v. n. : demander l'aumône. v.
a. : demander comme une aumône, mendier son pain. Par extension : rechercher
avec bassesse : mendier des approbations, des protections. Action du gueux, de
l'indigent, qui demande l'aumône, action du mendiant. Cette action, ou
mendicité, est réglementée par des lois. Autrefois, la mendicité était tolérée.
Il y avait même à Paris un quartier obscur, composé de rues étroites,
tortueuses, sales, dont les maisons, mal bâties et d'apparence sordide,
servaient de repaire à toute une armée de mendiants. Ce quartier s'appelait la
Cour des Miracles. On l'avait ainsi nommé, parce que les pauvres qu'on voyait
pendant le jour aux portes des églises, sur les places publiques ou dans les
rues sollicitant la charité des passants, tous estropiés, mutilés ou couverts
d'ulcères, n'étaient pas plus tôt rentrés dans leurs domiciles, que, jetant
leurs béquilles, ils se redressaient sur leurs jambes, d'où, par suite du même
miracle, les ulcères avaient disparu. La police finit par intervenir, et les
mendiants, obligés de se disperser, renoncèrent à leur métier ou allèrent le
continuer ailleurs. Ce quartier a été reconstruit depuis le commencement du
XIXème siècle, et la « cour des miracles » ne présente aujourd'hui plus rien de
son aspect de cette époque. Tous les mendiants, ne furent pas des gueux ;
d'aucuns (et non des moins vils et avides d'aumônes) avaient érigé la mendicité
en théorie de vie sainte ; ils constituèrent des compagnies, des associations
de religieux ne voulant vivre que des aumônes, y réussissant fort bien et,
quoique très nombreux, parvenant à enrichir leurs sociétés : ce furent les
ordres mendiants. Comme d'autres gagnaient le ciel à conserver saintement leur
crasse, ils le voulaient gagner en ne travaillant pas et en s'abaissant toute
leur existence. Voici ce qu'en dit le dictionnaire Lachâtre : « Ordres
mendiants : On comprend sous cette dénomination générale, non seulement les
instituts religieux et monastiques qui reconnaissent saint François d'Assise
pour fondateur, mais encore beaucoup d'ordres qui, nés à peu près vers la même
époque, faisaient également vœu de pauvreté et ne vivaient que du fruit des
aumônes qu'ils obtenaient des fidèles. Voici le dénombrement des institutions
qui se glorifiaient de ce surnom : 1° les frères mineurs ou franciscains ; 2°
le second ordre ou les clarisses instituées par sainte Claire, en l'année 1212
; 3° le tiers-ordre ou les tertiaires, à qui le même fondateur donna une règle
en 1221 ; 4° les capucins, l'un des ordres les plus nombreux de l'Église ; 5°
les minimes, fondés par François de Paule ; 6° les frères prêcheurs ou
dominicains, établis vers 1216, sous les auspices et la conduite de saint
Dominique de Guzman : les religieux de cet ordre furent appelés Jacobins en
France ; 7° les carmes, venus de la terre sainte en Occident, pendant le
XIIIème siècle ; 8° les ermites de saint Augustin, dont l'institut fut mis au
nombre des ordres mendiants par le pape Pie IV, en 1567 ; 9° les servites ou
ermites de saint Paul, les hiérolymites, les cellites, etc. ; 10° enfin l'ordre
du Sauveur et celui de la pénitence de la Madeleine. Tous ces instituts, qui
avaient eux[1]mêmes
des rejetons et des subdivisions, formaient ce qu'on appelait les quatre ordres
mendiants dont les noms suivent par ordre de préséance : les franciscains, les
dominicains, les carmes et les augustins ». Et ces gens-là vivaient à l'aise,
si l'on en croit le dicton populaire (« gras comme un moine ») et amassaient
des sommes considérables, tant il est vrai que la bêtise humaine est vraiment
apte à donner une idée de l'infini. Qu'on en juge : Parlant des capucins le
Larousse déclare : « Établis en France en 1573, ils y possédaient 400 maisons
en 1790, lorsqu'ils furent supprimés ». Ce n'est déjà pas si mal, mais à propos
de ces mêmes « capucins » dans un ouvrage publié en 1793, par G. Carlo Rabelli
: « Mascarades monastiques et religieuses de toutes les nations du globe,
etc... », on peut lire : « Quelqu'un qui n'aimait pas les capucins, disait :
ils sont paresseux, ignorants et sanglés comme des ânes ; barbus, lascifs,
sales et puants comme des boucs ; enfin ce sont les punaises de la chrétienté
». Cet ordre ainsi dégagé de toutes les entraves qui pouvaient nuire à sa
propagation, vit augmenter ses recrues, et put bientôt marcher de pair avec les
congrégations les plus étendues et les plus florissantes ; il a prodigieusement
pullulé ; il est divisé en plus de cinquante provinces et trois custodies, où
l'on compte plus de seize cents couvents, et 25.000 capucins ; non compris les
missionnaires du Brésil, du Congo, de la Barbarie, de la Grèce, de la Syrie, de
l'Égypte et de toutes les autres parties du monde où il y a des capucins
missionnaires ». Actuellement, les ordres religieux, pratiquent tous la
mendicité, en vivent grassement, mais lui donnent un autre nom : ils font des
quêtes. Pour le vulgaire, la mendicité est défendue par la loi et il n'est pas
rare de voir des communes qui s'enorgueillissent d'écriteaux ainsi rédigés et
apposés aux coins des rues : « La mendicité est interdite sur le territoire de
la commune ». Ici, sans doute, nous sommes en pays civilisé : cela se voit,
cela se lit, ici, il n'y a pas de mendiants... Est-ce à dire qu'il n'y a pas de
miséreux, pas de pauvres infirmes, de vieillards chenus et sans soutien ? que
non pas ! cela signifie simplement, que le riche, le pourvu, le bien vêtu, le
ventre plein, n'entend pas être dérangé quand il rumine. C'est pour le
misérable, privé du nécessaire que ces lois sont faites et leurs injonctions
sont formelles et le gendarme est sans pitié : Un décret du 7 juillet 1808, en
déclarant que la mendicité était interdite dans toute la France, avait prescrit
dans chaque département la création de « dépôts de mendicité », où devaient
être conduits les mendiants n'ayant aucun moyen d'existence. Ce que sont ces
dépôts de mendicité ? Des prisons ! Aussi les miséreux poussés à tendre la
main, les craignent-ils plus que la faim, le froid, la prison ordinaire et même
la mort solitaire dans quelque coin de bois. Le législateur ne pouvait ignorer
ce qui allait nécessairement se produire et il a édicté les peines suivantes :
(Art. 474 du code pénal) : « Tout individu qu'on a surpris mendiant est
justiciable de la police correctionnelle. Si, dans le lieu où il a été arrêté,
il existe un dépôt de mendicité, il peut être puni d'un emprisonnement de trois
à six mois, et, après l'expiration de la peine, il doit être conduit au dépôt ;
s'il n'y a pas d'établissement de ce genre, et si le mendiant est valide,
l'emprisonnement ne sera que de un à trois mois. Si le mendiant a été arrêté
hors du canton de sa résidence, l'emprisonnement sera de six mois au moins et
de deux ans au plus. Si un mendiant use de menaces, ou s'il s'introduit sans
l'aveu du propriétaire dans une maison d'habitation ou dans un enclos qui en
dépende ; s'il a feint des infirmités ou des plaies ; s'il a mendié avec un
autre individu, à moins que ce ne soit un aveugle et son conducteur, un père et
son fils, un mari et sa femme, la peine est la même. Tout mendiant surpris
travesti, porteur d'armes, etc., bien qu'il n'en ait pas fait usage, sera puni
d'un emprisonnement de deux à cinq ans ; si on trouve en sa possession des
objets d'une valeur excédant 100 francs, dont il ne peut justifier l'origine,
il encourt la peine d'emprisonnement de six mois à deux ans. En cas de crime,
le mendiant subit toujours une peine plus forte que l'accusé non mendiant. En
cas de récidive, la peine sera au moins du maximum, et pourra même être portée
au double ». Voilà la « justice » assise sur la pitié ! Ayant ainsi légiféré et
éloigné de sa sensibilité humaine le choquant spectacle du pauvre quémandeur,
le bourgeois délivré songe que « l'ordre règne à Varsovie » et qu'il n'y a plus
de mendiants par les routes, donc plus de pauvres, plus d'affamés, plus rien
que des bien nantis. Il sent alors son cœur s'amollir, une larme lui venir à
l'œil ; rappelant une pitié désormais sans emploi, il rédige un second écriteau
qui susurre ce conseil : « Soyez bons pour les animaux !... » Avec la
mendicité, c'est toute la question sociale qui se pose ; en vain jouera la
charité (V. ce mot), publique et privée, en vain se produiront des dévouements
parfois sublimes, le mode d'appropriation du sol et des instruments de travail
engendre nécessairement le paupérisme moral et matériel. La charité est
impuissante à guérir les plaies purulentes qu'elle constate chaque jour parce
qu'elle ne s'attaque pas aux causes, mais aux effets. Pour un individu qu'elle
secourt, deux autres viennent grossir le bataillon des affamés. La mendicité
est un véritable fléau par la pourriture morale qu'elle provoque ou amplifie.
En effet, l'être qui demande l'aumône, qui mendie, qui tend la main, subit un
abaissement de sa personnalité, toujours plus accentué. Scrupules, fierté
s'émoussent et il tombe à n'être plus qu'un animal quêtant sa pitance. Les
autres sentiments humains se ressentent évidemment de cette chute morale ;
aussi, un anarchiste a-t-il pu dire que si le vol est plus dangereux que la
mendicité il est du moins autrement honorable. Dans les pays où le chômage ne
sévit pas encore comme un fléau, où les méthodes modernes de production
rationalisée ne jettent pas encore à la porte de l'usine l'ouvrier à 45 ans, la
mendicité l'emporte considérablement sur le vol, car tant qu'il peut
travailler, gagner son pain sec, l'ouvrier ne songe pas à prendre ailleurs ce
qui lui manque, et quand il ne gagne plus sa vie, infirme ou trop vieux, il
manque de volonté, d'énergie, de ressort, pour oser autre chose que mendier.
Dans les pays où la rationalisation industrielle jette sur le pavé des hommes
encore jeunes, susceptibles de vouloir et d'oser, le vol l'emporte de beaucoup
sur la mendicité. L'homme qui a conservé quelque ressort vital répugne à
demander l'aumône et prétend se procurer ce qu'il considère comme devant lui
appartenir, par des moyens plus dangereux certes, mais qui ne sont pas
acceptation passive d'un sort inique et ne le livrent pas, rampant, à la merci
du don. Il semble bien que dans la société actuelle, une partie de l'humanité
doive nécessairement osciller du vol à la mendicité et de la mendicité au vol.
Et il n'y a pas, absolument pas, d'autre remède que celui-ci : le peuple
prenant conscience de son état de mendiant permanent et voleur audacieux,
faisant rendre gorge aux profiteurs de son travail, détruisant l'État, et ne voulant
plus produire que pour lui[1]même.
‒
A. LAPEYRE
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire