"Tous les autres, ceux qui n’ont jamais perdu leur liberté, me regardent comme s’ils avaient envie de me traiter de menteur, bien qu’ils sachent, au fond d’eux-mêmes — ayant lapé avec avidité les comptes rendus de la mascarade de Nuremberg — que je n’exagère pas, au contraire. Mais ils refusent de voir les choses en face, préférant clouer parquet après parquet sur la pourriture des fondations, brûler toujours plus d’encens, vaporiser toujours plus de parfum...Peut-être y aurait-il, tout de même, une âme courageuse qui osera entendre et voir sans frémir. J’ai besoin de cette âme, de cette personne, sans qui tout n’est que solitude. J’ai besoin, aussi, de raconter mon histoire, de m’en débarrasser. C’est peut-être uniquement pour ça que j’écris. Non pour essayer, en la hurlant aux nues, d’éviter sa répétition. Peut-être même, en voulant la crier sur les toits, suis-je ma propre dupe ? Peut-être mon but est-il simplement d’attirer sur moi l’attention, et l’admiration horrifiée des foules ? D’être aux yeux de tout le monde le héros d’aventures que tout le monde n’a point vécues..".
"Une fois dans la cour, nous formions un demi-cercle autour de l’échafaud, estrade de trois mètres de haut supportant dix-huit potences. Dix-huit potences avec dix-huit nœuds coulants, mollement bercés par le vent. Au pied de l’estrade, attendaient dix-huit cercueils béants de bois brut. Les hommes portaient leur pantalon rayé, les femmes leur jupe rayée, mais rien d’autre. L’adjudant lisait les sentences de mort, puis les condamnés montaient sur l’échafaud, chacun s’arrêtant, en bon ordre, au-dessous de sa corde. Manches relevées, deux SS faisaient office de bourreaux, et quand tous les cadavres se balançaient au bout des cordes, l’urine et les excréments coulant le long des jambes, un médecin SS venait jeter au tableau un coup d’œil indifférent, indiquait aux bourreaux, d’un geste, que tout était régulier. On descendait alors les cadavres qu’on jetait aussitôt dans les cercueils grossiers."
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