. Lechat, écrits par Henri
Monnier, sont les plus réussis. La fantaisie se mêla de plus en plus aux
Mémoires pour les transformer en romans généralement inférieurs. Aujourd'hui,
il n'est pas de soliveau ministériel ou académique, de cabotin ou de catin à la
mode, ayant joué un rôle plus ou moins malfaisant, ridicule ou scandaleux, qui
n'écrive ou plutôt ne fasse écrire « ses Mémoires » par quelque plumitif
affamé. On a eu, il n'y a pas longtemps, ceux de Mme Otero qu'une publicité
sans pudeur compara aux Confessions de J.-J. Rousseau !... Diverses collections
réunissent les Mémoires qui ont fourni à l'histoire le plus intéressant des
apports : celle des Mémoires relatifs à l' Histoire de France, par Petitot et
Monmerqué (1819-1829) en 130 volumes ; celle des Mémoires relatifs à l'Histoire
de France depuis la fondation de la monarchie française jusqu'au XIIIème
siècle, réunie par Guizot (1823-1835) en 31 volumes, et sa suite depuis le
XIIIème siècle jusqu'à la fin du XVIIIème, par Michaud et Poujoulat (1836-1839)
en 32 volumes ; celle des Mémoires relatifs à la Révolution Française, par
Berville et Barrière (1820-1827) en 55 volumes, et d'autres. Il faut citer
encore les Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres suivis de
ceux de l'Institut, ceux de l'Académie des Sciences, et la collection des
Mémoires sur l'art dramatique où sont réunis ceux de Goldoni, Collé, Mlle
Clairon, Talma et d'autres auteurs ou acteurs, formant 14 volumes. Citons
enfin, parmi les Mémoires d'auteurs étrangers, ceux de Frédéric II, de
Catherine II, de Franklin, de Mme Elliott, de J efferson, de Rostopchine, et
parmi les Mémoires autobiographiques, ceux de Benvenuto Cellini, Casanova,
Luther, Gœthe, Wagner et Tolstoï. Tous les Mémoires dits « historiques » n'ont
pas la même valeur. Souvent, leurs récits ne doivent être admis qu'avec la plus
grande circonspection et après de nombreuses confrontations. À côté des
tendances particulières aux auteurs et qui dominent chez presque tous sur la
vérité historique, il faut tenir compte de celles des partis, et bien des
jugements sont sujets à caution. Voltaire, comparant les Mémoires qui
paraissaient simultanément en Angleterre et en France, disait : « S'ils
s'accordent ils sont vrais ; s'ils se contrarient, doutez. » Renan a écrit à propos
des Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps, de Guizot : « C'est presque
une obligation pour l'homme qui a tenu dans sa main les grandes affaires de son
pays de rendre compte à là postérité des principes qui ont dirigé ses actes et
de l'ensemble de vues qu'il a porté dans le gouvernement. » Cela serait très
bien, si ces hommes n'avaient pas agi si souvent sans principes et n'étaient
pas surtout occupés, en écrivant leurs Mémoires, a donner le change sur leurs
erreurs pour rechercher des justifications posthumes. On attend toujours les
Mémoires d'un homme d'État qui, faisant loyalement son examen de conscience,
dira : « Voilà comment je me suis trompé. Tirez-en les enseignements
nécessaires !... » Ils sont pourtant nombreux ceux qui devraient s'exprimer
ainsi. Est-il, par exemple, un seul des responsables de la grande guerre qui
reconnaîtra son crime et son impéritie ? Non. La librairie est encombrée de la
masse de leurs Mémoires où ils étalent avec une impudente vanité leur prétendu
rôle dans la direction d'événements qui les avaient dépassés dès le premier
jour. Tous ces apprentis sorciers sont fiers des calamités qu'ils ont déchaînées
et de leur criminelle aberration. Un grand nombre de Mémoires sont apocryphes ;
d'autres sont nettement faux, tels ceux attribués à Mme de Maintenon. Voltaire,
qui a volontiers « plutarquisé » dans son Histoire du siècle de Louis XIV, en
disait : « Presque chaque page est souillée d'impostures et de termes
offensants contre la famille royale et contre les familles principales du
royaume, sans alléguer la plus légère vraisemblance qui puisse donner la
moindre couleur à ces mensonges. Ce n'est point écrire l'histoire, c'est écrire
au hasard des calomnies qui méritent le carcan. » Parmi les Mémoires
apocryphes, il y a des Mémoires de d'Artagnan, des Chroniques de l'Œil de Bœuf,
des Mémoires de Napoléon Bonaparte. Ce genre se retrouve dans celui, fort en
vogue aujourd'hui, des biographies romancées pour continuer à mêler à
l'histoire les fables les plus aventureuses, les fantaisies les plus grossières
et les plus tendancieuses. M. Daniel Mornet, maitre de conférences à la
Sorbonne, a sévèrement jugé ce genre en écrivant fort justement : « Les
biographies romancées sont dangereuses. Elles sont des écoles de truquage ou,
plus poliment, de rhétorique. Elles habituent à « farder la vérité » et à
goûter la vérité fardée. Elles sont à la vie vraie et à la conscience ce que
leur sont le monde où l'on se farde et la conscience de ceux qui s'y plaisent.
» Ce genre ne pouvait que convenir à notre époque où la sophistication s'étend
à tous les domaines pour égarer l'opinion et lui faire accepter,
démocratiquement, le retour à toutes les turpitudes du passé. ‒
Édouard ROTHEN
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